Prénoms BCBG, prénoms ploucs… : quand votre signature révèle vos origines sociales<!-- --> | Atlantico.fr
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Aliénor et Côme sont des prénoms moyenageux, qui sont adoptés en priorité par les classes privilégiées.
Aliénor et Côme sont des prénoms moyenageux, qui sont adoptés en priorité par les classes privilégiées.
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Série marqueurs sociaux

Sommes-nous prédéterminés socialement dans le choix des prénoms que nous donnons à nos enfants ? Sommes-nous capables, au contraire, de nous affranchir des règles et des codes qui régissent notre milieu ? Troisième épisode de notre série sur les marqueurs sociaux.

Stéphanie Rapoport

Stéphanie Rapoport

Stéphanie Rapoport est l’auteur de l'Officiel des prénoms ainsi que d’autres publications sur les prénoms. Elle anime le site meilleursprenoms.com.

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Atlantico : Y a-t-il encore des prénoms-types qui correspondent aux classes populaires, aux classes moyennes et supérieures ?

Stéphanie Rapoport : On ne peut pas dire que des prénoms numéro 1 en France aujourd’hui comme Emma et Nathan sont représentatifs des classes moyennes parce qu’ils sont très populaires ou des classes plus élevées parce qu’ils sont rétro. Mais il reste quand même des marqueurs. Ce qu’on peut dire, c’est que certains prénoms rétro que l’on a vus émerger à Paris il y a quelques années avant qu’ils ne se répandent dans l’Hexagone, qui ne sont pas massivement attribués, vont être choisis par des classes sociales supérieures.

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Pouvez-vous donner quelques exemples de ces prénoms rétro ? Il ne s’agit pas de prénoms anciens type Aliénor ou Côme ?

Aliénor et Côme sont des prénoms moyenageux, qui sont adoptés en priorité par les classes privilégiées. Les prénoms rétro datent du XIXe siècle : Emma en est le porte-drapeau. C’est le prénom numéro 1 en France, aujourd’hui. Il a, à un moment donné, été attribué par un cercle assez restreint, plutôt issu de classes favorisées, et s’est ensuite popularisé. Au début des années 80, on a eu, de la même façon, des prénoms comme Thomas et Camille qui étaient attribués par la catégorie des cadres supérieurs qui se sont popularisés au point de perdre leur étiquette BCBG.

La diffusion des prénoms se fait toujours du "haut vers le bas", des catégories supérieures vers les catégories populaires ?

C’est un phénomène qui a été constaté par les sociologues depuis une cinquantaine d’années, et qu’on observe également aux Etats-Unis. Depuis une quinzaine d’années, les lignes sont un petit peu plus brouillées. Avec l’avènement de l’Internet, les parents peuvent chercher leurs prénoms dans le monde entier et faire assaut d’originalité.

Est-ce que tous les parents, de toutes les catégories sociales, se servent également d’Internet pour chercher de nouveaux prénoms ?

Pas toutes, non : les catégories supérieures vont plutôt cibler des prénoms rétro qui ne sont pas encore trop attribués. C’est le cas, par exemple, de Suzanne, Madeleine, Joseph ou Gaspard. Mais la propagation du prénom "de bas en haut" marque le pas depuis quelque temps. Avec Internet, on peut innover, on a moins besoin de "modèle". Le prénom Nathan en est un exemple, qui est très en vogue en France, mais aussi en Europe et aux Etats-Unis.

"Très en vogue", cela veut dire de manière égale, dans toutes les classes sociales ?

Cela veut dire qu’il est massivement attribué, et donc, en général, par toutes les classes sociales.

Y a-t-il des constantes, des prénoms associés à une catégorie sociale particulière, qui résistent aux modes et au temps ? Les prénoms composés du type Charles-Edouard sont-ils toujours réservés aux classes supérieures ?

Le prénom composé n’a plus la même cote. Les prénoms composés qui sont aujourd’hui à la mode sont plutôt Mohamed-Ali ou Lily-Rose. On ne va plus vraiment trouver de prénom composé dans les classes sociales élevées. Dans les milieux plus modestes, on va trouver en revanche beaucoup de prénoms composés avec des prénoms arabes. Et, côté féminin,  beaucoup de Lily Rose, qui s’inspire du prénom de la fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis. Il y a aussi des Lou-Anne. Les prénoms composés n’ont plus ce lustre BCBG ou guindé qu’ils pouvaient avoir auparavant.

Quels sont les nouveaux noms BCBG ?

Ce sont des prénoms qui ne sont pas popularisés. Les classes supérieures puisent dans un vivier de prénoms familiaux, ils recyclent le prénom du grand-père ou de l’arrière-grand-père, l’idée étant d’éviter le prénom trop répandu. Ce sont, par exemple : Foulques, Maïeul, Garance…

Garance est assez répandu, déjà…

A Paris, oui. Suzanne et Madeleine sont très peu attribués au niveau national, mais ils le sont pas mal à Paris. Les prénoms rétro ont commencé à apparaître dans la capitale bien avant de se répandre dans toute la France.

Il y aurait donc une propagation des prénoms du haut vers le bas et de Paris vers la province ?

C’est assez vrai, mais on ne peut pas en faire une généralité. Paris a donné le la sur les prénoms rétro et les prénoms de l’Ancien Testament. Mais les innovations comme Timéo et Lilou, qui sont des prénoms peu donnés dans les classes sociales supérieures, n’apparaissent pas dans le top 100 parisien. Lilou a pour origine "Le Cinquième élément" de Luc Besson. Nolan est aussi un prénom répandu dans les classes plus modestes. Il est apparu d’abord en Bretagne et s’inscrit dans la vogue des prénoms irlandais.

Peut-on tracer des lignes qui guident les modes à l’intérieur de chaque classe sociale ? Peut-on dire, par exemple, que ce qui prime dans les classes supérieures, c’est le besoin de se distinguer ? Que le plus important, dans les classes moyennes, c’est de s'inscrire dans la tendance ?

Il y a une constante, c’est la distinction, et cela, dans toutes les classes sociales. Dans les classes moyennes, les parents vont par exemple décider d’écrire Maylis avec deux "s" ou Nolan avec un "e". Il faut savoir que le répertoire des prénoms augmente significativement chaque année. A cela s’ajoutent des variantes, qui vont permettre aux parents de se démarquer davantage. Dans les classes supérieures, les recherches de prénoms vont se faire dans un registre plus classique, ou plus rare. C’est le cas d’Octave, par exemple, qui est très peu donné, et qu’on ne trouvera pas dans les classes ouvrières, qui le trouveront trop précieux, trop typé. Le prénom Emma aurait pu connaître le même destin, mais il a été rattrapé par un succès européen et planétaire qui fait qu’il a été adopté par toutes les classes sociales.

Y a-t-il des prénoms communs à toutes les classes sociales ?

Il peut, effectivement, y avoir un engouement commun. C’est le cas d’Alice, qui se retrouve aujourd’hui dans le top 20 national.

Sait-on pourquoi un prénom se propage au-delà du cercle dans lequel il apparaît et pourquoi un autre ne "prend pas" ?

L’effet des dynamiques de propagation, aujourd’hui, est un peu freiné par le fait que le répertoire s’agrandit sans cesse. Le choix de prénoms est devenu tellement vaste qu’il est plus difficile, aujourd’hui, de mesurer le mécanisme de propagation. Le phénomène de diffusion, par exemple, de Camille et Thomas qui étaient très en vogue dans les années 90, ne joue plus aujourd’hui de la même façon, même s’il est encore réel. Il y a des tas de dynamiques qui entrent en jeu qui font qu’on ne peut plus dire que ce sont toujours les prénoms chic qui se diffusent.

En fin de compte, est-ce que le point commun à toutes les classes sociales – et la nouveauté -, ce n’est pas le besoin, l’envie, de se distinguer ?

Effectivement. Depuis le début des années 2000, le phénomène de distinction est flagrant. On peut le relier à la montée de l’individualisme, mais aussi au marketing de plus en plus agressif pratiqué par les marques. Et puis, il y a eu la libéralisation de la législation en 1993 : avant cette date, l’état civil pouvait en effet interdire un prénom. Depuis, virtuellement, tous les prénoms sont acceptés, ce qui explique l’élargissement considérable du répertoire des prénoms.

Propos recueillis par Barbara Lambert

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