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Pourquoi vous n’avez pas le même avis sur l’affaire Benalla que votre belle-mère malgré des heures de discussion (spoiler : c’est votre cerveau qui est en cause)
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Biaisé

Certains voient en Emmanuel Macron un réformateur, une alternative au populisme ; d'autres un homme arriver au pouvoir et qui compte bien en faire profiter son camps. Deux visions de l'affaire Benalla qui divisent selon qu'on soutienne ou non l'actuel président.

Albert Moukheiber

Albert Moukheiber

Albert Moukheiber est docteur en neuroscience et psychologue clinicien. Il s'intéresse tout particulièrement aux biais inconscients. Il a fondé Chiasma, une association avec laquelle il anime des débats publics sur ces questions. 

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Atlantico : L'affaire Benalla peut-être interprétée de deux façons différentes selon l'opinion que l'on se fait d'Emmanuel Macron. Qu'est-ce que cela révèle de notre capacité à interpréter des événements ?

Albert Moukheiber : Je ne dirai pas qu'elle peut être interprétée de deux façons. Je pense qu'on est en train de voir deux façons polarisées, mais il y a tout un modèle d'interprétations possibles entre ces deux extrêmes. Simplement, on a tendance à présenter les positions les plus extrêmes en général. C'est-à-dire les gens qui défendent Emmanuel Macron et qui disent que ce n'est pas très, très grave ; et d'autre part les gens qui disent que c'est inacceptable et qu'il faut presque qu'E. Macron démissionne. 
Ces deux versions sont donc polarisées. Mais au final, sur ce sujet-là, si on regarde dans le détail, il y a toute la palette possible d'interprétations entre ces bornes maximales. Mais, évidemment on est toujours en train d'interpréter les choses selon nos aprioris et nos croyances.  

Quels rôles joue les biais cognitifs dans ces interprétations ?

En fait, les biais cognitifs sont intégrés dans notre manière d'interpréter le monde. Ce n'est pas qu'il n'y a pas de vrai, que chacun est en train d'inventer une histoire. Il y a un substrat de vrai, il y a une affaire qui a eu lieu, quelqu'un a frappé deux personnes, puis ensuite entre en jeu le sens que l'on donne à l'affaire. Naturellement, les biais cognitifs vont jouer sur notre interprétation. Par exemple, on va faire des biais de minimisation ou de sélection. Si on est plutôt pro Macron, on dira qu'il y a toujours eu des dérives. Notre discours sera de l'ordre du "pourquoi êtes-vous en train de vous cristalliser sur lui ?". A ce titre , on a entendu les membres du gouvernement dire qu'il y a 1000 personnes qui travaillent à l'Elysée et qu'ici il s'agit seulement d'une personne et que, par conséquent, cette affaire ne démontre rien. On appelle ce raisonnement un appel à l'incrédulité. A l'inverse on peut trouver des postions caricaturales, ici on comparera ce fonctionnement à celui d'un régime autoritaire, bien que le sache qu'on ne se situe pas, ici, dans ce cadre.
Il faut séparer l'utilisation des biais cognitifs. Parfois il s'agit d'un peu de mauvaise fois, utilisée, entre autre, par les élites politique pour faire de la communication. Ce qui est normal, elles jouent là-dessus, c'est un peu leur job. Et dans ce cas, il ne s'agit pas vraiment d'interprétations inconscientes du monde, mais de mauvaise fois. Mauvaise fois qui repose aussi sur des biais cognitifs. En dehors de la mauvaise fois et des biais utilisés pour l'alimenter,  il y a des citoyens qui essayent de se faire leur opinion. Opinions et qui effectivement seront coloriées par ce à quoi ils croient ou non. Est-ce qu'on est plutôt sympathisant de Macron ou est-ce qu'au contraire on a voté pour lui et on est à présent déçu ? Si c'est le cas, alors on se sentira un besoin d'aller encore plus contre lui comme pour corriger notre "erreur". Et là, on se trouve face à des éléments un peu plus complexes et qui dépendent vraiment de l'interprétation de tous.
Mais c'est important pour moi que l'on ne croit pas que tout est biais cognitif et qu'ainsi le réel n'existe pas. Il y a des choses qui sont réelles, c'est pour ça qu'on a des lois, un système juridique... Ils servent à réduire au maximum les biais que l'on pourrait avoir. En revanche, il est vrai que selon nos aprioris et selon la manière dont l'information est présentée -il y a même des fake news qui tournent d'un côté comme de l'autre- , qu'il y a plusieurs facteurs qui impactent notre pensée. Entrent alors en jeu, la personne qui présente ces faits, dans quel média l'information est présentée et notre opinion à l'origine. Par exemple, si je lis une information qui défend Macron dans le Figaro et que je suis de gauche, ça n'aura pas le même impact sur moi que si je lis cette même information dans Mediapart. La personne qui émet le sujet impact la façon dont il sera perçu. 
On est influençable pour une raison simple et mécanique : nous n'étions pas présent et donc nous ne basons notre opinion que sur un fait :  on y croit ou à l'inverse on refuse d'y croire. Sur les images de Benalla, on ne voit pas vraiment ce qui se passe, et on en vient donc à pouvoir imaginer beaucoup de choses. L'important c'est de ne pas tomber dans une logique de fausse équivalence et se dire que toutes les opinions se valent car tout est biaisé et donc qu'au final tout est faux. Les conséquences sur l'opinion publique peuvent être biaisées mais il y aussi les conséquences légales. Les conséquences sur l'opinion dépendent de l’ambiguïté des faits or la notion de biais est dépendante de cette même ambiguïté. Ici quelques éléments sont clairs : Benalla portait un brassard de police, il a frappé deux individus. Ensuite vient l'ambiguïté : serait-il l'amant de Macron, a-t-il un vaste appartement, touche-t-il un gros salaire... Ici, je ne sais pas vraiment ce qui est vrai ou non, je m'éloigne de l’information et c'est une forme de persuasion.

Une fois que l'on a conscience du rôle de ces biais cognitifs, est-ce possible de passer outre ? De faire en sorte qu'ils n'impactent pas notre perception d’événements diverses et variés? De quel manière procéder ? 

En recherche, nous n'avons pas encore trouvé de moyen de mettre un teme aux biais cognitifs. On ne pense pas qu'il y ait une manière de ne pas être biaiser. Ce que l'on  peut faire c'est s’entraîner à détecter ces biais. Ainsi, une fois que l'on sait que notre opinion est biaisée, on créé une sorte de pause dans notre raisonnement afin de ne pas croire à tout automatiquement. Si je me dis, "ah ça c'est inacceptable", je peux faire une pause et me dire pourquoi serait-ce inacceptable, est-ce que je connais vraiment les faits ou suis-je en train d'être influencé par une morale religieuse, par mon appartenance à un groupe politique.... ? Je réfléchis donc à ma réflexion avant de la formuler.
L'esprit critique en fait partie et on se doit de le développer. Mais pas seulement la forme d'esprit critique qui voudrait qu'on soit suspicieux des autres, on doit aussi douter de notre propre opinion. Ne pas croire tout ce à quoi l'on croit, ne pas croire à toutes nos émotions, ne pas croire à chacun de nos ressentis.

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