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Pourquoi les gens qui se demandent si on peut être élu sans raconter n'importe quoi passent totalement à côté de la question
©Reuters

Menteurs menteurs

Alors que certains observateurs se demandent aujourd'hui pourquoi de nombreux électeurs se tournent vers des figures populistes aux propositions pouvant paraître mensongères, l'heure est sans doute venue de réaliser qu'aux yeux de ces électeurs, les candidats dits "raisonnables" cultivent un discours qui leur paraît tout autant mensonger.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Suite à la vague populiste actuelle, incarnée entre autres par les victoires électorales du Brexit et de Donald Trump, de nombreux observateurs se demandent si l'on peut être élu aujourd'hui sans raconter n'importe quoi. Cette grille de lecture n'est-elle pas quelque peu insuffisante ? Dans quelle mesure peut-on penser qu'aux yeux de ces électeurs, les candidats dits "raisonnables" racontent eux aussi "n'importe quoi", avec un discours déconnecté de leurs réalités quotidiennes (mondialisation, immigration, vivre ensemble, etc.) ?

Eric Verhaeghe : Vous avez raison ! Les termes du débat entre populistes et élites est posé par les élites. Donc, assez logiquement, les élites portent le débat dans des termes qui leur sont favorables: d'un côté, l'intelligence, de l'autre côté, la bêtise ou l'ignorance. Pour les Français ordinaires, cette distinction manichéenne n'est évidemment pas opérante. Dans l'opinion publique, le rejet des élites n'est pas synonyme de populisme, car leur idée n'est pas de supprimer les élites en général, mais seulement de supprimer les élites existantes pour les remplacer par d'autres élites. Nous ne sommes pas face à un mouvement de rejet général, mais face à une volonté de changement. Sur ce point, les élites au pouvoir font la sourde oreille et s'accrochent à leur bout de gras. Elles font mine de croire, ou de faire croire, que la volonté de changement est une volonté d'éradication. C'est faux, bien entendu. D'où cette espèce de situation bloquée où toute aspiration au renouveau est tournée en dérision. Cette attitude est profondément suicidaire parce que, de toute façon, les élites seront renouvelées et plus elles s'opposeront à ce mouvement, plus leur disparition sera brutale. Certains malentendus suscités par cette situation sont d'ailleurs pathétiques. C'est par exemple le cas lorsque l'on entend Alain Juppé se présenter comme l'homme de la modernité ou du renouveau. Qu'un septuagénaire qui fut Premier ministre au siècle dernier prétende incarner le renouveau montre bien la déconnexion des élus.  

Paul-François Paoli : La situation actuelle révèle la faillite des prétendus experts, autrement dit de ceux qui sont sensés savoir. Que ce soient les politologues, les professionnels de la politique ou les journalistes eux même qui n'avaient pas vu venir la vague Trump, peut être parceque qu'ils vivent dans un univers autistique et particulièrement endogame idéologiquement parlant. Aux Etats-Unis comme en France la grande majorité des journalistes a le même langage et les mêmes réflexes. La dénonciation du populisme est pratiquement un automatisme. On retrouve d'ailleurs ce reflexe sémantique parmi la majorité des intellectuels qui pour beaucoup refusent la complexité du phénomène. Car il y a populisme et populisme... Les gens qui n'ont pas à leur disposition la culture et les références sont souvent scandalisés par la façon condescendante dont les médias parlent d'eux. Non seulement ils vivent dans des conditions difficiles mais en plus ils doivent recevoir des leçons de "vivre ensemble" de la part de gens qui, pour la plupart, ne connaissent pas les affres de la promiscuité forcée. La révolte actuelle est liée à cette situation, notamment en France où des millions de gens ne se sentent tout simplement plus représentés.

Depuis de longues années, une grande partie des élites occidentales répètent un discours plus ou moins similaire sur les bienfaits de l'immigration, du multiculturalisme, ou plus récemment sur les risques économiques qu'engendrerait le Brexit. Au vu de la réalité de la situation, et de la perception de cette réalité par les électeurs, peut-on en conclure que ce discours était, au moins en partie, erroné ?

Eric Verhaeghe : En tout cas, une chose est sûre: ce discours n'est plus adapté avec les aspirations du moments. On peut même parler d'une véritable crise du vivre ensemble, pour reprendre l'expression officielle et consacrée. Chacun en mesure aujourd'hui les limites ou les problèmes. En particulier, le vivre ensemble soulève la difficulté des contreparties attendues des populations allogènes. Est-ce que le vivre ensemble se borne à accueillir sur notre territoire des populations qui y imposent leur mode de vie, même lorsqu'il contrevient à nos valeurs, ou bien est-ce que nous demandons, en échange de l'accueil, une démarche positive d'intégration ? Alors qu'à une époque, l'absence de contrepartie ne gênait pas, voire était vécue comme la seule façon acceptable d'accueillir des populations migrantes, on observe que l'opinion française est de plus en plus décomplexée sur l'idée que des contreparties doivent exister. Se produit donc un changement en profondeur de l'opinion française. Faut-il en déduire que les discours antérieurs étaient faux ? ou bien que la mentalité française a changé et qu'elle penche maintenant pour une ligne dure ? Je suis plutôt en faveur de cette deuxième solution. 

Paul-François Paoli : En effet, nous vivons une perte de confiance qui concerne aussi bien la droite que la gauche car la dite droite a adopté sur moults sujets le même langage humanitaire gnan gnan de la gauche. Juppé en est le parfait révélateur, qui vient de subir une cuisante défaite aux primaires, et d'autant plus cuisante qu'elle était inattendue. En réalité l'Europe a échoué et chacun le sait. Elle a échoué à sécuriser économiquement et culturellement des peuples qui ont l'impression d'être menacés par une mondialisation nullement heureuse mais irrépressible. Les propos de certains commentateurs après le Brexit ont été honteux. Il s'agissait de morigéner les anglais pauvres qui avaient voté contre la modernité. En outre ces propos sont évidemment contre productifs du point de vue des partisans de l'Europe, ils ne font que donner raison à ceux qui ont fait le choix du Brexit.

Que perd-on à ne voir dans ces électeurs tentés par le populisme uniquement des individus sensibles à des discours impulsifs ? Est-ce qu'on ne s'empêche pas d'analyser concrètement les raisons de cette vague populiste, et donc d'agir en conséquence ?

Eric Verhaeghe : Je préfère dire que la pensée critique, celle qui juge les choses avant de les comprendre, ne permet plus de décoder les dynamiques nouvelles à l'oeuvre dans la société française, et plus globalement dans l'ensemble des sociétés. La pensée critique qui condamne le populisme sans jamais définir clairement de quoi il s'agit est une pensée de la reproduction et de la répétition. Elle élimine les innovations qui sortent du cadre qu'elle a préalablement fixé. La critique du populisme procède de cette mise à l'écart des idées nouvelles, et de cet engouement pour l'immobilisme intellectuel. La façon dont la question de l'identité nationale est traitée depuis plusieurs années par les élites l'illustre bien. Parler d'identité nationale dans les salons parisiens, c'est franchir une ligne rouge, s'exposer à l'accusation de racisme et de fascisme. Ce faisant, c'est toute une conscientisation qui est mise en procès, et c'est toute une rupture qui est consommée entre l'opinion publique, majoritairement hostile au port du voile dans l'espace public, et ses élites, très indécises sur le sujet. 

Paul-François Paoli : Le populisme a de multiples causes, d'ailleurs complexes. L'immigration forcée est une des causes essentielle mais elle recouvre un problème plus profond. Les classes populaires ont sans doute l'impression que les gens "d'en haut" ne font plus partie de la même humanité qu'eux. Qu'ils vivent dans un monde à part qui bénéficie des avantages de la mondialisation alors qu'eux en subissent les conséquences néfastes.

D'un point de vue politique, que doivent changer les candidats dits "raisonnables" dans leur manière d'aborder les problèmes et leurs méthodes ? Quel autodiagnostic doivent-ils réaliser selon vous ?

Eric Verhaeghe : La première étape consiste sans doute à écouter ce que les gens ont à dire sur leur vie quotidienne. On ne mesure souvent pas assez que la première cause de désespoir en France - je veux dire de désespoir collectif - vient du fait que certaines souffrances ne peuvent être expliquées parce qu'elles constitueraient une faute de goût, ou ne sont pas jugées d'être écoutées. Qu'un migrant raconte sa traversée et il émeut les foules. Mais le travailleur indépendant en passe de se retrouver à la rue avec ses enfants parce qu'il ne peut honorer une remboursement au RSI, ce travailleur-là subit une pression et une sorte de harcèlement qui n'intéresse personne, et qu'aucun journal ne va publier. Le point essentiel pour les candidats est de souligner qu'ils ont très bien compris cela et qu'ils sont capables d'une vraie empathie avec les spectateurs et les passants.  

C'est ici que les choses se compliquent, car il ne suffit pas de décréter l'empathie pour qu'elle s'installe. Comme toujours, la politique n'est pas seulement affaire de procédure, mais aussi d'incarnation. Si un conseil était à donner aux candidats, il porterait sur ce point: se montrer plus empathique, et recevoir mieux les souffrances des autres. 

Paul-François Paoli : Il faut commencer par comprendre le phénomène dit populiste. Celui ci est au conservatisme ce que les révoltes ouvrières étaient au socialisme au XIX e siècle. Le populisme a des aspects légitimes : le mépris des classes supérieures pour les pauvres et les modestes n'est pas une illusion ; Il a certes toujours existé mais il coexistait aussi avec une retenue alors qu'aujourd'hui ce mépris est cynique. La gauche et notamment la gauche française qui était censée hier représenter le monde ouvrier n'a plus rien à lui dire. Elle a troqué l'internationalisme d'antan pour un mondialisme assumé. Elle méprise l'idée de frontières alors quel celles ci sont l'effet de l'Histoire et du sens commun. Qui plus est, la gauche  a perdu le pouvoir auprès des intellectuels et elle n'a pas compris que son discours universaliste du vivre ensemble sonnait creux pour des gens qui voient leurs quartiers transformés parfois en une génération en un pays étranger. La droite française a du coup tout le champ devant elle pour sortir du béniouiouisme du vivre ensemble. Elle doit accepter l'idée que nous sommes dans un monde dur et fracturé, conflictuel, notamment du fait d'un islam agressif qui n'est surement pas soluble dans les valeurs de la République. Elle doit, autrement dit, faire de la politique. Fillon semble prendre cette direction à laquelle a renoncé Juppé. L'avenir dira s'il est à la hauteur de la situation.

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