Pourquoi les Français se trompent sur la hiérarchie réelle des plus graves problèmes d’inefficacité des politiques européennes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Union européenne est épinglée par les Français.
L'Union européenne est épinglée par les Français.
©Reuters

Pas là où on croit

Un sondage publié dans l'hebdomadaire Valeurs Actuelles met en lumière l'opinion très négative qu'ont les Français de l'action de l'Union européenne en pleine crise. Aucun domaine d'action n'est épargné. Au risque parfois d'une certaine confusion dans les politiques où l'UE est réellement compétente, sans voir ses vraies limites.

Olivier Costa

Olivier Costa

Olivier Costa est directeur de recherche au CNRS au Centre Emile Durkheim de Bordeaux et directeur d’études au Collège d’Europe. Il a publié avec Nathalie Brack Le fonctionnement de l’Union européenne aux Editions de l’Université de Bruxelles, 2° édition, 2013

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Atlantico : Dans une étude publiée dans le magazine Valeurs Actuelles proposant de noter sur 20 divers champs d'action de l'Union européenne, les évaluations sont catastrophiques et la moyenne, tous secteurs confondus, est à 5,7. Quels ont malgré tout été les décisions notables durant la dernière législature ? Ont-elles réellement eu une efficacité ?

Olivier Costa : Ce sondage appelle trois commentaires liminaires. En premier lieu, interroger des citoyens sur des thématiques au sujet desquelles ils sont, de toute évidence, peu informés n’a pas grand sens. Les sondés peuvent donner des réponses à toutes sortes de questions, mais elles ne renvoient pas forcément à des opinions très construites. On en veut pour preuve la faible variance des réponses selon les politiques et les appartenances partisanes.

En deuxième lieu, les sondés sont interrogés sur leur satisfaction vis-à-vis de politiques pour lesquelles l’Union a beaucoup de compétences et d’autres pour lesquelles elle n’en a quasiment pas. On peut, à juste titre, estimer que l’action de l’Union dans le domaine de l’emploi est insuffisante ; mais il faut préciser avance cela qu’elle n’a quasiment pas de compétence en la matière.

Enfin, il serait intéressant de comparer avec les réponses que donneraient les électeurs au sujet des politiques menées à l’échelon national, régional et local, pour voir s’il y a un rejet de l’action publique en général, ou de l’Union en particulier.

Je me contenterai donc de dire que ce sondage traduit un a priori négatif vis-à-vis de l’Union et de ses politiques. L’Union souffre, au-delà de l’euroscepticisme ambiant, d’un manque de lisibilité de son action. Ces cinq dernières années, elle a agi avec un certain désordre – mais en définitive, une efficacité relative – pour remédier à la crise de confiance des marchés dans les pays européens. Elle a par ailleurs adopté des textes importants, sur des sujets aussi différents que le marché de l’eau, l’encadrement des crédits à la consommation, les émissions de CO2 des véhicules, le tabac, la reconnaissance des qualifications professionnelles, le transport ferroviaire et la protection des données. Mais peu de citoyens le savent.

Raisonner en termes d’efficacité de l’action de l’Union n’a pas grand sens : c’est surtout le périmètre de ses compétences qui est en cause. Globalement, elles portent avant tout sur la régulation du marché intérieur, or c’est une problématique qui intéresse peu les citoyens et les conduit à penser que l’Union est juste l’instrument des grands de l’économie et de la finance.

Le sondage met en valeur ce que les Français reprochent à l'Union européenne, mais quels sont les domaines où, à l'inverse, les critiques sont faibles voire absentes, alors même que l'UE serait justement critiquable dans son action (ou son inaction) ?

Les critiques relatives à l’Union, à ses politiques et à ses institutions sont tellement nombreuses qu’aucun aspect de l’intégration européenne n’y échappe réellement.

Le point qui me semble le plus problématique dans le fonctionnement de l’Union, et qui n’est souvent pas évoqué, est le double jeu des responsables nationaux, qui représentent leur Etat à Bruxelles. L’histoire est ancienne : ils adoptent une position dans les instances européennes, obtiennent satisfaction ou sont partie prenante à un compromis, mais se désolidarisent de la décision prise une fois de retour chez eux. Ce double discours nourrit fortement l’euroscepticisme et rend l’Union européenne inefficace, en déresponsabilisant les leaders nationaux.

Il est important que les parlements nationaux, les médias et les leaders d’opinion prêtent une plus grande attention à la politique européenne des gouvernements des Etats membres et aux activités du Conseil et du Conseil européen. Ils doivent aussi expliquer que, si l’Union échoue à prendre des mesures, à se réformer et à agir, c’est le plus souvent en raison des blocages qui interviennent entre les représentants des Etats, et des stratégies à courte vue de certains responsables nationaux.

Le secteur qui fédère les pires critiques et celui de l'immigration (4,6/20). L'UE, perçue comme laxiste, a-t-elle vraiment échoué à freiner l'entrée massive de migrants sur son territoire ? 

La peur de l’étranger et le rejet des étrangers ont le vent en poupe partout en Europe depuis le début de la crise financière, où ils sont attisés par les partis extrémistes. Ces partis sont, le plus souvent, également eurosceptiques et opposés à la globalisation. L’hostilité à l’étranger, à la mondialisation et à l’Union se combinent, et amènent logiquement les citoyens à juger très négativement l’action de l’Union dans le domaine de l’immigration.

Ce jugement est toutefois doublement paradoxal. En premier lieu, le contrôle des frontières reste, à titre principal, du ressort des Etats : s’il y a des défaillances, elles sont avant tout nationales, et largement dues à une pression migratoire qui s’amplifie au gré des crises économiques, politiques et humanitaires dans les pays voisins de l’Union. En second lieu, les défenseurs des droits de l’Homme, et tout particulièrement ceux des droits des migrants, n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer l’approche répressive de l’Union en la matière, et notamment l’action de l’agence européenne « Frontex ». Selon ces personnes bien informées, l’Union est loin d’être laxiste dans son approche de l’immigration clandestine.

L'emploi, l'une des premières préoccupations des Français récolte également un piteux 5/20. Qu'a fait l'Europe dans ce domaine ? Est-ce vraiment son rôle ou en son pouvoir de favoriser l'emploi ?

L’action de l’Union pour l’emploi est structurellement limitée, car les politiques qui relèvent de ce domaine, qu’il s’agisse des politiques macro-économiques, des politiques sociales, des grands investissements ou de la formation, sont essentiellement du ressort des Etats membres. Ces derniers ont toujours refusé d’octroyer à l’Union des compétences significatives en ces matières.

L’action des institutions européenne se limite, par défaut, à favoriser, de manière non contraignante, la convergence des politiques nationales et à inciter les Etats à participer à des actions communes. Les institutions de l’Union essaient aussi de déployer des actions dans les marges des traités, notamment pour favoriser l’emploi des jeunes. Mais tout cela se fait sans budget et sans instrument contraignant, et cette action a donc des résultats limités et peu visibles.

L’Union est néanmoins perçue comme responsable de la situation de l’emploi parce que les citoyens attendent de tous les pouvoirs publics, du local à l’européen, qu’ils se focalisent sur cet enjeu. Ils comprennent mal que les institutions européennes puissent dépenser tant d’énergie à réglementer la taille des concombres et ne se soucient pas davantage des millions de chômeurs que comptent les 28.

Le sujet le moins mal noté dans ce sondage parmi ceux proposés, la PAC (6,8/20) est aussi celui qui impacte le moins la vie quotidienne des Français. L'Union européenne est-elle réellement incapable de prouver le bénéfice de son action dans les domaines les plus généralistes concernant l'ensemble de la population ? Pourquoi semble-t-elle avoir des résultats mieux perçus sur les dossiers "techniques" ?

Les Français savent, confusément, que leurs agriculteurs ont grandement bénéficié de la PAC et que cette politique jouit de moyen financiers et légaux considérables. D’où, probablement, ce score, moins mauvais que les autres. Le fait que cette politique n’ait pas d’impact direct apparent pour le plus grand nombre des répondants explique aussi cette magnanimité relative.

Si l’Union peine à obtenir de meilleures évaluations dans les autres secteurs de l’action publique c’est, une fois encore, en raison de la faiblesse de ses compétences formelles dans ces domaines. Concrètement : elle ne dispose pas des compétences et du budget permettant de satisfaire les attentes des citoyens, dans des secteurs-clés tels que l’action sociale, l’emploi, la sécurité ou la formation.  

Autre fait notable de l'étude : le désamour est commun à toutes les tendances politiques françaises, même les plus europhiles (la moyenne chez EELV est à 7,9/20) et la grande majorité des Français expriment le désir de plus de protectionnisme et de moins de technocratie, ce qui n'est pas le chemin pris. Le désamour généralisé est-il irréversible ? 

On constate une généralisation du discours eurosceptique. Il est plus ou moins prononcé selon les partis, mais il n’y a plus guère de leaders politiques pour prendre fait et cause pour la construction européenne. Cela tient au regard que les responsables politiques portent sur l’Union, qui a affronté de nombreuses crises depuis le début des années 2000 et semble aujourd’hui dépourvue de projet et de dynamique. Cela tient aussi à des stratégies électorales visant à ne pas s’aliéner les citoyens eurosceptiques.

Ce désamour des citoyens pour l’Europe est en partie conjoncturel. Pour l’heure, elle apparaît surtout comme la source des problèmes ; dans dix ans, elle sera peut-être davantage identifiée comme ayant apporté des solutions à des enjeux cruciaux tels que le réchauffement climatique, la concurrence des pays émergents, les grands défis technologiques ou les flux migratoires.

Sitôt qu’il y a une crise économique et sociale, on voit monter les appels au repli national (ou régional) et au protectionnisme. Les citoyens veulent qu’on leur désigne des ennemis (les pays à bas coût de manœuvre, les immigrants, les pays voisins plus prospères ou moins prospères, la mondialisation...) et se retrancher derrière des frontières.

Les citoyens disent aussi vouloir une Europe moins technocratique. On notera toutefois qu’ils ont rejeté il y a dix ans la constitution européenne, qui proposait une telle approche. En outre, il est peu probable qu’ils se mobilisent pour les élections européennes, alors qu’une forte participation électorale donnerait plus de poids au Parlement européen et permettrait de politiser davantage la Commission et le fonctionnement de l’Union. Ici encore, le sondage cultive avant tout les clichés.

Au-delà de la conjoncture, la légitimation de l’Union doit prendre trois chemins distincts.

Celui de la satisfaction des attentes des citoyens, par la réorientation des activités de l’Union sur des questions jugées stratégiques par les Européens, telles que l’emploi, la croissance, l’éducation ou la défense des consommateurs. Mais cela nécessite une réforme des traités et implique que les responsables des Etats acceptent de se dessaisir d’une partie de leurs compétences en ces matières.

Celui, en deuxième lieu, de l’association plus étroite des citoyens à la prise de décision, au-delà des seules élections européennes. Toutefois, faire participer les citoyens au fonctionnement institutionnel dans un système politique d’une telle taille et d’une telle complexité n’est pas chose aisée.

Celui, enfin, d’une meilleure formation et information des citoyens sur les questions européennes, qui implique de mobiliser tout à la fois le monde éducatif, les médias et les leaders d’opinion.

Propos recueillis par Damien Durand

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