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Un homme tient un drapeau français devant la cathédrale Notre-Dame, 15 juillet 2018.
Un homme tient un drapeau français devant la cathédrale Notre-Dame, 15 juillet 2018.
©Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Héritage

Alors que Valérie Pécresse emboîte le pas d’autres candidats avant elle en se rendant cette semaine en Arménie, terre chrétienne en monde musulman, l’héritage civilisationnel de la France est devenu un objet politique aux contours mal identifiés

Hugues Portelli

Hugues Portelli

Hugues Portelli est sénateur UMP du Val-d'Oise et maire d'Ermont.

Il est professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris II), où il dirige le Master 2 de recherche études politiques, le cours de 1re année de droit constitutionnel, et membre du comité de rédaction des revues Pouvoirs et Pouvoirs locaux.

Hugues Portelli est notamment l'auteur de L'Italie de Berlusconi (Buchet Chastel, 2006).

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Valérie Pécresse emboîte le pas d’autres candidats avant elle en se rendant cette semaine en Arménie, terre chrétienne en monde musulman. Elle n’est pas la seule à se réclamer des racines chrétiennes de la France. Que faut-il comprendre derrière cette formule ? Son utilisation par les politiques va-t-elle actuellement au-delà du simple symbole électoral ? 

Hugues Portelli : Dans les sondages, près de 50% se disent catholiques mais moins de 20% environ croient encore aux principaux dogmes (notamment la résurrection). Il y a donc une définition identitaire, culturelle et anthropologique et une définition proprement religieuse. Quand on parle des racines chrétiennes c’est surtout de la première définition qu’il est question. C’est ce qui explique que l’on retrouve cette expression chez plusieurs candidats, même ceux qui ne sont pas pratiquants. 

L’utiliser vise d’une part à s’assurer la fidélité d’un noyau dur d’électeurs « pratiquants ». C’est un électorat non négligeable car dans un contexte d’abstention, les catholiques font partie des citoyens les plus respectueux de leur devoir électoral. Ils se rendent aux urnes par devoir civique. Au dela, il y a l’idée plus profonde qu’il y a des valeurs à transmettre, notamment à travers l’éducation, et pas seulement des valeurs dans lesquelles se reconnaitre. La culture française a longtemps été essentiellement catholique, dans sa littérature, dans les différentes formes d’expression artistiques (de la peinture à l’architecture), dans son droit, etc. Même la société civile était fortement enracinée dans cette culture : les communes et départements s’appuient sur les paroisses et les diocèses, le scrutin majoritaire à deux tours reprend l’élection dans les chapitres des monastères. Tout cela traduit un mimétisme de l’Etat républicain qui essaie de s’inspirer du catholicisme tout en le mettant à son profit. Ce sont des siècles de culture, de règles, de traditions qu’on ne peut effacer. 

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Bertrand Vergely : Pour l’entourage de Valérie Pécresse, son voyage en Arménie est programmé de longue date. Il n’a rien à voir avec l’actualité. Éric Zemmour est allé en  Arménie  ? Ce n’est pas parce qu’il y est allé que Valérie Pécresse s’y rend.   Il faut être pragmatique En France les Arméniens  représentent 400 000 électeurs. Quand la prochaine élection présidentielle va se jouer à 200 000 électeurs près, on ne plaisante pas avec une communauté qui représente 400 OOO électeurs. On la soigne. Pour cela, on n’hésite pas à se rendre en Arménie afin de montrer aux Arméniens qu’on les respecte.  Aujourd‘hui Valérie Pécresse va visiter la communauté arménienne. Demain elle ira visiter la communauté juive et après demain la communauté musulmane.  Un président se doit d’être le président de tous les Français. Valérie Pécresse, qui entend être la future présidente de la République française entend rentrer dans son rôle. Afin de se faire élire, elle part à la rencontre de tous les Français. 

Bien sûr, il y a la situation géopolitique. L’Arménie est une région sensible. Elle risque de le devenir à nouveau. Derrière l’Arménie, il y a les chrétiens d’Orient. Ceux-ci ont été persécutés. Ils le sont encore. On ne les a pas soutenus. On les a oubliés.  Il faut arrêter de les oublier. Il faut les soutenir comme il faut rappeler que le christianisme est la religion la plus persécutée au monde. On l’a oublié. Il faut arrêter de l’oublier. Il faut à cet égard revenir sur les rapports que l’on a avec ce qu'on appelle les valeurs chrétiennes.  

En 2005 Jacques Chirac et Lionel Jospin n’ont pas voulu que l’on parle des racines chrétiennes de l’Europe. Ils ont eu peur que ce rappel ne vienne heurter la laïcité et raviver des querelles anciennes. Ils ont eu cette peur parce qu’ils ignorent ce qu’est le christianisme. 

Le fait que le christianisme ait contribué avec d’autres courants philosophiques et moraux à la construction de l’Europe est une évidence. Il suffit de regarder le patrimoine architectural français  pour s’en rendre compte. Chaque village ou presque possède son église. Chaque grande ville possède sa cathédrale. Cette présence partout des églises et des cathédrales n’a pas comme sens  de marquer la présence chrétienne en tant qu’idéologie religieuse. Elle a comme signification de rappeler que la vie humaine a du sens parce qu’il y a un temps pour tout. 

Il y a un temps pour le travail. Il y a un temps pour la vie sociale. Il y a un temps pour le recueillement, le silence, le retour à l’essentiel de la vie qui s‘exprime dans la profondeur du cœur. 

Quand on rentre dans une église, on est face à soi-même dans le silence.  Face à soi-même dans le silence on entend monter ce qui vient de la profondeur du cœur. Vivant cette profondeur du cœur, on a la force et l’inspiration pur aller au cœur de tout. On respire. On fait tout respirer. 

L’Europe s’est construite parce que des hommes et des femmes ont travaillé. Des hommes et des femmes ont bâti la vie sociale. Des hommes et des femmes ont aussi pratiqué le recueillement, le silence, le retour à l’essentiel, la profondeur du cœur.  

C’est ce que l’on ne comprend pas quand il s’agit des racines chrétiennes de l’Europe. On croit que rappeler ces racines  relève de l’idéologie religieuse. Cela ne relève pas de l’idéologie religieuse mais de l’essence de la vie humaine. Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour le travail et la vie sociale. Il y a un temps pour le silence, le recueillement et la profondeur du cœur. 

Faisons l’expérience de cette profondeur. On rentre dans le respect de l’existence, de la vie, des êtres et du monde. Cela donne du sens à tout. Nous avons besoin de respect. Rien ne peut se faire sans lui. 

En politique, nous avons particulièrement besoin de respect. Qu’est-ce que la vraie politique sinon l’effort pour bâtir un monde qui aborde tout avec respect, que ce soit la nature, les hommes, la société, la vie, parce qu’il a le sens de l’essentiel ? 

On se querelle à propos de la relation entre religion et politique.  On veut savoir qui détient l’autorité. Politique et religion veulent le pouvoir. Résultat, tout le monde est meurtri.

Il est parfaitement possible de faire vivre ensemble le religieux et le politique. Il suffit d’aborder les choses avec respect en donnant à chaque chose ce qui lui revient.

Quelles sont les valeurs républicaines empruntées au corpus chrétien ? 

Hugues Portelli : La République, à partir de 1880 a essayé de laïciser le corpus doctrinal chrétien. C’est la fameuse lettre de Jules Ferry aux instituteurs de 1883. On enlève toute dimension transcendantale mais on garde une morale laïque très proche de la morale chrétienne. Jusque dans les années 1960, les deux morales allaient de pair. Depuis, la dissociation n’a fait que croitre. Le détachement est de plus en fort, par exemple au niveau du droit, de la conception de la famille, de la vie, de la mort.  La République transmet de moins en moins des valeurs ancrées dans le christianisme. La question qui se pose pour les catholiques engagés est de savoir s’il faut en prendre son parti ou orchestrer une renaissance de cela et « rechristianiser » la France. 

Comment faire en sorte que ces racines chrétiennes soient un héritage permettant une cohésion de la société sans tracer une ligne entre ceux qui s’en revendiquent et ceux qui la rejettent ? Comment en faire une instrument politique efficace et pas simplement un ralliement identitaire ?

Hugues Portelli : Elles n’ont jamais été un instrument politique, même à l’époque de la démocratie chrétienne (le MRP de la IVè République). Elles ont pu être un instrument social mais tout l’édifice construit à partir de Leon XIII avec l’Action catholique, les syndicats chrétiens, etc. s’est dissout. Il n’en reste plus que des ruines. Il faudrait donc reconstruire mais autrement, partir à la recherche de nouveaux modèles. Mais la tentation, après Vatican 2, n’a pas été celle de chercher de nouveaux modèles mais d’essayer de coller à l’individualisme et de travailler sur l’éthique plutôt que la morale, avec des résultats limités. Mais cela implique aussi une renaissance intellectuelle. Une jeune génération le porte, mais cela reste marginal. Le problème est que c’est une course de vitesse : le catholicisme aura-t-il le temps de se reconstruire comme réalité sociale ou sera-t-il emporté par la vague ? Le pape lui-même l’a compris. Il s’appuie sur les nouvelles régions émergentes du catholicisme, en Asie, en Afrique, et ne semble plus croire que l’Europe soit un terrain d’avenir. Un tel pari est risqué car en Asie, le catholicisme part de zéro ou presque et en Afrique il est fortement concurrencé par l’Islam. La lutte d’influence entre les religions est plus forte que jamais et c’est en Europe que la situation pour le catholicisme est la plus critique. Pourtant, le réveil est réel, y compris là où ne l’attendrait pas, comme dans les quartiers populaires des métropoles, dans les milieux issus des vagues d’immigration successives. Les populations traditionnelles sont, elles beaucoup plus sécularisées. 

Le christianisme peut-il générer des courants politiques ? Dans les années du second après-guerre, la démocratie chrétienne européenne était un courant politique extrêmement fort. Il s’appuyait sur la doctrine sociale de l’Eglise, une élaboration doctrinale construite par l’Eglise pour contrecarrer l’influence du marxisme et du libéralisme. Après le Concile Vatican II, ce travail doctrinal s’est affaibli  et les démocrates-chrétiens ont été incapables de continuer cela par eux-mêmes. Ils se sont appauvris culturellement et ont été absorbés par le socialisme ou le conservatisme. Les derniers courants politiques qui ont tenté d’instrumentaliser le christianisme ont été les populismes nord ou sud-américains avec les Eglises évangéliques.

Bertrand Vergely : Le christianisme bien compris est une pratique et non une idéologie. Il est une humilité et non un orgueil. Quand on ne pratique pas le religieux et que l’on est dans l’orgueil, quand on veut que le monde reconnaisse cet orgueil religieux, on sème la discorde dans le monde. Quand on est simple, humble, respectueux de tout et de tous, on amène la paix, la lumière, l’intelligence, la fraternité parmi les hommes. 

Dans le discours politique, il est parfaitement possible d’introduire ce respect et cette intelligence. Il suffit de le vouloir. Cela passe par une décision intérieure. Au leu de se disputer pour faire reconnaître son orgueil, que le politique se mette à rentrer dans la réalité, à circonscrire les différents domaines de celle-ci, à définir les mots pour en parler puis à parler avec respect de la réalité, des domaines de la réalité et des mots pour en parler. On pacifie la vie politique. Tenant un discours sensé on se fait du bien. On fait du bien à tout le monde.

 La religion  consiste à croire en Dieu, Dieu désignant la réalité absolue qui dépasse tout en embrassant tout. Parce qu’elle consiste à croire en Dieu, la religion  consiste à être extrêmement humble devant lui. 

Quand on parle de Dieu, on oublie de parler de l’humilité devant Dieu. Étant dans l’orgueil de Dieu, on divise le monde. Voulant faire reconnaitre l’orgueil de Dieu, on pousse le monde à refuser Dieu à cause de cet orgueil. Résultat, on débouche sur un autre orgueil, l’orgueil des sans Dieu. 

Au lieu d’être dans l’orgueil de Dieu, soyons dans l’humilité de Dieu. Dieu cesse d’être le mot qui fâche. Parlant de l’humilité et à partir de l’humilité, on ne fâche personne. On peut tout faire avec l’humilité et on peut accorder tout le monde en faisant taire les dissensions idéologiques.

Sur des sujets sociétaux aussi vastes que la PMA ou le transhumanisme, sur les sujets économiques et sociaux. Comment donner du sens aux valeurs chrétiennes au regard des enjeux contemporains ?

Hugues Portelli : Sur les sujets sociétaux, les chrétiens peuvent s’appuyer sur une anthropologie qui est partagée par beaucoup de non-chrétiens ou de non croyants. La bataille se déroule aujourd’hui sur la PMA, la fin de vie, le transhumanisme. Demain sur l’intelligence artificielle. Ceux qui remettent en cause l’anthropologie et les valeurs inspirées du christianisme se comportent comme des apprentis sorciers. Sur  ces sujets, les catholiques ne doivent pas se battre seuls mais s’appuyer sur les autres croyances qui partagent les mêmes valeurs et surtout la même conception de l’être humain.

Sur ces sujets, il n’y a pas de compromis possible.

Bertrand Vergely : Quand on aborde la réalité, il importe de se demander à propos de tout si ce que nous faisons est en train de respecter les hommes, les femmes, la vie, l’existence. 

On veut fabriquer un nouvel homme en reprogrammant son cerveau. Quand on a ce projet, respecte-t-on l’être humain ? On veut que l’homme devienne surpuissant grâce à une hybridation entre son corps et la technologie. Quand on a ce projet, est-ce l’être humain que l’on respecte ou est-ce la toute puissance ? On veut créer un être humain qui puisse faire ce qu’il veut.  Avec ce projet, est-ce l’être humain que l’on va respecter ou est-ce l’homme ludique et capricieux ? On veut pouvoir tout choisir  y compris son sexe. Ce projet va-t-il faire de l’être humain un être plus humble, plus respectueux, plus profond ? 

Le christianisme comme orgueil n’a aucun intérêt et ce n’est pas en voulant faire triompher cet orgueil que l’on fera du bien au christianisme, au monde et aux hommes. On s’y est essayé par le passé. À chaque fois qu’on s’y est essayé, les effets ont été désastreux. En revanche, le christianisme comme humilité, simplicité, profondeur du cœur, ouverture du corps, de l’âme et de l’esprit a tout à nous apporter. Il a tellement à nous apporter que quand on découvre ce christianisme, on est surpris d’apercevoir qu’il n’a pas encore commencé. On le croit derrière nous. Il n’est pas derrière nous mais devant nous. 

Malraux a dit que le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas. Cette parole est maladroite. Inconsciemment elle divise. Elle porte en elle une sommation. Il serait plus juste de dire que le 21éme  siècle sera parce qu’il sera humble et respectueux.

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