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Pourquoi plus de 55% des électeurs français sont-ils prêts à voter pour des candidats dont le programme est irréalisable
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Atlantico Business

Il y a un mystère dans le fonctionnement des démocraties d’aujourd’hui, une large partie de l’opinion est prête à voter pour des candidats qui font des promesses irréalisables ou qui conduiraient à la catastrophe.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le mystère est entier. Plus de la moitié des électeurs (55%) serait prête à voter pour des candidats qui proposent un projet complètement irréaliste et qui, s’il était appliqué, conduirait sans doute à l’échec, voire à la catastrophe. Une grande partie des mêmes électeurs avait d’ailleurs déjà voté pour François Hollande en 2012, alors qu'on pressentait que son programme n’était pas réalisable. Ce qui explique son échec violent. C’est le mystère qui entoure le fonctionnement des grandes démocraties du monde développé. Si on compare les différentes offres politiques de cette présidentielle, si on s’arrête aux programmes et aux projets, on peut dire qu’ils se rangent en deux grandes catégories.

D’abord il y a des offres qui s’inscrivent dans la réalité du monde dans lequel nous vivons, c’est à dire un monde où les frontières sont ouvertes, où la libre circulation des produits, des capitaux et des hommes est protégée moyennant le respect d‘un certains nombre de règles et d’accords qui ont été négociés. Un monde qui est traversé par une mutation technique considérable du digital qui transforme tous les rapports entre les hommes et avec les choses. Un monde où l’enjeu environnemental est omniprésent, un monde où le système dominant sur la planète toute entière pour créer de la richesse est le système de l’économie de marché.

Les offres présentées par François Fillon et Emmanuel Macron se situent bien évidemment dans ce monde là. L’un comme l’autre en assume les contraintes et les défis. L’un comme l’autre en respecte les règles de fonctionnement. Même si les deux présentent bien des différences au niveau de l’application, ou des moyens politiques, on reste dans le même paradigme.

Les autres offres politiques sur ce marché de la présidentielle ne s’inscrivent pas dans ce monde là. De Jean-Luc Mélenchon à Marine le Pen, en passant par Benoit Hamon et les autres, tous se situent en dehors du système d’organisation du monde moderne. Ils refusent de voir la globalisation de l’économie, ils refusent l'appartenance à l’Union européenne, ils nient l’importance de l’euro, ils refusent même d’admettre la nécessité que nous avons d’emprunter de l’argent à l’extérieur et certains d’entre eux annoncent même qu’ils ne rembourseront pas les banquiers.

Aucune de ces propositions n’est réalisable. On ne peut pas sortir de l’euro sans payer une facture exorbitante, on ne peut pas s’asseoir sur un endettement sans prendre le risque d’être séché complètement par les banques, on ne peut même pas prévenir qu’on remboursera par un impôt sur les riches parce que les riches n’attendront pas d’être ruinés par le fisc. Ils auront fui avant.

On ne peut même pas fermer les frontières aux importations sans aller au devant d’une fermeture complète à l'export et prendre le risque de perdre un bon tiers des emplois marchands. On ne peut pas vivre en autarcie, imposer une non-croissance, des coupures d’électricité ou des rationnement d’essence, etc.  etc. sous peine de se retrouver dans un régime proche de celui de la Corée du nord.

Tous les programmes politiques qui prennent leur source dans le populisme, c’est à dire qui sont en dehors du monde tel qu'il existe, sont évidemment voués à l’échec. Faut être complètement idéaliste, ou naïf pour penser qu’on pourra changer le monde tel qu’il est. On n’en change pas le monde, on s’y adapte ou on négocie des compromis.

Dans ces conditions, si on considère que 25% des électeurs souhaitent voter Macron et 20% Fillon, cela signifie que plus de 55 % des électeurs vont se reporter entre les autres candidats qui présentent des offres utopiques. Donc, comment se fait-il que dans un pays développé, mature comme la France, la population accepte de se fourvoyer ainsi. Il y a plusieurs raisons évidemment.

1° la première raison est que beaucoup d’électeurs ne votent pas pour un programme, ils votent pour un homme,( ou une femme), pour l’impression qu’il leur fait , pour le discours qu’il tient sans s’interroger plus précisément sur la cohérence ou la faisabilité de ce qu’ il promet .la motivation du vote n’est pas toujours rationnelle , raisonnable et conséquente.

2°Une partie du corps électoral est dans une situation très difficile, ils considèrent donc que leur vote est une façon de protester violemment contre l’injustice du système. De toute façon, pour une partie des électeurs, la situation ne pas être plus compliquée que celle qu’ils supportent.

3° Certains électeurs se tournent vers des programmes irréalisables, par idéologie politique de droite ou de gauche. Ils espèrent provoquer une situation révolutionnaire ou un chaos qui accouchera d’un monde qu’ils espèrent meilleur pour eux.

4° Une grande partie des électeurs tentés par l’utopie sait que le candidat pour lequel ils voteront n’arrivera pas au pouvoir. Donc ils votent comme ils feraient un bras d’honneur.

5° Ceux qui peuvent penser que Marine Le Pen pourrait y arriver, y voient une opportunité de provoquer des grands changements dans le cadre du système actuel. Ils savent que les contre pouvoirs existent, qui l’empêcheront de mener à bien certains de ses projets. La fermeture des frontières par exemple ou la sortie de l’euro est inenvisageable sauf à ruiner le pays. Or ruiner le pays ruine aussi le régime politique et les électeurs.

Ces électeurs là particulièrement cyniques considèrent que toute crise oblige au dernier moment à l’intelligence, c’est à dire à reconnaître les contraintes.

C’est un peu ce qui se passe en Grande Bretagne ou aux USA.En Grande Bretagne, le vote du Brexit a été un vote de protestation violente contre le système. Mais beaucoup s’aperçoivent que le Brexit ne sera pas supportable si on ne signe pas des accords de coopération avec les pays membres de l’Union pour continuer de profiter des avantages de l’Union. Toute la question va être de savoir si l’Europe acceptera ces accords de bienveillance avec un pays qui vient de lui faire un pied de nez.

Aux USA, le gouvernement Trump se retrouve dans la même contradiction. Beaucoup de ses projets sont irréalisables (fermeture des frontières ou suppression de Obama Care) soit parce que techniquement c’est trop compliqué, soit parce que politiquement ça risque de compter cher aux électeurs de Trump. Les contre pouvoirs américains empêchent la mise en place de mesures trop populistes.

La France n’a pas ce type de contrepouvoir, en revanche, elle a une Constitution qui impose de trouver une majorité cohérente. Par conséquent, le futur président sera contraint de former une majorité au parlement. Ou cette majorité lui appartient. Ou bien, cette majorité est le résultat d’une coalition qui ne peut se construire que sur un compromis. Au pire, le risque est de se retrouver en cohabitation. D’une certaine façon, la Constitution nous protège de l’utopie révolutionnaire ou réactionnaire. C’était tout le génie du Général de Gaulle.

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