Pourquoi personne n’exige-t-il rien du Hamas pour mettre un terme à la tragédie vécue par les civils palestiniens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’assaut sur Rafah, que d’aucuns présentent déjà comme une ville martyre, a débuté après la promesse de Netanyahu de fournir un plan d’évacuation des civils.
L’assaut sur Rafah, que d’aucuns présentent déjà comme une ville martyre, a débuté après la promesse de Netanyahu de fournir un plan d’évacuation des civils.
©SAID KHATIB / AFP

Conflit israélo-palestinien

De nombreuses nations, dont la France, les États-Unis et la Chine, exigent d’Israël qu’elle stoppe son assaut. Mais pendant ce temps, cela donne le sentiment que le Hamas passe entre les gouttes.

Henry Laurens

Henry Laurens

Henry Laurens est historien et universitaire, spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, où il occupe la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe depuis 2003.

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Atlantico : L’assaut sur Rafah, que d’aucuns présentent déjà comme une ville martyre, a débuté après la promesse de Netanyahu de fournir un plan d’évacuation des civils. Depuis, de nombreuses nations dont la France et la Chine exigent d’Israël qu’il stoppe son assaut. Pourquoi ces discours se focalisent-ils sur Israël ? Pourquoi n’exige-t-on rien du Hamas, notamment ?

Henry Laurens : Nous n’avons pas d’interlocuteur au sein du Hamas. Comment exiger d’eux quoique ce soit, dès lors que l’on ne peut même pas leur parler ? Il n’y a pas – et n’y a jamais eu – de consulat du Hamas à Paris. Il n’y a pas non plus d’ambassade. Ne perdons pas de vue que le Hamas est un mouvement terroriste, c’est-à-dire hors-la-loi. On ne discute pas avec des mouvements hors-la-loi. On parle d’une guerre d’Israël contre le Hamas, mais le Hamas n’est pas un  Etat même s’il s’est doté d’une administration civile et d’une armée.

A bien des égards, cette situation n’est pas sans rappeler celle du FLN Algérien. Il s’agissait là aussi d’un mouvement considéré terroriste et, dès lors, la France n’avait pas d’échange diplomatique avec. Bien évidemment, cela a fini par changer, quand le FLN a fini par bénéficier d’une reconnaissance internationale. Cependant, il faut bien comprendre que les enjeux n’étaient pas les mêmes et que ce n’est pas parce que nous avons fini par ouvrir le dialogue avec le FLN qu’il sera possible d’en faire autant pour le Hamas. La France a eu beau le combattre, il n’avait de cesse de réapparaître et, après un temps, il est devenu évident pour la métropole qu’il n’était pas possible de s’engager dans une guerre sur plusieurs décennies pour un enjeu finalement assez mineur. Il n’y avait donc pas d’autre sortie politique possible.

Dans le cadre d’Israël, la situation est différente : la Bande de Gaza ne constitue pas un territoire isolé de la “métropole” israélienne. Il y a aussi une haine recuite, alimentée depuis des décennies par des violences des deux côtés. Et il apparaît évident qu’il ne suffira pas de faire pression sur le Hamas, puisque nous ne pouvons pas faire mieux : il ne ploie pas face aux bombardements, que rajouter de plus ?

Ce refus d’exiger quoique ce soit du Hamas est-il purement pragmatique, ou répond-il à d’autres enjeux, potentiellement politiques ?

Certaines nations ont parfois tenté de faire sortir de la Bande de Gaza des ressortissants.  C’est le cas de la France, parfois avec succès. Mais cette négociation, à ma connaissance, est passée avant tout avec la partie israélienne.

Nos discours qui condamnent les actes du Hamas sont essentiellement de la posture puisque nous n’avons aucun moyen de pression contre lui. Notons par ailleurs, que s’adresser au Hamas, c’est aussi lui reconnaître une existence politique, mettre en place une structure de dialogue politique.

Quand la France a eu l’occasion d’entretenir un contact avec l’organisation, c’est par le biais d’intermédiaires. Il s’agissait parfois de personnalités françaises indépendantes, parfois de diplomates officiellement à la retraite qui ont pu discuter avec le Hamas. Là encore, à ma connaissance, cela date de nombreuses années.

Au Liban, nous avons des contacts réguliers avec le Hezbollah, considéré comme une force politique libanaise légitime, mais non avec son organisation militaire terroriste. Cela nous permet de parler avec toutes les parties, contrairement à la situation en Palestine.

Le Hamas et Israël ont pourtant été en mesure de signer un cessez-le-feu, plus tôt dans le conflit. Comment l’expliquer ? Qu’est-ce que cela dit de la réalité des interactions diplomatiques ?

Comprenons bien ce dont il est ici question : le Hamas et Israël n’ont pas signé un cessez-le-feu comme on pourrait signer un accord de vente ou n’importe quel autre document. Il n’y a pas eu de signature sur le papier. Des intermédiaires ont été envoyés discuter avec le Hamas et, une fois l’accord défini, chaque parti a agit de son côté, a multiplié les déclarations. La diplomatie, ne le perdons pas de vue, est un monde de fictions. Un cessez-le-feu ne fait pas nécessairement suite à une négociation directe, mais bien au fait que l’un et l’autre des participants aux conflits arrêtent. Il n’y a pas de contact direct. 

Le jeu des diplomates est infini. Ce type de négociations implique de passer par des intermédiaires, qui sont d’ailleurs bien connus. Il y a le Qatar, évidemment, ainsi que les services secrets égyptiens. C’est parfois vrai pour les Iraniens, quoique ce ne soit pas le cas cette fois-ci, semble-t-il.

A l’issue de l’accord, comme cela fut le cas dans cette situation précise, on se retrouve dans un scénario partagé : un tel déclare, l’autre fait de même.

Comment expliquer que le Hamas bénéficie, auprès de certaines populations y compris en Occident, d’un soutien parfois très marqué ?

Le Hamas, dont il est évident que l’on peut contester les méthodes, est perçu comme un mouvement de résistance à la colonisation et au refoulement de la population palestinienne. Il s’inscrit aussi, rappelons-le, dans un jeu politique interne palestinien avec le Fatah. Là encore, nous pouvons faire un parallèle avec le FLN Algérien qui s’est inscrit dans une lutte interne avec plusieurs autres mouvements algériens.

La référence à la résistance à d’abord été utilisée à propos des Palestiniens à partir de l’occupation israélienne de 1967 qui selon les mots de de Gaulle «  ne peut aller sans oppression, répression, expulsion ». Elle engendre la résistance qu'à son tour Israël qualifie de terrorisme. 

Le terme a ensuite été repris par les ennemis des Palestiniens dans la guerre civile libanaise à partir de 1975, puis par ceux qui ont combattu l’occupation israélienne à partir de 1982. Finalement, le terme de résistance islamique a été utilisé par le Hezbollah et ensuite le Hamas dans les années 1980.

Le terrorisme, ainsi qu’il est défini, correspond à une violence émanant d’un acteur non étatique, qui vise en particulier (mais pas seulement) les populations civiles et le fait, si possible, à des fins “publicitaires”. Il s’agit de faire un maximum de retentissement. A cet égard, le terrorisme est une méthodologie. Ce qui veut dire que personne ne s’en revendique et qu’aucun mouvement ne se définit comme tel. 

Sur le plan juridique, et cela a son importance, le terrorisme correspond à la mise hors la loi des individus concernés ce qui, bien souvent, donne le droit de les assassiner sans autre forme de procès.  C’est pourquoi il faut être vigilants avec le mot : Assad combat son opposition en affirmant qu’elle est terroriste, Al-Sissi a fait de même… en 1982, le discours israélien officiel assimilait les Palestiniens du Liban aux « terroristes », cela a conduit aux massacres de Sabra et Chatila.

Le Hamas, comme tout mouvement de ce genre se veut être  un poisson dans l’eau pour reprendre l’expression de Mao Tse-Tung. C’est-à-dire que, pour le détruire il faut soit être prêt à déplacer la population soit être prêt à l’éliminer. C’est ce qu’ont fait les Britanniques dans la guerre des Boers en Afrique du Sud au début du XXe siècle en inventant les camps de concentration.

En 1982, l’OLP à Beyrouth constituait un corps étranger et le Yémen du Sud avec la Tunisie avaient accepté de recevoir ses cadres et ses combattants, environ 5 000 personnes. Ce n’est pas le cas du Hamas aujourd’hui. Personne n’est prêt à recevoir de nouveaux réfugiés palestiniens qui seraient plus de deux millions. Il ne s’agit pas de 300 personnes à Lampédusa.

Les Israéliens voudraient bien expulser la population de la Bande de Gaza en Égypte, mais ce dernier pays s’y refuse absolument. Il en est de même pour la Jordanie. C’est pour cela que l’on évoque un risque de  génocide et que l’on est incapable de définir une solution politique de sortie de crise.

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