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Présidence du groupe LREM : ces lignes de fractures souterraines sur lesquelles pourraient se jouer les séismes futurs de la majorité
©ERIC FEFERBERG / AFP

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Après l'élection de Richard Ferrand à la présidence de l'Assemblée nationale mercredi, La République en marche pourrait connaître une phase de restructuration importante avec l'élection de son nouveau président de groupe.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Une période de restructuration du parti LREM, largement majoritaire à l'Assemblée, va se faire avec l'élection de son président du groupe. Pour celle-ci comme pour celle désignant Richard Ferrand au "perchoir", le parti a pu laisser entrevoir des lignes de fractures en son sein, laissant entrevoir des familles pour l'instant, et potentiellement des antagonismes plus tard. Quelles sont les principales lignes de fractures qu'on peut déceler aujourd'hui ?

Jean Petaux : L’élection au « perchoir » de Richard Ferrand a montré que le groupe LREM fort de 312 parlementaires n’a absolument pas voté unanimement pour le député du Finistère puisque ce dernier n’ a recueilli que 254 voix soit 99 de moins que son collègue de Rugy, pour la même fonction, en juin 2017. Certes cette fois-ci le groupe MODEM (troisième en importance numérique à l’Assemblée avec 46 députés) a présenté un candidat (son président de groupe, Marc Fesneau) mais le score que ce dernier a obtenu (86 voix soit un « bonus » de 40 suffrages) montrent que les députés La République En Marche ont, assez gaillardement, renvoyé la discipline de vote au rayon des « abonnés absents ». Plusieurs hypothèses peuvent venir expliquer cette situation. La première tient à la personnalité de Richard Ferrand : ancien député PS, rallié très tôt à Emmanuel Macron avec qui il a travaillé en tant que rapporteur général de « sa » loi en 2015, l’élu breton n’est pas particulièrement sympathique et ne jouit pas d’une image totalement positive dans ses propres rangs. La deuxième raison tient à l’existence d’une « épée de Damoclès » nommée « Mutuelles de Bretagne » suspendue au-dessus de sa tête avec une éventuelle mise en examen. Comme le principal intéressé a dit qu’il ne démissionnerait pas s’il était mis en examen dans cette affaire « dépaysée » à Lille, plusieurs réactions ont été immédiatement enregistrées, au sein-même de LREM, regrettant amèrement cette position de principe rappelant à certains les pratiques de « l’ancien monde ». La troisième raison, plus récente, plus conjoncturelle, tient à sa victoire, en interne, par 64% des voix contre Barbara Pompili qui a obtenu presque 30% des voix de ses collègues du groupe. Ferrand et ses amis peuvent dire que le candidat LREM au « perchoir » a été bien élu à l’issu d’un seul tour de scrutin. A l’inverse on peut estimer que cela révèle une forte minorité au sein du groupe majoritaire qui a choisi une bonne candidate.
On considère généralement que plus une majorité parlementaire est nombreuse et plus elle est chahuteuse, structurellement indisciplinée et potentiellement frondeuse. Ce n’était pas le cas jusqu’à maintenant du groupe LREM, cela ne veut pas dire que l’une de ces configurations est exclue dans les mois prochains. Dès le 18 septembre, à l’occasion du vote de désignation du nouveau président ou de la nouvelle  présidente du groupe majoritaire on va pouvoir mesurer le poids des différentes fractions constitutives de celui-ci. Comme dans toute « famille » politique il y a des sensibilités qui permettent de classer les parlementaires sur un axe « droite-gauche » en les regroupant par sous-groupes et en identifiant quelques chefs de file plus ou moins médiatisés. On a vu ainsi lors des débats sur la loi « Asile – Immigration » quelques noms émerger des longues séances parce qu’ils marquaient clairement leur opposition à certains aspects du texte défendu par le ministre de l’Intérieur. On a vu aussi une bande de jeunes députés (que l’on désigne parfois comme la « bande de Poitiers »), presque tous formés dans les rangs du Mouvement des Jeunes Socialistes, exister comme une petite équipe assez soudée revendiquant un certain activisme d’autant qu’un de leurs «  protecteurs », Stéphane Séjourné, est conseiller politique du président de la République.
J’aurais tendance à considérer que la principale ligne de partage au sein du groupe LREM n’est pas forcément idéologique. Elle séparerait deux groupes. D’un côté celles et ceux qui ont eu une « vie » politique, avant d’être élus (ou réélus) députés en juin 2017 : un mandat local (a fortiori national) voire simplement une pratique militante dans une organisation politique, une association, une ONG, etc. De l’autre côté : des novices absolus, vierges de tout engagement collectif, « recrutés » comme candidats aux législatives de juin 2017, sur leur seul CV, ignorant tout des codes et des « lois » en vigueur sur la scène politique. Paradoxalement ce sont plutôt ces élus-là, ces « bizuts » de la chose politique qui peuvent s’avérer les plus compliqués à gérer dans le cadre d’un groupe parlementaire. D’abord parce qu’ils n’ont pas de culture du combat collectif, ensuite parce qu’ils ont tendance à tout mélanger (morale et politique par exemple…) et enfin parce qu’ils raisonnent souvent avec leurs tripes au lieu de faire appel à leur raison… Autant dire qu’ils sont assez spontanément rebelles et surtout portés par un fort individualisme mettant davantage en avant leur relation personnelle avec leur électorat qu’une quelconque discipline et loyauté.

Pour l'instant, les membres de LREM peuvent survivre au désamour visible pour le gouvernement que semblent indiquer les sondages. On pourrait donc envisager que l'absence de menace sur eux puisse empêcher les divisions pendant un certain temps. Lors de quelle prochaines échéances politiques peut-on envisager de voir ces divergences se révéler plus nettement ?

Au contraire, l’absence de menace peut s’avérer pathogène et propice à la croissance des ferments de division. Une attaque forte, visible, frontale a souvent pour mérite de renforcer la cohésion d’un groupe qui retrouve spontanément des réflexes de protection et de solidarité interne face aux coups de boutoir venus de l’extérieur. Cela peut aller jusqu’au syndrome de la citadelle assiégée. Ce n’est pas (encore) le cas de LREM. Le prochain rendez-vous politique à l’échelle du pays va être les élections européennes. C’est sans doute-là que les critiques des Français à l’égard de la majorité parlementaire vont trouver matière à s’exprimer. Comment va réagir le groupe LREM confronté ainsi à une situation nouvelle caractérisée par un possible désaveu massif ? Une partie du groupe (la moins « politique », la moins expérimentée et donc la plus sensible aux votes qui se seront exprimés leurs des Européennes 2019) pourra très bien exiger une inflexion de la ligne politique suivie par l’exécutif. Mais là encore les caractéristiques propres du groupe LREM peuvent potentiellement le protéger contre des formes trop spectaculaires de critiques ou de dissidences. Parce que ce qui caractérise le plus nettement ce groupe de 312 députés c’est son faible niveau de culture politique et donc une forme d’incapacité structurelle à « faire de la politique ». C’est presque un paradoxe : mal formés politiquement, plus « technos » que « politiques », les parlementaires LREM n’ont, par ailleurs, pas vraiment de « terreau » local où s’ancrer et surtout ou « faire le plein de politique » et revenir à l’Assemblée forts de leurs batteries rechargées dans leurs territoires d’élection.

Battue, Mme Pompili a exprimé son amertume envers ses confrères, mais s'en serait aussi prise à Edouard Philippe, dont elle a rappelé qu'il n'avait même pas voté pour Macron au premier tour des présidentielles. Les stratégies d'élargissement en vue par exemple des élections européennes ou encore de séduction à droite et à gauche qui font partie du "en même temps" macronien peuvent-elles finir par accentuer un ensemble politique très large et hétéroclite ?

Il ne faut rien écarter comme possibilités. Mais il serait particulièrement étonnant que le bloc majoritaire actuel continu de s’élargir tel un vortex qui avalerait tout ce qui l’environne. Actuellement, sauf renversement de tendance toujours possible d’ici la fin de l’année ou au premier semestre 2019, la majorité présidentielle traverse une forte zone dépressionnaire au sein de l’opinion publique et cette situation n’est guère propice au « démarchage » (d’autres, moins cléments, diraient au « débauchage ») politique. Les éventuelles alliés, dans un tel « climat », capables de vous rejoindre en cas de vents porteurs et de victoire promise, deviennent bien plus pusillanimes dans l’apport de leur soutien quand les turbulences politiques grondent. Il suffit de voir comment le MODEM, allié originel de LREM depuis la présidentielle de 2017 et surtout les législatives de juin 2017 du fait d’un accord électoral laborieusement passé, prend actuellement ses aises (et ses distances) avec le mouvement du Président. Plusieurs scénarii s’élaborent actuellement dans les états-majors politiques à l’égard de la stratégie politique qui doit être conduite lors des Européennes 2019. Cela, par exemple, a été au cœur des échanges des « Vendanges de Bordeaux », le rassemblement des amis d’Alain Juppé qui s’est tenu dans la métropole de Nouvelle-Aquitaine le week-end dernier. Au cœur des débats  la marche à suivre pour les Européennes 2019.  Faut-il rallier une liste LREM (« ligne » Boyer) ? Faut-il « y aller » seul (« ligne » Raffarin) ? Faut-il considérer qu’il faut peser à l’intérieur de LR sur la ligne Wauquiez (« ligne » Pécresse-de Calan) ? La réponse d’Alain Juppé a au moins contenté tout le monde : il a été acté qu’il est urgent d’attendre et de ne pas choisir l’une ou l’autre de ces trois voies d’ici, peut-être, le début de l’année 2019.
Quand on comprend que pour conclure une alliance il faut être (au minimum) deux. On réalise rapidement que LREM, faute de potentiels alliés déclarés, risque d’attendre longtemps l’élargissement de son domaine électoral et programmatique… Mais là encore, on peut considérer que le charme du « en même temps » peut encore opérer… Avouons qu’il s’agirait là d’une de ces surprises politiques qu’Emmanuel Macron aime à mettre en scène.  

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