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Pourquoi les tentations de bi-résidendialité post-Covid ne sauveront pas la France périphérique
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Moitié ville, moitié campagne

De nombreux habitants des grandes villes se sont installés dans leur résidence secondaire lors de la crise du Covid-19 ou souhaiteraient dorénavant s'installer dans un nouvel environnement. Ce phénomène est-il amené à s'amplifier et à durer ? La crise du Covid-19 pourrait-elle entraîner une redynamisation des milieux ruraux ?

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Où est-ce que les urbains (surtout les franciliens) se sont installés ou semblent souhaiter s'installer suite à la crise sanitaire du Covid-19 ? Ce phénomène est-il amené à s'amplifier et à durer ? 

Laurent Chalard : Il convient de distinguer deux périodes dans la mobilité résidentielle des français pour comprendre les potentielles modifications du peuplement de la France induites par la crise sanitaire du covid-19. 

La première période correspond aux deux mois de confinement. Pendant ce moment inédit pour nos contemporains, une petite partie de la population des villes, appartenant en règle générale aux catégories sociales les plus fortunées, a préféré résider dans sa résidence secondaire à la campagne ou au bord de la  mer plutôt que dans son logement principal situé en ville, alors que, parallèlement, les jeunes étudiants ou actifs célibataires vivant dans des petites surfaces au cœur des grandes agglomérations ont fait le choix de rejoindre le domicile parental, bien plus spacieux et plus souvent en logement individuel, qu’il soit situé ailleurs dans l’agglomération en question ou à la campagne. Ce sont donc des migrations d’ordre temporaire, la majorité des personnes concernées étant rentrées progressivement dans leur résidence principale une fois le déconfinement réalisé, à l’exception d’un certain nombre d’étudiants, les cours à l’université n’ayant pas repris. Dans ce cadre, l’Insee a tenté, dans une étude parue mi-avril, d’estimer, à partir des données de l’opérateur mobile Orange, les lieux de destination des français pendant le confinement. Les résultats ont montré qu’outre quelques départements littoraux de l’ouest et certains départements peu densément peuplés du Sud-Ouest qui ont bénéficié du retour de leurs étudiants, les départements qui ont accueilli en plus grand nombre ces populations étaient essentiellement péri-métropolitains, c’est-à-dire des territoires ruraux relativement proches des grandes métropoles, où se localisent de nombreuses résidences secondaires, comme par exemple dans l’Yonne (Puisaye) ou l’Orne (Perche) pour les franciliens, ou les Vosges pour les Alsaciens.

La seconde période, qui est la plus intéressante, concerne la période actuelle d’après crise sanitaire, où l’on voit des populations urbaines, qui ont mal supporté le confinement, souhaiter déménager le plus rapidement possible vers des territoires ruraux, dans lesquels elles pourront bénéficier de la nature, c’est-à-dire d’une maison avec un jardin dans un environnement où la verdure est prédominante. Ce sont donc des migrations qui ont vocation à devenir permanente ou semi-permanente pour ceux faisant le choix de la bi-résidentialité, contrairement aux migrations liées au confinement d’ordre temporaire. Le profil de ces émigrants se compose principalement de familles avec enfants, le confinement ayant été difficilement supportable pour ce type de familles vivant en appartement dans les grandes villes. S’il est, bien évidemment, trop tôt pour déterminer l’ampleur du phénomène et les territoires qui bénéficieront le plus de ce phénomène d’exode urbain, selon les professionnels de l’immobilier, dont les propos sont rapportés dans la presse nationale ou régionale, il semblerait que se dessine un phénomène de péri-métropolisation, assez semblable finalement à ce qui s’est constaté pendant le confinement, c’est-à-dire qu’il ne semblerait pas que les urbains se ruent vers la France profonde, mais privilégient les espaces ruraux situés à une distance perçue comme raisonnable par rapport à la grande métropole, en particulier Paris, soit de l’ordre de 100 à 150 kilomètres pour cette dernière. En effet, la plupart de ces urbains comptent continuer d’exercer une activité professionnelle en Ile de France, mais grâce au télétravail que leur permettrait leur employeur, elles n’auraient plus qu’à se rendre seulement une ou deux fois par semaine sur leur lieu de travail parisien, rendant possible une localisation résidentielle plus lointaine que lorsqu’il faut se déplacer de manière quotidienne sur une longue distance. Dans ce cadre, le Perche, petite région naturelle bocagère à cheval sur l’Eure-et-Loir et l’Orne, semble constituer l’exemple-type du territoire plébiscité, présentant une attractivité paysagère certaine, une notoriété reconnue (des « célébrités » y possèdent des maisons), et une relative proximité de Paris. Jusqu’ici, c’était un espace de résidence secondaire pour les franciliens et non d’habitat permanent car l’éloignement de Paris apparaissait comme trop important pour des déplacements domicile-travail quotidiens. Par contre, dans un contexte de télétravail, cet éloignement devient beaucoup moins contraignant. Il ne serait donc pas surprenant que se constate, outre la traditionnelle périurbanisation qui serait relancée, un phénomène de péri-métropolisation, redonnant de la vitalité à des territoires, qui étaient plutôt déclinant sur le plan démographique.   

La lecture selon laquelle la crise du Covid-19 amènerait à une redynamisation des milieux ruraux est-elle correcte ?

Laurent Chalard : Si l’on en croit les premières tendances post-confinement, on a effectivement l’impression que les espaces ruraux voient, au moins temporairement, se renforcer leur attractivité résidentielle, même si, comme nous venons de le voir, ce ne sont pas l’ensemble de ces territoires, mais plutôt ceux bénéficiant d’une relative proximité des grandes métropoles, c’est-à-dire relativement accessible depuis leur centre sur le plan routier (par l’intermédiaire d’une autoroute ou d’une voie rapide) ou ferroviaire (desserte par une ligne TER voire par une gare TGV). Il s’ensuit qu’il ne faut pas s’attendre les prochaines années à un rebond généralisé de la population dans les territoires ruraux, en particulier dans ceux très éloignés de toute métropole, mais plus probablement à une extension des auréoles de croissance démographique périurbaines au-delà de leurs limites actuelles. Par exemple, aujourd’hui, la périurbanisation francilienne ne dépasse guère vers l’ouest la ligne Chartres/Dreux. Or, avec le nouveau contexte, elle pourrait s’étendre au-delà, donc dans le Perche, jusqu’à une ligne Nogent-le-Rotrou/L’Aigle, voire au-delà. Il en va de même pour les autres grandes métropoles (notamment le Beaujolais pour les lyonnais) mais sur des distances plus faibles. Par ailleurs, si de nombreux ménages semblent intéressés par l’installation dans les territoires ruraux dans une optique de télétravail ou de bi-résidentialité, pour les plus aisés conservant un appartement en ville, rien ne dit que la tendance se prolongera à long terme si la crise sanitaire venait à se résorber rapidement, éloignant progressivement le risque d’un éventuel reconfinement, alors que, petit à petit, certains urbains seraient rattrapés par les difficultés de la vie à la campagne (un accès à l’internet haut débit pas toujours à la hauteur des attentes, une offre culturelle limitée, une désertification médicale, des services publics rares, l’absence de réseau social sur place…), la désillusion pouvant finir par l’emporter. En conséquence, si les territoires ruraux veulent pleinement bénéficier de cette nouvelle donne inespérée, il va falloir qu’ils se retroussent les manches pour améliorer leur attractivité auprès des populations urbaines afin que le retour vers la campagne ne s’apparente pas à un engouement conjoncturel, mais corresponde à un renouveau structurel. 

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