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Pourquoi Peter Thiel, le fondateur de Paypal et soutien de Donald Trump, accuse Google de compromission avec la Chine communiste...
©ALAIN JOCARD / AFP

Guerre froide

… et pourquoi le Président Américain ne peut que s’en réjouir !

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » du « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).

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Atlantico : Peter Thiel, cofondateur de Paypal et proche soutien de Donald Trump, a récemment accusé Google de collaborer avec la Chine communiste. Une position soutenue par Richard Clarke, ancien responsable de la cybersécurité à la Maison-Blanche, et par Donald Trump lui-même dans un tweet assassin. Selon Richard Clarke, le fait de travailler avec des entreprises chinoises est similaire au fait de travailler avec le gouvernement chinois lui-même. Quelle est la part de crédibilité dans ces accusations de collusion entre la Chine et Google ?

Franck DeCloquement : L’affaire est particulièrement rocambolesque et explosive, comme seule l’Amérique sait régulièrement en produire, avec toute la magnificence nécessaire du roman d’espionnage, et les attributs dramatiques du « cliffhanger » hollywoodien ! 

Se confiant à Fox News le dimanche 14 juillet dernier, à l’occasion du discours d'ouverture de la « conférence nationale sur le conservatisme » de Washington, le milliardaire de 51 ans Peter Thiel (fondateur emblématique de Palantir Technologie avec des fonds de la CIA, et par ailleurs très grand soutient de Donald Trump dans son accession à la présidence des Etats-Unis en 2016) a largement suggéré que la multinationale géante de Mountain View pourrait être infiltrée par des espions venus en droite ligne de Chine… 

Car selon lui, des projets d'intelligence artificielle développés par « DeepMind », qui, comme Google, est une filiale de Alphabet Inc., devraient être considéré par la firme comme une « arme militaire » potentielle. Arme technologique dont l’Amérique souhaite à tout prix rester maitre. En s’associant trop étroitement à la Chine à travers le développement de son moteur de recherche spécifiquement dévolu aux usages répressifs du régime de Pékin, Thiel à très largement suggéré que les actions de Google étaient empreintes de traitrise. Se demandant si « DeepMind » ou la haute direction de Google avait été « infiltrée » par des agences de renseignement étrangères. « Ces questions doivent être posées par le FBI et la CIA », a déclaré Thiel. « Et j'aimerais que ces questions soient posées de manière pas trop douce » a-t-il poursuivi… Exhortant en conséquence les deux agences américaines de sécurité à se pencher de très près sur les agissements de Google en matière de compromission du secret, et d’intelligence avec l’ennemi. Peter Thiel a par ailleurs suggéré que les employés de Google de la « super gauche » étaient anti-américains, et préféraient la Chine communiste aux États-Unis : « une grande partie des employés de Google sont des gauchistes qui pensent que les Etats-Unis sont pires que la Chine » a renchéri Peter Thiel avec la morgue et le sens de la provocation qu’on lui connait. 

L’affaire aurait pu s’arrêter en l’état si le président américain n’avait pas la plus grande sympathie pour Thiel, puisque celui-ci – contre vents et marrées lors de la campagne électorale de 2016 – s’était vite imposé comme l’unique soutien du futur président des Etats-Unis d’Amérique. Mais aussi l’un de ses plus grands donateurs chez les ténors de la Silicon Valley, en grande majorité démocrates… Libertarien forcené et paléo-conservateur convaincu, le cofondateur de Paypal avec Elon Musk a très souvent fait étalage publiquement de ses opinions politiques tranchées. « C’est un homme génial et brillant qui connaît mieux le sujet que quiconque » a indiqué Donald Trump dans un tweet daté du 16 juillet dernier. Enfonçant très vite le clou dans la foulée de son ami milliardaire de la Tech, Trump a – de son côté – annoncé sur Twitter l’ouverture d’une grande enquête par son administration pour faits de trahison et d’espionnage… Soupçonnant lui aussi opportunément Google de collaborer avec la « Chine communiste » plutôt qu’avec les forces armées américaines, comme suggéré par Thiel.

Google a récemment refusé de travailler avec le Pentagone, notamment dans le secteur de l'IA. Peut-on imaginer cette attaque de l'administration Trump contre Google comme un moyen de pression ? Mais dans quel but ?

Comme nous l’avions – en effet – déjà indiqué dans un précédent billet pour ATLANTICO, Google a effectivement refusé l’an dernier un important contrat de l’armée américaine répondant au nom de « projet Maven ». Contrat qui visait en outre à créer des drones de combat capables d’identifier des êtres humains avec une très grande précision, grâce aux apports déterminants de l’intelligence artificielle (IA). Il faut également rappeler pour mémoire la très grande défiance en interne, et la colère de certains employés de Google qui craignaient tout naturellement d'avoir à travailler sans le savoir à une technologie de contrôle total à travers le projet secret « DragonFly » destiné au marché Chinois. Projet qui aurait pu aider très concrètement la Chine à entraver la liberté d'expression de ses populations. Le dernier projet de « citoyenneté à point » envisagée par le régime de Pékin n’étant pas là pour rassurer les esprits très progressistes en émoi chez Google, et dans les autres entreprises de la Tech californienne. Suite aux très fortes protestations émanent d’une partie congrue de ses collaborateurs, Google avait très vite fait marche arrière pour éviter la contagion rapide de la grogne à d’autres secteurs de sa recherche, et avait assuré « qu‘il n’y aura pas de nouveau contrat » à ce sujet, afin de calmer les esprits frondeurs au plus vite. 

Sur le fond de l’affaire, une grande enquête « antitrust » se prépare à Washington selon les derniers bruissements en date. Et depuis plusieurs semaines, les GAFAM semblent être résolument entrés dans le viseur de la justice américaine depuis que le Wall Street Journal a publié un rapport concernant leurs diverses activités. Un sous-comité judiciaire de la Chambre se préparait discrètement à cet effet, afin de mener une investigation d’ampleur sur le pouvoir réel des géants de la Tech : Facebook, Google, Amazon et Apple. Géants Américains dont on connait par ailleurs les convictions résolument démocrates de leurs dirigeants emblématiques, dans la perspective des prochaines élections présidentielles. Trump en est parfaitement conscient. Conscient aussi que leur potentiel pouvoir de « nuisance algorithmique », dans le cadre de la prochaine campagne pour sa réélection à la présidence, pourrait peser très lourd dans la balance de l’opinion publique américaine. Voir même lui couter la victoire... Contrecarrer cet état de fait est devenu pour lui une véritable obsession. Ce dernier épisode aux accents polémiques semble être une manœuvre stratégique patente allant dans ce sens. 

Récusant de son côté cette salve accusatrice, la porte-parole de Google Riva Sciuto a récemment déclaré : « comme nous l’avons déjà dit et redit, nous ne travaillons pas avec l’armée chinoise. Nous travaillons avec le gouvernement américain, ainsi que le département de la Défense, dans de nombreux domaines, y compris la cybersécurité, le recrutement et la santé ». Donald Trump semble donc avoir sciemment relevé les propos accusateurs de Peter Thiel par cette mise en scène fielleuse dont il a le secret, afin de justifier l’enquête de fond qui se prépare en coulisses selon ses vœux, et dont il espère ardemment tirer les bénéfices politiques à terme. La manœuvre est habile. 

Google est au cœur de la guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis, via notamment l'embargo imposé temporairement à Huawei. Pourtant la firme américaine a du mal à s'implanter en Chine. Que représente la Chine pour la firme Google et que pourrait-elle être prête à faire pour pénétrer le marché chinois ?

Google est pris en somme entre deux feux. Compte tenu de l'importance du marché Chinois et du nombre d'utilisateurs potentiels qu’il représente, Google a naturellement des objectifs stratégiques et commerciaux très forts, dont certains lui sont même assignés par l’Etat Américain en personne. Thiel et Trump ne peuvent l’ignorer. Puisqu’en lien avec le Pentagone et les recherches stratégiques dans le biomédical, l’intelligence artificielle et l’analyse des mégas données entre autres choses… 

Pénétrer la Chine de l’intérieur pourrait aussi se révéler d’une très grande utilité stratégique pour les Etats-Unis, le cas échéant. C’est un peu la lutte de la mangouste et du cobra royal. Chacun risque la mort au moindre faux pas, et il ne peut en rester qu’un à la fin… Rappelons aussi qu’avant Donald Trump, le vice-président des Etats-Unis Mike Pence s’en était pris vertement au vol de technologies américaines par la Chine, le 4 octobre 2018. Des captations qui permettraient aux autorités  chinoises de beaucoup mieux cerner – entre autres choses – ce que sa population ou ses opposants consultaient sur internet… Mais en arrière-plan de cet atermoiement politique, peut-être aussi une problématique de Sécurité Nationale dans la maitrise des outils numériques intrusifs à base d’IA. Avec en toile de fond, les affrontements houleux entre Pékin et Washington à l’horizon 2050. C’est aussi une « stratégie de rattrapage » de la Chine, qui a montré toute son efficacité dans le passé en matière de ruse. Dès lors, pourquoi s’en priver si l’un des leaders américains du secteur de la Tech pouvait tomber dans ce piège millénaire ? Mike Pence semblait le redouter en arrière-plan. N’oublions pas non plus les griefs de son patron contre Google, Donald Trump en personne, qu’il exprime régulièrement et publiquement. Peut-être avons-nous ici affaire au « coup de pied de l’âne », sorte de « prêté pour un rendu » ? Certains analystes politiques le pensent ostensiblement en coulisses…

Rappelons aussi que Google, qui appartient à la holding « Alphabet », a quitté la Chine il y a une huitaine d’années, en signe de protestation. Et notamment en raison des lois de censure de l’Empire du milieu, mais aussi de piratages orchestré à dessein par Pékin… Le retour de Google en Chine – un marché que le géant avait abandonné en raison d’évidentes pressions exercées par le régime Chinois – avait été divulgué pour la première fois en août 2018.

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