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Pourquoi les comparaisons internationales sur la mortalité du Covid-19 sont moins fiables qu’on ne le pense
©Thomas COEX / AFP

Bataille de chiffres

Didier Raoult a récemment mis en cause l'action du gouvernement en tentant de démontrer que la surmortalité française était bien plus élevée qu'ailleurs. Les comparaisons internationales reposant sur les données officielles de la Covid-19 sont-elles fiables ?

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico.fr : Durant son intervention face à la Commission d'enquête parlementaire sur la crise liée au coronavirus, le Pr Raoult a mis en cause l'action du gouvernement dans cette crise en tentant de démontrer que la surmortalité française était bien plus élevée qu'ailleurs. Mais les comparaisons internationales reposant sur les données officielles du Covid sont-elles fiables ? 

Laurent Chalard : Non, les comparaisons internationales concernant le Covid-19 ne sont pas fiables du tout, aussi bien en termes de nombre de malades que de nombre de décès, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a une opposition entre les pays « sérieux », entendus comme démocratiques, qui affichent une certaine transparence, comme les pays ouest-européens, et les autres pays du monde, non démocratiques, où les chiffres n’ont pas beaucoup de sens puisque sciemment sous-estimés dans l’optique de minimiser l’impact de la maladie, comme, par exemple, l’Iran ou la Chine. Cela sous-entend que les comparaisons internationales entre les premiers et les seconds Etats n’ont aucune valeur. Ensuite, au sein des pays « sérieux », si les écarts sont moindres, les comparaisons demeurent aussi partiellement biaisées car les méthodes de comptage des personnes décédées et de dépistage des personnes malades sont différentes. Concernant le nombre de cas attribué au covid-19, il est fortement dépendant des politiques de dépistage mises en place par les pays. Dans ceux qui ont dépisté dès le départ systématiquement la population susceptible d’être contaminée, comme l’Allemagne, le nombre de malades se rapproche de la réalité, par contre, dans les pays qui n’ont pas effectué ce choix, les chiffres sont sensiblement en-dessous de la réalité, sous-estimant l’ampleur de l’épidémie, ce qui a été le cas en France, le pays n’ayant pas assez de kits de test au début de la crise sanitaire. Concernant les décès, là aussi des biais apparaissent. Tout d’abord, certains pays comptabilisent l’ensemble des décès attribuables au covid-19, que ce soit à l’hôpital, en établissement spécialisé ou à domicile alors que d’autres ne fournissent que les décès à l’hôpital. Ensuite, les causes de la mort des individus mentionnées sur les bulletins de décès peuvent être variables, certains Etats attribuant tous les décès de patients testés positifs au covid-19 à cette maladie, qu’ils présentent ou non une autre pathologie pouvant avoir entraîné la mort (comme un cancer par exemple), alors que d’autres ne tiennent compte que des décès uniquement liés à cette maladie. A l’arrivée, l’utilisation des données officielles n’apparaît pas scientifiquement pertinente, la marge d’erreur attribuable aux biais étant bien supérieure aux différences d’un pays à l’autre. 

Quelles données doivent être observées afin de pouvoir établir un comparatif pertinent ? 

Même si ces données ne sont pas parfaites, le meilleur moyen pour établir une comparaison pertinente est d’analyser la surmortalité pendant l’épidémie du covid-19 dans tous les pays concernés, entendus comme « sérieux ». C’est un moyen de mesure indirect, qui a cependant un avantage considérable, un décès est un décès quel que soit le pays concerné ! En effet, dans les pays développés, l’état civil est parfaitement tenu, la quasi-totalité des décès étant déclarés, ce qui fait que ces données sont d’une fiabilité incontestable. Il s’agit donc de comparer la mortalité constatée pendant les mois de l’épidémie en 2020 dans chaque pays et de la comparer à la mortalité moyenne constatée les années précédentes sur la même période. Etant donné l’ampleur de la crise du covid-19 dans les pays fortement touchés, les pics de surmortalité sont tellement marquants qu’ils ne peuvent être attribués à une autre cause, que les décès excédentaires relèvent directement du covid-19 ou soient connexes, comme par exemple le fait que des personnes n’aient pas pu être prises en charge dans les établissements hospitaliers du fait de leur saturation temporaire. En conséquence, c’est la seule méthode qui devrait être utilisée pour réaliser des comparaisons internationales sous réserve de données disponibles aux dates de la pandémie.

Quels enseignements ces chiffres nous donnent-t-ils sur la question de la transparence à l’international ?

La comparaison des chiffres collectés pour huit pays européens et trois grandes villes mondiales pour lesquelles des données fiables sont disponibles (New York, Istanbul et Jakarta), mis sous forme d’un tableau par le site internet anglais Our World in Data, montre que la France apparaît comme l’un des pays affichant la plus grande transparence au niveau mondial puisque le nombre de décès attribués officiellement au covid-19 est assez proche du nombre de morts supplémentaires constatés sur la période de pandémie, soit environ 28 500 personnes, situation qui se retrouve uniquement parmi deux autre pays européens, la Belgique et la Suède. Dans tous les autres cas analysés, le nombre de décès officiel apparaît plus ou moins grandement sous-estimé, que ce soit au Royaume-Uni, où la surmortalité est de 63 000 personnes (plus du double de la France pour une population semblable), aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie, trois Etats où la surmortalité est d’environ un tiers plus importante que les chiffres officiels ne le laisseraient penser, les deux pays d’Europe du Sud affichant plus de 40 000 décès supplémentaires, soit beaucoup plus que la France. Enfin, sans surprise, ce sont dans les pays moins développés et moins démocratiques que l’écart entre la surmortalité constatée et les chiffres officiels sont les plus importants, c’est-à-dire dans la ville d’Istanbul en Turquie, avec deux fois plus de décès qu’annoncé, et à Jakarta en Indonésie, où l’écart est encore plus considérable de l’ordre de 1 à 9 ! 

A l’arrivée, il se confirme que les Etats les plus transparents apparaissent aux yeux de l’opinion publique internationale comme beaucoup plus touchés qu’ils ne le sont en réalité alors que d’autres pays passent sous l’œil du radar en mentant. Dans ce cadre, il convient d’être prudent avant d’engager toute comparaison, d’autant que la première vague d’épidémie est loin d’être terminée dans de nombreux pays, comme les Etats-Unis.  A l’heure actuelle, les débats chiffrés entre experts semblent plus relever de velléités de prise de position des uns et des autres, qui utilisent les données semblant aller dans leur sens, que d’arguments scientifiques. 

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