Pôvre Marseille, et maintenant un pacte national : y a-t-il vraiment une fatalité à ce que les réponses politiques ne soient pas à la hauteur de la situation ?<!-- --> | Atlantico.fr
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"La division des pouvoirs publics et des élus est l’un des meilleurs alliés des criminels".
"La division des pouvoirs publics et des élus est l’un des meilleurs alliés des criminels".
©Reuters

Chroniques phocéennes

Alors que les règlements de comptes se multiplient dans la cité phocéenne, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls a appelé à "un pacte national" pour Marseille. Une solution qui ressemble plus à un effet d'annonce qu'à une politique à la hauteur du problème.

Atlantico : Pour mettre fin à la violence qui gangrène Marseille et qui semble avoir connu une recrudescence depuis quelques mois, le ministre de l'Intérieur a annoncé la mise en place d'un "pacte national". Il s'agit de réunir élus locaux et responsables de la sécurité en mettant de côté les clivages politiques. Cette initiative peut-elle changer la donne ?

Mathieu Zagrodzki : A vrai dire, je ne vois pas bien en quoi une réunion entre élus permettrait d'élucider une série d'homicides. Pas plus qu'elle ne le permettrait le reste de l'année, quand les élus se querellent. C'est une forme d'affichage politique, qui permet de convoquer des notions fortes comme "l'union sacrée" ou le "front uni". Après, je ne jette pas forcément la pierre à Valls, qui ne peut pas vraiment faire autrement que de réagir ainsi, dans le feu de l'action. La vérité, c'est qu'il s'agit de problématiques policières qui nécessitent du temps, comme il l'a rappelé lui-même. A Marseille, les meurtres sont liés au trafique de drogue. Démonter des réseaux, remonter des filières ne peut pas se faire du jour au lendemain.

Christophe Soullez : Tout se qui peut contribuer à améliorer le dialogue, les échanges et la collaboration entre les différents acteurs impliqués dans la prévention et la lutte contre la criminalité relève d’une démarche positive. Il est important que les différentes institutions puissent se parler et surtout tenter de trouver des solutions partagées. La division des pouvoirs publics et des élus est l’un des meilleurs alliés des criminels. Par ailleurs, une politique publique ne peut passer que par des actions transversales et par une très forte collaboration entre élus, police et justice. Il faut que tous soient sur la même longueur d’onde et agissent de concert. Mais une telle initiative, si elle est positive, ne sera surement pas suffisante. S’il faut sortir des polémiques et des postures politiques, voire idéologiques, il faut aussi des moyens, des stratégies et des programmes d’action.

Quelles mesures préconiseriez-vous pour un territoire comme Marseille ?

Mathieu Zagrodzki : Il faut bien sûr de la présence policière, des hommes sur le terrain. Ca ne change pas forcément grand-chose à court terme, mais ça a le mérite de rassurer la population. Et il faut surtout armer davantage les enquêteurs, avec de vrais moyens logistiques. Autre chose : il faut mieux répartir les effectifs, pas forcément les augmenter. Nous avons un taux de policiers par habitant bien supérieur aux Etats-Unis par exemple. Il y a aussi toutes ces tâches dont les policiers sont exemptés à l'étranger et qui sont assumées par des personnels civils administratifs. En Angleterre, ce ne sont pas forcément des policiers que vous appelez en composant le 911. En France, combien d'agents sont immobilisés à la surveillance de bâtiments, ambassades, pâtés de maisons des décideurs politiques ?

Christophe Soullez : Il faut déjà développer et intensifier l’analyse de la criminalité à Marseille. Pour que des actions puissent porter leurs fruits il faut préalablement connaître ses cibles. La police a besoin de réinvestir le renseignement opérationnel et le renseignement de proximité tout en mettant en place une véritable culture de l’analyse criminelle. Qui fait quoi ? Quels sont les nouveaux leaders ? Car, aujourd’hui, à Marseille on assiste à une recomposition du milieu lié au trafic de stupéfiants.

Après l’assassinat de Francis Le Belge en octobre 2000 le Milieu a semblé éclater. Deux guerres se déclenchent à Marseille et en Corse : l’une de succession pour les parrains, l’autre de sécession avec les caïds des cités. Une partie des affaires est reprise par les Corses, alors que, pour d’autres, on observe une atomisation autour de plusieurs bandes dont les membres sont issus des quartiers sensibles de Marseille. Le Milieu marseillais s’est donc balkanisé entre les gitans, les jeunes maghrébins des quartiers Nord, un temps sous la coupe de  Farid Berrahma (dit « le rôtisseur »), les Bastiais et les Marseillais de souche. Les règlements de compte sont ainsi la conséquence d’une concurrence de plus en plus forte entre les différentes bandes mais également d’une moindre professionnalisation de protagonistes qui sont de plus en plus jeunes et qui n’ont pas nécessairement le même sang-froid ni les mêmes limites que les anciens parrains. De même, le marché des stupéfiants étant moins dynamique (stabilité voire baisse de la consommation en France) les bénéfices diminuent et il est donc nécessaire d’éliminer la concurrence pour maintenir un niveau d’activité élevé. 

Les coups portés par la police judiciaire à certains clans, comme l’interpellation des frères Michel et Gérald Campanella et de Bernard Barresi, en 2010, ou encore l’incarcération de Jacques Cassandri en janvier 2011, ont contribué à laisser le champ libre à d’autres groupes issus des cités et qui se livrent une guerre sans merci pour préserver leur territoire et leurs intérêts commerciaux.

Il faut ensuite admettre que Marseille, par son histoire, ses caractéristiques criminelles (plaque tournante du trafic de stupéfiants notamment), son urbanisme (les cités sont au cœur de la ville et non à la périphérie), sa géographie (une ville 4 fois plus étendue que Lyon) en font un territoire à part. Et il convient donc que les réponses apportées soient aussi extraordinaires. Marseille, comme peut-être certains autres territoires, doit bénéficier de dispositifs et de moyens hors normes. Il faut concentrer les moyens de l’Etat, durant le temps nécessaire et pas seulement en envoyant quelques CRS durant quelques semaines, sur les territoires les plus criminogènes. Et pas seulement les moyens policiers mais aussi multiplier les ressources judiciaires.

Il ne serait pas non plus inutile de renforcer la police judiciaire. La lutte contre la criminalité à Marseille passe obligatoirement par le démantèlement des réseaux de trafiquants. Aujourd’hui, c’est principalement la drogue qui structure l’économie souterraine marseillaise. Or, les affaires de trafic de stupéfiants demandent des procédures complexes, longues et aussi couteuses. Pourtant, ce n’est qu’en faisant tomber les têtes de réseaux que le crime reculera. Mais cela demande des compétences, des agents spécialisés, rompus aux arcanes de la procédure pénale, et surtout de l’imagination. Les méthodes innovantes mises en place depuis quelques années et visant notamment à « attaquer » les criminels à travers le contrôle de leurs revenus, la confiscation de leurs biens et la saisir de leurs avoirs sont, sans contestes, des stratégies à développer.

Il faut, bien entendu, que la justice soit pleinement impliquée dans ce processus et que la réponse pénale soit à la hauteur des enjeux. C’est pourquoi j’évoquais aussi la question des moyens de la justice, du parquet jusqu’aux structures de prise en charge des détenus, en milieu ouvert ou fermé.

On a le sentiment qu'on ne peut pas forcément aller plus loin dans la réponse policière à Marseille. En d'autres termes, y a-t-il une fatalité du crime dans cette ville ?

Mathieu Zagrodzki : Il faut relativiser un peu. Bien sûr, les 15 morts de cette année à Marseille sont 15 morts de trop. Je ne serai pas non plus de ceux qui vous diront que l'insécurité est un fantasme, dont il ne faut pas parler sous peine de stigmatiser certains quartiers. Mais dans les années 1970, c'était plutôt 60 morts par an dans les règlements de compte du milieu. Quand à New-York dans les années 1980, on dépassait les 2000 homicides par an. Ce qui est vrai en revanche, c'est que les personnes impliquées sont souvent bien plus jeunes qu'autrefois.

Christophe Soullez : Non il n’y a pas de fatalité du crime. Mais il est aussi évident qu’on ne résout pas une situation qui a pris naissance avant la Seconde Guerre mondiale en quelques mois. Là encore, il est parfois utile d’avoir une vision un peu rétrospective. Marseille a connu des périodes beaucoup plus sanglantes. En 1985/1986, on comptait plus de 40 règlements de compte par an. Des guerres entre truands se sont succédés : guerre des cliniques, des discothèques, des machines à sous, etc. Malheureusement, Marseille a une vieille tradition liée au banditisme.

Il est toujours possible de trouver des solutions efficaces dès lors que la volonté et les moyens existent. Lorsque dans les années 1970, l’Etat français, sous la pression des Américains, a voulu mettre fin à la French Connection, il y est parvenu et la police a remporté d’importants succès dans le crime organisé et a pu mettre fin à l’un des plus importants trafic international d’héroïne.

Je le redis mais l’Etat doit réfléchir à une véritable concentration des moyens, quitte à rompre le sacro saint principe français d‘égalité des territoires. Créer une task force, un service temporaire de police judiciaire spécialisé sur Marseille avec des agents issus également des douanes, des services fiscaux, serait peut être une solution… Et si possible avec des fonctionnaires qui ne travaillent pas dans la ville depuis des années afin d’éviter les tentations et de surmonter les éventuelles interférences amicales.

Les pouvoirs publics sont-ils prêts à reconnaître que certains cas nécessitent le recours à des méthodes autoritaires ? Le pouvoir actuel peut-il être accusé d'angélisme ?

Mathieu Zagrodzki : Il faut quand même rappeler qu'il y a toujours eu des tenants de la ligne sécuritaire au PS. Je pense à des personnalités comme Jean-Pierre Chevènement, par exemple. Je crois que les responsables de gauche sont sincères quand ils soutiennent qu'ils sont sortis de l'angélisme. Pour revenir sur les problématiques proprement policières, il faut quand même reconnaitre que certains corps des forces de l'ordre se sont peut-être trop longtemps concentrés sur le milieu du grand banditisme, en négligeant la criminalité venue des cités. Pour le dire autrement, on laissait ça aux équipes de la BAC, pendant que la police judiciaire se consacrait aux gros poissons. On n'a pas forcément vu l'émergence de cette criminalité. Mais désormais, c'est une donnée bien intégrée.

Christophe Soullez : Je ne sais pas si ce sont des méthodes autoritaires qui sont nécessaires. Mais, surtout, il est indispensable que les autorités comprennent que tous les territoires ne se ressemblent pas et que certains ont peut être besoin de plus de moyens que d’autres et de stratégies aussi différentes. En France, depuis des années, et par tradition centralisatrice, on aime bien avoir des politiques homogènes sur tout le territoire. On adopte une mesure, un dispositif, et on se dit qu’il faut l’appliquer partout de la même manière. C’est ce qui s’est passé avec la plupart des dispositifs adoptés depuis 15 ans, de la police de proximité aux ZSP en passant par les contrats locaux de sécurité, etc. Il faut sortir de cette logique et essayer d’adapter les réponses aux territoires criminels (qui n’ont pas nécessairement les mêmes frontières que les territoires administratifs). En médecine, il y a bien des traitements différents selon le type de maladie, et même au sein d’une même famille de maladie, il y a des variantes dans les traitements qui sont administrés. Il faut faire la même chose en matière de criminalité. Il est clair qu’il faut des réponses claires, cohérentes et fermes de la part de l’Etat mais il faut aussi une vraie révolution culturelle administrative et cela concerne tout autant la gauche que la droite.

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