Pourquoi les emails d’Hillary sont bien une affaire d’Etat<!-- --> | Atlantico.fr
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Comment imaginer qu’une telle personne respecte les lois et les règles institutionnelles une fois devenue présidente, c’est-à-dire quand elle n’aura plus personne au-dessus d’elle ?
Comment imaginer qu’une telle personne respecte les lois et les règles institutionnelles une fois devenue présidente, c’est-à-dire quand elle n’aura plus personne au-dessus d’elle ?
©Jewel SAMAD / AFP

Trans-amérique Express

L’affaire des emails d’Hillary, qui vient d’être relancée par le FBI, ne concerne pas le choix opportun ou malheureux d’un serveur privé par celle qui fut Secrétaire d’Etat de 2009 à 2013. ElIe concerne la volonté délibérée d’un membre de l’administration de dissimuler ses activités de ses pairs et des citoyens américains. Voilà pourquoi l’affaire est importante.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Vous souvenez vous du Watergate ? Le scandale qui fit tomber le président Richard Nixon. L’affaire, au départ, concernait un simple cambriolage des bureaux du parti démocrate commandité par les « amis » du président républicain, en pleine campagne électorale, en 1972. Mais ce n’est pas le cambriolage qui a fait tomber Nixon deux ans plus tard. Ce sont ses mensonges répétés, sur le fait qu’il avait connaissance de cette opération. L’enquête de deux ans mit à jour un système d’espionnage interne sans précédent. Et au fil des révélations, les Américains finirent par se convaincre que leur président souffrait de  paranoïa aiguë, s’estimait au-dessus des lois, et avait bafoué les institutions qu’il était supposé défendre…

Et bien il en va à peu près de même pour la question des emails d’Hillary Clinton. Il ne s’agit pas tant de savoir quels secrets d’Etat ont pu être divulgués via ce système mais plutôt de réaliser qu’Hillary Clinton a  pris des libertés inconsidérées avec les responsabilités de sa fonction, et les règles administratives – s’estimant « au-dessus » de celles-ci - puis lorsque les premières révélations de ces écarts ont fait surface dans la presse, qu’elle a cherché à les nier, à les minimiser et enfin et surtout à les dissimuler.

Ses déclarations dans la presse et ses différents témoignages devant le Congrès ont été très incomplets, voir erronés et Hillary Clinton a participé à  une vaste opération de destruction de preuves et d’obstruction de justice.Comment imaginer qu’une telle personne respecte les lois et les règles institutionnelles une fois devenue président, c’est-à-dire quand elle n’aura plus personne au-dessus d’elle ?

Voilà pourquoi le scandale de ses emails est une affaire d’Etat. Les agissements d’Hillary Clinton, durant sa fonction de Secrétaire d’Etat et après, dépeignent une personne s’estimant au-dessus des  lois et faisant tout pour se placer hors de portée de la justice. Ils dépeignent aussi une personne ayant par conséquent très peu d’estime et de respect pour la nation et les institutions américaines

Rappel des faits :

Tout d’abord le contexte. L’utilisation des emails des employés du département d’Etat, et, par extension,  de tous les fonctionnaires de l’administration américaine, est encadrée par deux règles récentes. L’une mise en place en 2005, les oblige à conduire leurs affaires quotidiennes (« day to day business ») sur un ordinateur fourni par le gouvernement et connecté à un serveur du gouvernement susceptible de garantir l’authentification, la confidentialité et, au besoin, le cryptage des messages. L’autre, qui date de 2008, et émane du service des archives,  demande aux employés de l’administration de conserver tous leurs emails de travail et de les rendre aisément accessibles.

Cependant dès l’été 2008 les Clinton font installer un serveur dans leur résidence privée de Chappaqua, dans l’Etat de New York. Ils ont déjà un nom de domaine « clintonmail.com ». En janvier 2009, ce compte sera enregistré auprès du Département d’Etat avant même qu’Hillary Clinton ne soit confirmée dans sa fonction par le Sénat. Il est supervisé pour les questions de sécurité par une personne privée, Bryan Pagliano,  proche de Bill. Le serveur est enregistré sous le nom d’une tierce personne  - Eric Hoteham, nom fictif -  et le compte, sous le nom de Justin Cooper, autre proche des Clinton, afin que leur propre nom n’apparaisse nulle part. Personne au Département d’Etat ne viendra jamais vérifier la sécurisation du serveur privé des Clinton. Par contre le Département d’Etat mettra à la disposition d’Hillary un compte email sécurisé et un ordinateur qu’elle n’utilisera jamais.

Pendant ses quatre années à la tête du Département d’Etat Hillary Clinton échangera près de 70 000 emails sur son serveur privé, y compris avec le président Obama lui-même,  qui signe sous un pseudo.

En mars 2015, l’existence de ce système d’emails privés est indirectement révélé par le New York Times. Dans le cadre des enquêtes du Congrès sur la tragédie de Benghazi, en Libye, le 11 septembre 2012, un certain nombre de documents ont été demandés au Département d’Etat, dont les échanges mails d’Hillary Clinton, or ceux-ci s’avèrent inaccessibles… Dans la foulée de nombreux média américains et associations demandent l’accès à ces emails dans le cadre du « freedom of information act », la loi sur la liberté de l’information.

Le scandale éclate au grand jour. Le FBI engage une enquête. Son souci concerne la divulgation d’informations sensibles, voire top secrètes. Pressée d’expliquer sa conduite Hillary se justifie en évoquant un simple souci de «commodité », comme d’éviter d’avoir à utiliser plusieurs appareils Blackberry. En fait elle en utilisera onze durant ses quatre années comme Secrétaire d’Etat. Parce que le bureau d’Hillary Clinton au Département d’Etat était  un espace sécurisé, elle ne pouvait y entrer avec ses téléphones Blackberry. Face à son refus d’utiliser l’ordinateur du département pour consulter ses emails, un espace dédié fut  créé  à côté de son bureau, où elle put consulter ses emails sans passer par le système du gouvernement, pendant l’ensemble de son mandat. 

Face aux demandes insistantes pour que ces emails soient rendus public, Hillary Clinton en transmet quelques trente mille au département d’Etat, avec pour instruction de les communiquer, après avoir supprimé ceux qu’elle considère comme « personnels », car elle conduisait ses affaires officielles et ses affaires de famille sur le même compte. Dès lors la question concerne la nature des emails délibérément effacés par Hillary Clinton. Leur nombre est évalué à plus de trente mille…

Face aux journalistes Hillary Clinton affirme n’avoir jamais utilisé son serveur privé pour transmettre des données « classifiées» (document habituellement marqué de la lettre « C »). Cette affirmation se révélera mensongère. Une commission du Congrès critique Hillary pour avoir effacé ses emails alors qu’elle faisait l’objet de plusieurs enquêtes – notamment sur l’affaire de Benghazi. Cet acte pourrait constituer une forme d’obstruction de justice. Hillary se défend que la-dite commission ne l’a jamais convoquée officiellement.

Le 8 septembre 2015, alors que la campagne présidentielle est lancée Hillary Clinton présente des excuses officielles sur sa page Facebook. Elle reconnait avoir commis « une erreur », dont elle « assume la pleine responsabilité » et qu’elle« aurait dû avoir deux comptes, l’un personnel l’autre professionnel».

Toutefois la question n’est déjà plus celle du « choix d’un serveur privé », mais bien celle des tentatives répétées d’Hillary Clinton pour  dissimuler une partie de ses activités, et ses violations répétées des règlements administratifs et de ses obligations constitutionnelles.

Aujourd’hui, quinze mois plus tard, c’est toujours cette question qui maintient le scandale des emails de la Secrétaire d’Etat en première page. Début juillet le directeur du FBI, James Comey, un ancien Républicain, aujourd’hui Indépendant, nommé à ce poste par le président Barack Obama en septembre 2013 a conclu l’enquête menée par ses services sur les agissements de la Secrétaire d’Etat en les jugeant « d’une extrême négligence », mais non passible d’une inculpation. Car il n’y avait pas eu de la part d’Hillary Clinton « d’intention claire de violer la loi ». Elle ne serait pas poursuivie. L’enquête était close. C’est cette enquête que ce même James Comey vient de « ré-ouvrir » pour y apporter des « compléments d’information ». Sans préciser lesquels.

Si les démocrates sont furieux, c’est évidemment parce que survenant à dix jours du scrutin présidentiel, cela peut avoir une incidence sur le vote. Non que les Américains découvrent soudain que l’honnêteté et la transparence ne sont pas les points forts d’Hillary Clinton. Mais ils pourraient se réveiller au matin du 9 novembre avec un « président-élu » faisant l’objet d’une enquête, voire d’une inculpation, fédérale… 

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