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Pourquoi les échanges mondiaux ressemblent de plus en plus à ce qu’ils étaient il y a un millénaire
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Retour à la normale

Le centre de gravité de l’économie mondiale s’est considérablement déporté du Moyen-Orient vers l’Occident depuis plusieurs centaines d’années. Une étude de l’Institut McKinsey&Company nous apprend que ce centre de gravité se rapproche très précisément de sa localisation en l’an 1000 après J.C.

Florent Detroy

Florent Detroy

"Florent Detroy est journaliste économique, spécialisé notamment sur les questions énergétiques, environnementales et industrielles. Voir son site."
 
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Atlantico : En l'an 1000 après J.C., l'Inde et la Chine représentaient 2/3 du commerce mondiale. Pourquoi les échanges mondiaux ressemblent-ils aujourd'hui à ce qu'ils étaient il y a un millénaire ?

Florent Detroy : J’aurais une remarque pour commencer, je ne pense pas que ce que ce soit les échanges mondiaux qui se ressemblent, mais plutôt le poids économique des pays, dans la mesure où on peut calculer un PIB en l’an 1000. La puissance économique aujourd’hui d’un pays repose sur son insertion dans la mondialisation, sa productivité, sa capacité à innover…dans une économie mondialisée, chaque activité économique est mesurée, classée à l’échelle de 192 nations. II y a 1000 ans, l’intégration des échanges économiques était quasi inexistante. La richesse d’un pays résidait davantage dans son poids démographique ou son accès aux matières premières. Les ressors de la richesse étaient très différents, ce qui empêchent de comparer les deux situations.

Si ce centre de gravité s'est continuellement déporté vers l'Ouest pendant plusieurs siècles, il ne suffira que d'une trentaine d'années pour qu'il retrouve la zone géographique occupée en l'an 1000 après J.C. : comment expliquer cette rapidité et ce basculement ? 

D’abord, la façon dont est présenté ce retour du centre de gravité vers l’Asie est trompeuse. On peut aussi estimer que le centre de gravité continue simplement sa progression vers l’ouest, et que l’heure de l’Asie est arrivée. De manière très grossière, le Moyen-Orient a connu son âge d’or entre le 8ème et le 13ème siècle, puis ce fut le tour ensuite de l’empire Ottoman, de l’Europe du sud à partir de la Renaissance, puis du nord avec la révolution industrielle. La cote est des Etats-Unis a pris le relais, avant que la cote ouest, actuellement, deviennent un nouveau relais de croissance des Etats-Unis. Si on suit cette logique, on peut penser que le tour de l’Asie, et plus particulièrement de la Chine, est arrivé. D’ici 2050, on peut déjà estimer que l’Inde, l’Iran ou encore la cote est de l’Afrique seront au centre de l’économie mondiale. Le problème avec ce genre d’approche, c’est qu’elles font l’impasse sur les raisons de l’essor propres à chaque pays. Au Moyen-Orient, l’arrivée du monothéisme a pu jouer un rôle unificateur en répandant notamment la langue arabe, et en permettant ainsi une meilleure circulation du savoir. En Europe, c’est l’organisation politique autour de petites nations constamment en compétition qui a pu jouer un rôle. Sans parler du rôle qu’a jouer la religion dans l’essor du capitalisme, pour reprendre la thèse de Max Weber. Si l’on observe un déplacement toujours vers l’ouest du centre de gravité, les raisons qui l’expliquent sont trop nombreuses, contingente et aléatoires pour que l’on puisse y voir une règle naturelle. Et sur la question de la rapidité, le rôle des techniques, du transport terrestres et maritime notamment, et aujourd’hui du numérique, tient une place prépondérante.

Quel rôle les pays émergents asiatiques jouent-ils dans ce basculement ? Que nous apprend ce phénomène sur l'économie mondiale actuelle ?

L’essor des pays émergents asiatiques semble être le résultat de l’application chez beaucoup de pays asiatiques d’un même modèle économique et souvent politique. Sur le plan purement économique, le modèle asiatique est parfois appelé le "bol de nouille". Il désigne l’enchevêtrement des accords économiques au sein de la zone Asie. On parle également de "circuit imprimé" japonais, notamment parce que le Japon a été le premier pays a utilisé cette technique de sous-traitance à l’échelle régionale. De cette intégration extrêmement poussée, ayant l’avantage de rassemblée des pays très innovants et des pays à la main d’oeuvre bon marché, résulterait le succès asiatique, notamment pour le Japon, les tigres asiatiques (Singapour, Taiwan, Hong Kong et Corée du sud) et aujourd’hui la Chine. A côté de cette organisation industrielle propre, on parle également de l’importance de son modèle politique. La mort cette année de l’ancien premier ministre singapourien Lee Kuan Yew est venu rappeler que le succès de la cité-Etat a été le fruit d’un subtil mélange d’autoritarisme, de nationalisme et d’intégration maitrisée dans la mondialisation. Or on retrouve ce modèle chez plusieurs autres Etats asiatiques, la Chine étant le plus visible actuellement. Ces deux exemples de particularités régionales nous apprennent avant tout que le succès dans la mondialisation est la plupart du temps le résultat de caractéristiques culturelles et politiques.

Après plusieurs centenaires de fossilisation, l'économie chinoise revient sur le devant de la scène. Comment les chinois appréhendent-ils cette place ? Est-ce pour eux un juste retour à la normale après une parenthèse historique ?

Pendant longtemps Pékin a joué la carte de l’humilité. Dans les années 1990 et début 2000, la Chine n’a pas cessé de répéter qu’elle ne voulait pas régner sur l’économie mondiale, afin de désamorcer les critiques et les fantasmes occidentaux. Il faut dire que la Chine sortait de plusieurs décennies d’isolement total, et qu’elle n’avait plus les capacités de se projeter sur la scène internationale. Dans les années 1990, le représentant chinois à l’ONU ne parlait même pas l’anglais. Mais le pays a du sortir de ses frontières à la fin des années 1990, ne serait-ce que pour approvisionner son industrie en matières premières. Les JO de 2008 et l’exposition universelle sont venues ensuite confirmées que la Chine pensait désormais les relations internationales. Est ce qu’il s’agit d’un retour à la normal ? La Chine nourrit effectivement un besoin de revanche depuis son humiliation au 19ème par les puissances coloniales, mais tous les pays qui voient leur stratégie réussir peuvent afficher un esprit de revanche. Pékin semble surtout vouloir reprendre un rôle central en Asie. L’insistance de ses revendications sur les iles Spratley et Senkaku, revendiqués respectivement par le Japon et par plusieurs pays asiatiques,  témoignent en tout cas d’une confiance grandissante en Asie.

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