Prélèvement à la source : comment François Hollande occupe le terrain des réformes sans toucher à l’essentiel<!-- --> | Atlantico.fr
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La question du prélèvement à la source de l'impôt refait débat.
La question du prélèvement à la source de l'impôt refait débat.
©www.flickr.com/photos/teegardin/

Fumisterie

Régulièrement débattue en France, la question du prélèvement à la source de l'impôt refait surface depuis que le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale Bruno le Roux a annoncé dimanche 24 mai sa mise en place avant la fin 2017. Une mesurette de plus dans le quinquennat Hollande qui cherche à distraire l'opinion des problèmes de fond.

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Réforme des rythmes scolaires ou prélèvement à la source, en quoi les réformes du quinquennat Hollande s'attaquent elles plus à l'aspect superficiel plutôt qu'au fond des dossiers ?

Jean-Charles Simon : En matière fiscale comme dans d’autres domaines, il est souvent plus commode de s’attaquer à des sujets de vie pratique plutôt qu’au fond et au contenu. C’est souvent beaucoup plus visible politiquement, ça peut marquer les esprits à peu de frais et ça évite surtout de s’attaquer à des problématiques plus complexes.

Toutefois, le sujet du prélèvement à la source est moins anodin qu’il n'y paraît. Son instauration marquerait notamment une évolution importante du rapport à l’impôt. Regardez les prélèvements déjà effectués à la source, comme la CSG et les cotisations sociales employeur. Ils pèsent davantage que l’impôt sur le revenu mais sont pourtant nettement moins perceptibles par les Français, compte tenu du processus déclaratif de l’IR.

Par ailleurs, la retenue à la source est en fait complexe à mettre en œuvre, et très sensible politiquement. Comment éviter, en passant d’un système à l’autre, d’avoir à payer une même année deux fois l’impôt, celui de l’année précédente sur déclaration et celui de l’année en cours par prélèvement à la source ?

Jean Petaux : Il est difficile de déterminer ce qui est de l’ordre du superficiel et ce qui ne l’est pas. En politique il arrive très souvent que les sujets considérés comme symboliques aient une portée et un impact non seulement politiques mais aussi économiques ou sociaux bien plus forts que les questions considérées comme structurelles. La réforme des rythmes scolaires par exemple peut paraître relever du gadget mais si elle produit des effets positifs dans la capacité qui sera celle des élèves des classes primaires à se concentrer pour mieux apprendre alors cela n’aura pas été qu’un simple "truc". Le raisonnement vaut aussi pour le prélèvement de l’IRPP à la source. Il faut savoir que ce système existe depuis de très nombreuses années dans nombre de pays européens qui regardent la France avec beaucoup d’étonnement. Pour les fonctionnaires par exemple qui sont payés par l’Etat (donc, entre autres contributions, par le produit de l’IRPP) on est en droit de se demander pour quelles raisons leur revenu mensuel n’est pas amputé de leur impôt dès leur qu’ils participent eux-mêmes, par leur propre IRPP à leur propre rémunération. Ils perçoivent un revenu de l’Etat, ils paient un impôt sur ce revenu à l’Etat. Si l’Etat les rémunérait déduction faite de ce que les fonctionnaires lui rendent ce serait juste deux fois plus simple.

Déjà à l’époque du gouvernement Jospin cette réforme a été envisagée. Elle devait coûter son poste ministériel à Christian Sautter, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, conduit à démissionner le 27 mars 2000 face à une grève très dure du syndicat CGT des Finances, hostile à ce dispositif de prélèvement à la source. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette initiative n’est jamais ressortie des cartons y compris sous la droite qui a toujours craint son caractère très "politique" et explosif.

En réalité il y a une autre raison pour laquelle François Hollande et Manuel Valls ont décidé de réinscrire cette réforme du mode de prélèvement de l’IRPP à l’agenda. A terme ce qui peut s’envisager, quand on aura généralisé la prélèvement à la source, c’est une fusion avec la CSG pour faire une sorte de "super-CSG" progressive en somme. L’aile gauche du PS est très favorable à cette fusion en considérant là qu’il y aurait une vraie avancée sociale. Dans une période de préparation du prochain congrès du PS à Poitiers cela ne mange pas de pain que d’envoyer un signal (même faible mais clair) aux "frondeurs" qui ont plus besoin désormais d’être "câlinés" qu’humiliés après leur piètre résultat lors du vote sur les 4 motions cette semaine (29%).

Comme vous pouvez le constater, pour François Hollande il n’y a pas de "dossier superficiel" et de "fond de dossiers" : tout fait sens. Normal quand on est déjà en campagne pour sa propre réélection.

"Il reste encore deux ans pour que les Français prennent conscience que François Hollande est un grand président" a affirmé le ministre du Travail. Est-ce que ce type de mesure peut suffire à François Hollande pour muter en "grand président" ? Dans quelle mesure cette proposition de prélèvement s'inscrit-elle dans la tradition de ce quinquennat de préférer les mesures symboliques plutôt que celle qui s'attaquent véritablement aux problèmes ?

Jean-Charles Simon : Non, ce n’est évidemment pas une mesure très structurante. Même si elle permettrait d’aligner la France sur ce qui est pratiqué dans la plupart des pays, d’éviter le décalage d’un an entre revenus et impôts, qui peut être difficile à gérer en cas de forte baisse des revenus, et d’alléger les coûts de collecte et de contrôle de l’impôt, ce n’est pas une réforme majeure.

Alors qu’on a dépassé les trois cinquièmes du quinquennat, il s’agit certainement de donner le plus possible le sentiment de l’action et de la réforme. Après de nombreux reculs, par exemple en matière fiscale sur la fusion IR-CSG ou l’écotaxe. Comme des réformes en profondeur ne sont pas possibles, on essaie de trouver des marqueurs qui font beaucoup de bruit, même s’ils sont superficiels.

Politiquement, ça peut d’ailleurs marcher : ainsi, supprimer des petits impôts peut-être très visible, comme ce fut le cas par exemple de la vignette automobile, alors que réformer en profondeur un impôt très lourd comme la taxe professionnelle en 2010 touche beaucoup moins les électeurs, et crée beaucoup plus de problèmes !

Jean Petaux : Encore une fois la question de l’ampleur de telle ou telle mesure ne me paraît pas essentielle. L’expression "un grand président" est assez ridicule en fait. On est complètement dans des effets de construction d’images. Est-ce que telle ou telle réforme est grande ? Par rapport à quoi ? Existe-t-il un système métrique qui permet d’étalonner les grandes et les petites réformes ? Qu’est-ce qu’une réforme normale ? Je ne voudrais pas me risquer à des comparaisons audacieuses que d’aucuns pourraient qualifier de grivoises... Même chose pour la "taille" du président. Seuls les "grands courtisans" (au sens de "gros fayots") se livrent à ce genre d’hagiographie. 

Quant à savoir si de "grandes mesures" font forcément un "grand président" c’est une proposition qui n’est absolument pas vérifiable. Pour la raison première que j’ai déjà évoquée : "qu’est-ce qu’une grande mesure ?". Mais pour une autre raison : on ne peut, bien souvent, évaluer une décision politique qu’au bout d’un certain temps. Parfois même quand l’homme politique qui l’a portée n’est plus au pouvoir. Un seul exemple : la décision du président Georges Pompidou de ne rien faire pour empêcher qu’un accord soit signé entre la SNIAS, DASA et Hawker Siddeley le 18 décembre 1970 pour créer le GIE Airbus Industrie est une toute petite décision (c’est même une "non-décision" puisqu’à l’époque personne ne croit à cette aventure) et cela va aboutir à la plus belle réalisation aéronautique européenne avec un groupe qui compte aujourd’hui 144.000 salariés dans le monde dont 37% de Français et qui bat Boeing.

On pourrait peut-être concevoir que des événements historiques à la mesure de ce qu’a pu connaître de Gaulle par exemple : la décolonisation, la fin de la guerre d’Algérie, pourraient offrir une opportunité pour devenir aussi un "grand président" mais ces événements où l’histoire semble s’écrire dans le présent sont assez rares. François Mitterrand par exemple n’a pas compris grand-chose à la chute du Mur de Berlin et à l’effondrement du bloc soviétique à partir de l’été 1989 et du 7 novembre de cette même année. Et pourtant, là encore, l’histoire a basculé "en direct".

Quels sont les leviers à la disposition de Hollande pour agir en profondeur sur la réalité économique et fiscale ?

Jean-Charles Simon : Il pourrait avoir de très nombreux leviers s’il était en capacité de réduire massivement les dépenses publiques. Ce qui est un préalable quasiment incontournable à de vraies réformes fiscales. Car sans cette baisse des dépenses, et alors qu’il n’est pas possible d’aggraver notre déficit déjà supérieur aux fameux 3%, il n’est envisageable de faire que des réformes fiscales à rendement constant. Ce qui est assez limitatif et souvent périlleux politiquement : une réforme fiscale à rendement constant fait forcément des perdants si elle fait des gagnants…

Or, comme ses prédécesseurs, ce gouvernement paraît incapable de réduire les dépenses publiques, qui ont battu un nouveau record historique en 2014 à 57,4% du PIB. Dans ce cadre, les chantiers fiscaux et économiques sont forcément symboliques ou relativement marginaux. C’est d’ailleurs la marque du projet de loi Macron : très peu de mesures qui "coûtent", faute d’argent, mais de multiples règles juridiques modifiées pour essayer de fluidifier le fonctionnement de l’économie du pays… en espérant que ce soit suffisant.

Jean Petaux : Il y en a très peu. Contrairement à ce que racontent les tenants d’une autre politique. Tout simplement parce que la France est totalement insérée dans des règlements supra-nationaux. La grande réforme fiscale promise est politiquement très compliquée à mettre en œuvre. Sur la seule question du prélèvement à la source il n’est pas du tout écrit que cette réforme se passe bien. Les Français vont d’abord constater que leurs revenus mensuels sont amputés, même progressivement jusqu’en 2017. Peu leur importera que la somme prélevée était destinée à être payée l’année n+1… Ils constateront une perte nominale de leur pouvoir d’achat mensuel. Cela risque de provoquer un joli pataques quelques mois avant la présidentielle de 2017. La France est assez incapable d’envisager quoi que ce soit comme réforme en ce moment. Chacun est totalement accroché à son rocher en hurlant dès qu’arrive l’annonce du moindre changement.

La vie politique française elle est contrainte à ce type d'approche ?  Est ce le symptôme d'une impuissance publique ?

Jean-Charles Simon : Clairement, la constante de ces trente dernières années est l’incapacité de tous les gouvernants à baisser fortement l’impôt, à cause de dépenses non maîtrisées. C’est tout un pan de l’action économique qui est donc inaccessible : pas de choc possible à la Thatcher ou à la Reagan pour stimuler l’économie en abaissant radicalement les prélèvements.

Mais il y a d’autres facteurs. D’abord, les politiques français restent très dépendants de l’administration des finances, qui est toujours soucieuse de maintenir le rendement de l’impôt. Et rarement de bonne composition quand il s’agit de le diminuer. Ensuite et surtout, les politiques mesurent le rapport coûts / bénéfices de leurs actions pour leur carrière. Contraints, faute de marges de manœuvre, à des réformes fiscales au mieux à somme nulle, ils savent combien les perdants ont la mémoire plus longue que les gagnants… Ce n’est donc pas très motivant de rééquilibrer un impôt s’il vous aliène de nombreux électeurs. Nous vivons par exemple cela depuis plus de 40 ans avec la taxe d’habitation et la taxe foncière : elles sont injustes, mais la fameuse "révision des bases" a été maintes fois repoussée car aucun responsable ne veut faire face à la colère de ceux qui seraient perdants.

Plus de courage, des responsables politiques qui ne seraient pas là pour durer mais pour agir, une vraie capacité à couper dans les dépenses publiques et donc à réformer le modèle social français : il faudrait changer beaucoup de choses dans la vie politique française pour dépasser cette "impuissance publique" que vous évoquez...

Jean Petaux : Montesquieu explique, dans "L’Esprit des Lois"  "qu’en général les Peuples sont très attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment, c’est les rendre malheureux ; il ne faut donc pas les changer mais les engager à les changer eux-mêmes"("L’Esprit des Lois", XIX, 14 cité page 307 dans l’ouvrage d’Alain Juppé, édition 2015).

Il est très intéressant de rapprocher cette analyse écrite au milieu du XVIIIème siècle de la manière par exemple avec laquelle Chirac a gouverné ou de celle avec laquelle gouverne Hollande aujourd’hui. Dans le discours tous les deux sont aux antipodes de Sarkozy, toujours prompt à dire qu’il allait tout changer en rompant avec tout ce qui existait avant. Dans les faits les deux anciens présidents et l’actuel sont en réalité très proches : ils n’ont pas transformé considérablement la structure du pays. Les réformes de Sarkozy ont toutes fait "pschitt" et celles de Chirac ont, pour la plupart, été retirées dès que le pays grondait. Finalement le constat que l’on peut faire c’est que celui qui semble le plus "têtu" et le plus dur dans le maintien de ses (quelques) réformes c’est Hollande. Il n’a pratiquement jamais reculé sauf sur les "bonnets rouges bretons" et l’écotaxe.

Je ne saurais dire si cette incapacité à faire de "grandes réformes" est le symptôme d’une impuissance publique en France. Elle me semble en tous les cas significative d’une grande fragilité du corps social, d’une forte lassitude en quelque sorte mêlée à une profonde inquiétude qui s’exprime aussi bien par une poussée puissante du repli sur soi, d’un refus d’aller plus loin dans l’intégration européenne, d’une peur de l’étranger et de tout ce qui incarne le changement. Lequel changement est immédiatement considéré comme potentiellement porteur d’une aggravation de la situation vécue ou ressentie. Ce n’est pas tant d’impuissance publique qu’il est question ici, c’est d’une grave crise de confiance dans la capacité de la puissance publique à produire une transformation positive.

Ce n’est pas du tout propre à la France au demeurant. En Pologne, ce dimanche, a eu lieu le second tour de l’élection présidentielle. Précisons ici que bien qu’élu au suffrage universel le président polonais "préside" mais "ne gouverne pas". La Pologne est un des pays européens qui enregistre un des plus forts taux de croissance, le chômage est faible et les Polonais connaissent depuis au moins dix ans une sorte de "miracle" économique. Le président Komorowski, homme très consensuel,  qui se présentait pour son second mandat, a été battu par un jeune candidat de 43 ans issu du parti de droite "Droit et Justice" des frères Kaczynski, Andrzej Duda, quasi-inconnu. Il a obtenu 51,55% des voix. Même les jeunes ont voté pour lui. Il est eurosceptique et se propose de corriger socialement les effets du libéralisme économique porté depuis 15 ans par la "Plateforme Civique" au pouvoir. Preuve s’il en est que d’excellents résultats économiques ne font pas une réélection et que le repli gagne partout. C’est bien, aussi, ce qui explique les résultats des élections espagnoles ce même week-end.

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