Pourquoi les réponses à l'insécurité et l'inégalité juridiques des familles homosexuelles sont déjà dans le Code civil<!-- --> | Atlantico.fr
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Les partisans du mariage pour tous estiment que les familles homosexuelles sont dans une situation de précarité juridique.
Les partisans du mariage pour tous estiment que les familles homosexuelles sont dans une situation de précarité juridique.
©Reuters

Projet de loi inutile

Les partisans du mariage pour tous estiment que les familles homosexuelles se trouvent dans une situation d'insécurité et de précarité juridique, or le Code civil offre déjà des réponses à la totalité des situations : autorité parentale, décès du compagnon, etc...

 Koz

Koz

Koz est le pseudonyme d'Erwan Le Morhedec, avocat à la Cour. Il tient le blog koztoujours.fr depuis 2005, sur lequel il partage ses analyses sur l'actualité politique et religieuse

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Cet article a déjà été publié le 24 novembre 2012 sur Atlantico.

Après l’incontestable succès des manifestations de samedi dernier, qui en appelle d’autres (bloquezle 13 janvier), revient le temps de l’explication. Celui que refuse le gouvernement lorsqu’il s’oppose à la création d’une commission spéciale à l’Assemblée, celui qu’interdit le groupe PS à ses membres en refusant à des parlementaires leur liberté de vote, et donc de conscience.

Or, ce temps d’explication est indispensable. C’est en discutant avec Coralie Gaffinel, avocate praticienne du droit de la famille, pour la préparation de la conférence organisée par Jean-Christophe Fromantin (avec également le Docteur Pierre Lévy-Soussan et Guillaume Drago, professeur de droit constitutionnel) que j’ai moi-même découvert que la situation des couples homosexuels et des enfants élevés par ces couples est bien loin d’être la situation d’insécurité et d’inégalité avancée.

Parmi les arguments des partisans du mariage et de l’adoption homosexuels, reviennent en boucle ceux-ci : "il faut donner un cadre à une situation qui existe", "les familles homoparentales existent, on ne peut pas les ignorer", "le quotidien, pour les compagnes / compagnons est ingérable" , "si le père / la mère de l’enfant meurt, que deviendra l’enfant?" etc.

Aussi habile et mêlé d’inquiétude légitime ou de pathos cela soit-il, il est faux de prétendre que le droit français n’apporte pas de solutions. Venant des particuliers, on tablera sur l’inquiétude légitime. Venant des militants informés, c’est du domaine de la mystification. Car non seulement des solutions existent, mais certaines ont  été explicitement adoptées pour prendre en compte la situation des couples homosexuels et des familles "homoparentales".  

1 –  Si je meurs, mon compagnon / ma compagne n’a aucun droit, on lui enlèvera l’enfant : c’est faux

On comprend bien la nécessité stratégique de répandre cette idée mais au lieu d’inquiéter à tort, il faudrait plutôt informer le père ou la mère d’un enfant, en couple avec une personne de même sexe, sur leurs droits existants.

Il faut noter, de façon préliminaire, que cette situation n’est susceptible de se présenter que dans deux types de cas : (1) l’autre parent est décédé, (2) l’autre parent est inconnu parce que l’enfant a été adopté en tant que célibataire, ou que le couple a eu recours à des procédés (IAD/PMA, GPA, achat d’enfant) illégaux en France, ou encore aux inséminations dites "artisanales" – le "donneur" étant inconnu ou s’étant effacé. 

Ces situations ont été prises en compte, via l’instauration de la tutelle testamentaire. En résumé, par ce moyen, le père ou la mère de l’enfant désigne celui ou celle qui sera le tuteur ou la tutrice de l’enfant.

La nomination du tuteur se fait de façon extrèmement simple, soit par une declaration devant notaire soit sous forme de "testament olographe" (article 403, alinéa 2 du Code civil). La seule exigence est donc que le choix du tuteur figure dans un document écrit, daté et signé entièrement de la main du testateur. La jurisprudence a admis que la désignation d’un tuteur soit insérée dans une simple lettre (CA Paris, 5 mai 1994; Cass. 1ère civ., 10 janvier 1951).

Le choix du tuteur est entièrement libre. Il ne s’agit pas nécessairement d’une personne de la famille et il peut donc évidemment se porter sur le compagnon ou la compagne du père ou de la mère.

Cette désignation s’impose au conseil de famille et écarte toute autre forme de tutelle, et notamment la tutelle dite "dative" qui revient au conseil de famille.

Il appartient donc au père ou à la mère de l’enfant d’être prévoyant (une qualité parentale) et de désigner lui-même celui qui s’occupera de l’enfant après sa mort.

(Source : JurisClasseur Civil, fasc. 20 : Minorité – Tuteur – Modes de désignation, par Yvaine Buffelan-Lanore, Professeur émérite à l’Université de Cergy-Pontoise)

2 –  Le quotidien est ingérable, le compagnon ou la compagne n’a aucun droit : c’est faux

Passons sur l’idée qu’il ne serait pas possible d’aller chercher l’enfant à l’école : elle est évidemment fausse comme le savent tous ceux qui ont recours à des nounous ou baby-sitters. Il faut plutôt se pencher sur les décisions qui engagent l’autorité parentale.

Or, à cet égard, le législateur a explicitement pris en compte la situation des couples homosexuels en instituant, par la loi du 4 mars 2002, ce que l’on appelle désormais la délégation partage de l’autorité parentale. Et il est particulièrement instructif de relever à quel point les tribunaux se montrent compréhensifs en la matière.

Sur le plan législatif, l’article 377 du Code civil dispose ainsi que :

"Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance."

La délégation partage est ainsi spécialement pratiquée au sein des couples homosexuels et plus particulièrement des couples de femmes.

Comme l’ecrit le Professeur Claire Neirinck,

"Dès lors, il n’est pas étonnant que la délégation partage soit essentiellement pratiquée au sein des couples de femmes homosexuelles. Dans l’hypothèse dont rend compte principalement la jurisprudence, l’une d’elle réalise une insémination artificielle frauduleusement pratiquée à l’étranger (C. santé publ., art. L. 2141-2, al. 3 ). Le recours à un don de sperme anonyme permet la conception d’un enfant sans père, doté d’une parenté unilinéaire maternelle. La femme qui a bénéficié d’une assistance médicale à la procréation accouche, ce qui fonde de manière incontestable son statut de mère. L’absence définitive et voulue de père permet à sa compagne d’occuper en fait la place de ce dernier auprès de l’enfant. Si le terrain de la filiation adoptive est juridiquement impraticable, le recours à la délégation partage permet de parfaire le projet de parentalité du couple grâce à un exercice partagé de l’autorité parentale entre les deux concubines. La première chambre de la Cour de cassation a validé le procédé dans un arrêt très remarqué en date du 24 février 2006 (Cass. 1re civ., 24 févr. 2006, n° 04-17.090 : JurisData n° 2006-032294 ; D. 2006, p. 897, note D. Vigneau ; Dr. famille 2006, comm. 89 , P. Murat ; Defrénois 2006, art. 38415, n° 40, note J. Massip ; RTD civ. 2006, p. 297, obs. J. Hauser ; R 2006, p. 578, note C. Neirinck)."

Comme le Professeur Neirinck, la Cour de cassation est même sortie du strict champ d’application de la délégation de l’autorité parentale, sans compter qu’elle ne se formalise pas de l’illégalité du procédé retenu (ou encore de la volonté délibérée de priver un enfant de père, certes sans rapport direct avec le litige).

D’autres hypothèses se sont présentées et le Professeur Neirinck souligne à quel point les tribunaux font une application large de cette disposition, n’exerçant pratiquement aucun contrôle sur les conditions de la délégation et validant même des délégations ne répondant pas aux conditions d’exercice.

Ainsi, "l’exigence de l’article 377, alinéa 1 selon laquelle la délégation ne doit être prononcée que lorsque les circonstances l’exigent, fait désormais l’objet d’un contrôle judiciaire limité quand la délégation partage est demandée dans le cadre d’un concubinage homosexuel. Les juridictions saisies estiment toujours que la délégation est indispensable quand la mère, parent unique de l’enfant, veut constituer une famille avec sa partenaire." (JCl, fasc. 30, n°31).

Et les illustrations ne manquent pas, les juridictions saisies faisant preuve d’une bienveillance notable à l’égard des cas qui leur sont présentés.

Ainsi la Cour de cassation a-t-elle fait droit, dans un arrêt du 16 avril 2008, à une requête conjointe du père et d’une ancienne compagne de la mère décédée pour que l’autorité parentale soit partagée avec elle.

Le Tribunal de Grande Instance de Lille a-t-il jugé, dans une décision en date du 18 décembre 2007 (jurisdata n°2007-355272) que :

"Il est de l’intérêt de l’enfant, conçue par fécondation in vitro avec donneur anonyme, que l’autorité parentale soit exercée par sa mère et son ancienne compagne dans les conditions prévues par l’article 377-1 du Code civil. Compte tenu de l’ancienneté de la demande et de la résidence alternée déjà mise en place au bénéfice de l’enfant, il est justifié d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision. En effet, le fait que seule la filiation maternelle de l’enfant soit établie, n’interdit pas à la mère de vouloir ou pouvoir déléguer une partie de l’autorité parentale qu’elle détient. La loi prévoit la délégation à tout tiers étranger pourvu qu’il soit digne de confiance. La notion de famille n’étant pas une condition essentielle, il n’est donc pas indispensable que la communauté de vie qui a existé entre les demanderesses persiste pour que la demande soit recevable."

La bienveillance des juridictions est également notable dans le cas de délégation croisée, dans le cas où chaque concubine, devenue mère par IAD/PMA, entend déléguer à l’autre son autorité parentale sur son enfant. Une telle situation ne rend pas la délégation partage indispensable, comme le requiert la loi, mais elle est accordée (TGI Lille, JAF, 11 déc. 2007 : JurisData n° 2007-362403 ). Comme le relève le Professeur Neirinck, la motivation de la décision "retient explicitement comme élément déterminant du prononcé des délégations croisées le fait qu’elles sont voulues dans le cadre d’un projet de construction familiale autrement impossible". Dans chacun des cas, il a suffit que le parent de l’enfant évoque le fait qu’il est amené à se déplacer dans le cadre de sa profession pour que le juge estime que "les circonstances exigent"  qu’il soit procédé à une délégation de l’autorité parentale.

Le JAF de Lille, dans une décision du 18 décembre 2007 (RG 06/06114, Jurisdata n° 2007-355272), a également retenu la séparation des deux concubines pour considérer qu’elle "génère en elle-même la nécessité pour l’ex-concubine de prendre des décisions et toutes mesures nécessaires…"

Le moins que l’on puisse dire est que le système législatif et judiciaire français ne montre pas d’hostilité, ou même de sévérité, à l’encontre des homosexuels. Si j’étais taquin, je pourrais même pousser jusqu’à me demander si l’accueil spécialement favorable réservé aux demandes de délégation partage par des couples homosexuels, au-delà parfois des dispositions législatives, ne finirait pas par s’avérer discriminatoire. Mais je ne suis pas du genre taquin.

(Source : JurisClasseur Civil, fascicule 30 : Autorité parentale – Délégation, Professeur Claire Neirinck).

3 –  En cas décès, mon compagnon / ma compagne n’a droit à rien : c’est faux

Là encore, il s’agit de faire preuve d’une simple prévoyance. Lors de la conclusion d’un PACS (ou même sans PACS), les compagnons ou compagnes peuvent tout simplement prévoir un testament.

Cet article du Monde titre sur le fait que mariage et PACS ne se valent pas. Outre le fait qu’il ne détaille pas les situations dans lesquels le PACS est plus "favorable" que le mariage, on est en fait davantage frappé par les similitudes, voire les identités, que par les différences.

Pour ce qui concerne les différences notables restantes, il suffit de quelques aménagements législatifs, comme on sait si bien en introduire dans des projets de lois de finances, pour y remédier.

C’est le cas pour les droits de succession entre pacsés. C’est également le cas de la quotité disponible. C’est encore le cas de la pension de réversion.

En conclusion, le projet de loi est inutile : la réponse est dans le code civil.

Il n’existe aucune nécessité pratique d’adopter le projet de loi sur le mariage et l’adoption homosexuels. Aujourd’hui, des personnes homosexuelles adoptent des enfants, d’autres élèvent ceux qu’ils ont conçu avec un homme ou une femme, et leur compagnon ou leur compagne sont pleinement associés à l’éducation.

Cela se fait dans la vérité, sans mensonge sur la situation de l’enfant, sans lui prétendre faussement qu’il aurait deux papas ou deux mamans. Que des adultes fassent le choix de présenter une situation fausse à des enfants est une chose, mais le législateur n’a pas à transformer cela en un mensonge d’Etat.

Les personnes homosexuelles peuvent éventuellement revendiquer un traitement équivalent sur quelques points financiers. Des aménagements peuvent encore être imaginés sur certains points précis évoqués ci-dessus, mais aucune raison n’impose de toucher au mariage, cadre de la filiation. Rien ne justifie de prendre un risque quelconque avec des enfants.

Il ne reste que la volonté symbolique de traiter de façon identique des situations différentes, de conférer à un couple formé de deux hommes ou deux femmes le nom de mariage, à deux hommes ou deux femmes les noms de papa ou maman, avant d’en venir au but ultime : l’IAD/PMA pour les femmes, la GPA pour les hommes.

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