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Pourquoi votre mémoire n’est plus ce qu’elle était… quel que soit l’âge que vous avez
©Allan Ajifo / Flickr

A retenir

Les fonctions cognitives liées à la mémoire évoluent au cours de la vie d'un individu sain, pour des raisons à la fois psychologiques et physiologiques. Bonne surprise : on ne fait pas que perdre en capacité en prenant de l'âge, certaines capacités apparaissent ou s'améliorent.

Patrick  Lemaire

Patrick Lemaire

Patrick Lemaire est professeur en psychologie cognitive au sein de l'université d'Aix-Marseille et directeur de recherche au CNRS. Il est auteur de deux ouvrages de synthèse de l'état de la science concernant le vieillissement cognitif: Psychologie du Vieillissement, co-écrit avec L. Bherer, publié en 2005 et édité par De Boeck (Bruxelles); ainsi que Vieillissement cognitif et adaptations stratégiques, publié en 2015, également aux éditions De Boeck. 

 

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Atlantico : La capacité à retenir des codes, des visages, des numéros de téléphone d'un individu varie au fil de la vie. Comment la mémoire évolue-t-elle au fil de l'existence? Comment cela s'explique-t-il ?

Patrick Lemaire : Certaines personnes conservent une bonne mémoire jusqu'à très tard dans leur vie et d'autres voient leur mémoire décliner dès l'âge de 20 ou 25 ans. L'évolution de la mémoire dépend notamment du temps passé à l'école étant jeune, du caractère plus ou moins stimulant du métier exercé, de la stabilité émotionnelle vécue... De même, certaines fonctions se dégradent plus que d'autres. Il a été démontré que les mécanismes d'encodage de l'information (pour ensuite la stocker) se dégradent plus facilement, plus rapidement et plus précocement que les mécanismes de maintien de l'information en mémoire.

Les causes sont de deux types : psychologiques et physiologiques.

Sur le plan physiologique, une perte de matière grise et de matière blanche – c'est-à-dire de cellules et de connexions entre elles – peut survenir. Certaines zones du cerveau sont plus touchées que d'autres par le vieillissement dont les zones frontales et temporales, qui sont justement le siège de la mémoire et des processus clé pour la mémorisation et le rappel des informations.

Sur le plan psychologique, la conservation d'une bonne mémoire peut s'expliquer en partie par l'utilisation de mécanismes de compensation. La meilleure manière d'encoder les informations est de le faire et à la fois de multiplier les modes d'encodage (e.g., s'auto-répéter mentalement couplé à un traitement profond, du sens de l'information à mémoriser). Cela a été prouvé par des expériences scientifiques en psychologie cognitive. La conclusion est la suivante : plus un individu met en oeuvre des mécanismes profonds de traitement de l'information, mieux il mémorise et pour plus longtemps. Les personnes âgées qui conservent une bonne mémoire sont celles qui utilisent leur mémoire de cette manière là.

Tous les domaines cognitifs sont-ils concernés de la même manière par le vieillissement ?

Non, les domaines cognitifs ne sont pas tous concernés par le vieillissement de manière similaire. Les premières fonctions cognitives touchées par le vieillissement sont la mémoire et les fonctions exécutives, (c'est-à-dire le contrôle cognitif). A l'opposé, celles les moins touchées sont par exemple le calcul mental ou le langage. Les capacités langagières subtiles ne commencent à se dégrader qu'à partir de 90-95 ans. Il y a une hétérogénéité des profils de vieillissement et des capacités qui déclinent avec l'âge. Certaines se détériorent très tôt et rapidement comme les fonctions cognitives de haut niveau (ex : le raisonnement, la prise de décision) ; d'autres, ce qui a été mis en place précocement dès l'école, très tard, peu et de manière assez lente (ex : le langage, le calcul mental).

Au niveau de la mémoire, on distingue la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. La première est liée à ce qui arrive dans la vie quotidienne (ex : j'ai rencontré mon cousin aux Galeries Lafayette la semaine passée). La mémoire sémantique est celle des connaissances générales, académiques (ex : Paris est la capitale de la France).

Ces deux systèmes mnésiques ne déclinent pas à la même vitesse, ni aussi précocement. La mémoire épisodique diminue beaucoup plus vite et plus tôt que la mémoire sémantique. La mémoire procédurale, celle qui régit nos savoir-faires (ex : cuisiner, jouer d'un instrument) est celle qui se détériore le moins et commence à décliner le plus tard. 

Quelles sont les choses que l'on réussit mieux à retenir à 25-30 ans qu'à 70 ? Et vice-versa ?

La mémoire évoluant au cours de la vie, certaines capacités ont en effet tendance à disparaître et d'autres à apparaître ou à s'améliorer. Ce qui s'appuie sur une base de connaissances accumulées au cours de l'expérience permet aux personnes âgées d'avoir de bien meilleures performances cognitives. Par exemple, lorsque l'on donne des problèmes complexes qui reposent sur une expérience de vie riche, on constate que les personnes âgées prennent de bien meilleures décisions que les personnes jeunes (e.g., c'est le cas du médecin expérimenté qui détecte une tumeur sur une radiographie bien plus rapidement et précisément que son jeune collège ; c'est aussi le cas de l'architecte âgé dont les capacités de visualisation spatiale sont très performantes comparativement à son collègue bien plus jeune). La mémoire intervient dans ce processus car elle est le lieu de l'accumulation de l'expertise et des bases de connaissances enrichies et suffisamment bien organisées pour une récupération et une utilisation rapide et efficace.

Dans tous les domaines cognitifs en réalité, si la mémorisation est liée à une base de connaissances que l'expérience de vie a permis d'enrichir et de bien organiser, les âgés réussissent mieux que les jeunes. A contrario, on réussit mieux la plupart des choses qui ne dépendent pas de l'expertise lorsqu'on a 25 ans que lorsqu'on en a 70. C'est le cas pour les problèmes de raisonnement, de logique, ne reposant pas sur des connaissances. Notons que, dès lors que ces capacités de raisonnement logique s'appuient sur une base de connaissances accumulées au cours d'une vie, on observe que les âgés ont des performances extraordinairement élevées comparativement aux jeunes.

Certaines personnes sont plus touchées que d'autres par la perte de mémoire. Existe-t-il des moyens de prévenir la perte de mémoire ? Si oui lesquels?

Oui, il existe des moyens de prévenir ou d'amoindrir cette perte de mémoire. Pour construire un individu qui perdra peu la mémoire en vieillissant, la recette est la suivante : aller longtemps à l'école, être stimulé le plus possible et le plus précocement possible (car il développera des réserves cognitives dont l'exploitation sera capitalisée au cours du vieillissement), adopter un mode de vie très sain. Tous les facteurs impactant la longévité physique et la santé en général sont des amplificateurs de maintien cognitifs au cours de la vie.

Propos recueillis par Adeline Raynal

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