Pourquoi les collectivités locales doivent intégrer de toute urgence la culture de l’efficience<!-- --> | Atlantico.fr
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Le mille feuille territorial français
Le mille feuille territorial français
©Reuters

Bonnes feuilles

30 000 communes, 50000 établissement publics locaux, 18 000 établissements publics de coopération intercommunale... Des chiffres effrayants qui révèlent que la France croule sous le mille feuille territorial. Extrait de "Le grand hold-up" de Laurence Allard, publié aux éditions Flammarion (2/2)

Laurence Allard

Laurence Allard

Laurence Allard est sociologue de l’innovation et ethnographe des usages des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle est également maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, enseignante à l’Université Lille 3, et chercheuse à l’Université Paris-3, IRCAV (Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel). Elle travaille sur les pratiques expressives digitales (Web 2.0, remix, internet mobile), des thèmes «mobile et société», «politique technique et art/culture» ou la «culture des data». Elle est en particulier l’auteure de «Mythologie du portable» (Éditions Le Cavalier Bleu, 2010). Son dernier livre "Téléphone mobile et Création", publié aux Editions Armand Colin a été co-dirigé avec Laurent Creton et Roger Odin. 

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L'État a-t‐il besoin d'une sous-préfecture à Riom, à 15 kilomètres en autoroute de Clermont-Ferrand, la préfecture du Puy-de-Dôme ? C'était utile du temps de Napoléon, lorsque fut institué le maillage territorial, selon le principe que les citoyens ne devaient pas mettre plus d'une journée à cheval pour rejoindre les services de l'État. Mais deux cents ans plus tard, à l'heure du train, du TGV, d'Internet ! Et ce qui est vrai pour Riom l'est également pour d'autres. Or, depuis 1926, rien n'a changé : la France compte aujourd'hui 240 sous-préfectures, employant plus de 5 000 personnes.

L'organisation territoriale pèche de tous côtés. Nous avons autant de communes en France (36 000) que dans les autres pays de l'Union européenne réunis, plus même qu'aux États-Unis. Nous avons 50 000 établissements publics locaux (régies, centres d'action sociale...), 18 000 établissements publics de coopération intercommunale. Des chiffres qui font peur !

La France compte 35 régimes de retraite gérés par 60 caisses différentes. 23 450 organismes sont chargés de répartir les 40 milliards d'euros consacrés à l'action sociale. Les think tanks ont beau jeu de dénoncer une action publique tournée sur elle-même, à l'image des « Shadoks qui pompaient inlassablement ».

Si la démocratie se jugeait au nombre de ses élus, la France serait championne du monde. Un mille feuille qui superpose les compétences et les financements, qui devient opaque et illisible, qui échappe à tout contrôle des citoyens. Tous nos voisins -l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, les Pays-Bas, la Belgique, la Suède – ont entrepris une réforme territoriale. La Grèce a divisé par trois le nombre de ses communes. Nous, rien ou si peu, la diminution des régions est à l'état de projet et soulève tant d'oppositions que la réforme risque de ne jamais voir le jour ou de se trouver édulcorée.

L'enjeu n'est pas négligeable. Les collectivités locales représentent 20 % des dépenses publiques, 236 milliards d'euros (+ 60 milliards en vingt ans).

Leurs dépenses sont celles ayant le plus fortement progressé au cours des trente dernières années : + 3,1 % par an depuis 1983, selon la Cour des comptes. La fonction publique locale emploie 1,9 million d'agents, en hausse de 75 % depuis 1990. Une course folle des dépenses et des effectifs financée par les impôts locaux, la hausse des dotations de l'État et la dette publique.

La décentralisation est en partie à l'origine de ces augmentations. L'État a transféré aux collectivités locales des missions qu'il exerçait auparavant : construction et entretien des lycées, par exemple...

Or, s'il a compensé la charge au moment du transfert, il n'a pas assumé le coût de la dérive de ces dépenses. À cela s'ajoute le poids de nouvelles réformes, comme celle des rythmes scolaires, qui devrait coûter 600 millions d'euros, ou encore la revalorisation du traitement des agents de catégorie C, dont les trois quarts sont en poste au sein des collectivités locales. À cela s'ajoutent l'instauration de nouvelles normes, notamment environnementales, et des hausses d'impôts (TVA...).

Mais la décentralisation et l'inflation normative n'expliquent pas tout. Habituées à voir leurs dotations de fonctionnement grimper chaque année – 41,5 milliards d'euros leur ont été versés par l'État en 2013, auxquels s'ajoutent 27,5 milliards d'euros de transferts d'impôts et 9,8 milliards de compensation en contrepartie des dégrèvements d'impôts locaux –, les collectivités se sont lancées dans des plans d'équipement souvent pharaoniques. Un musée des Confluences à Lyon qui coûte 300 millions d'euros de plus que prévu. Une reconfiguration du Stade Vélodrome à Marseille qui excède les besoins de la ville et même les impératifs de l'Euro 2016, avec un montage financier trois fois plus onéreux que ce que la cité phocéenne aurait pu négocier sur le marché bancaire. Les élus locaux se sont également servis. L'agglomération de Perpignan compte 42 vice-présidents, alors que la loi n'en prévoit que 15. Quant aux dépenses de fonctionnement à Paris, elles se sont accrues de 36 % depuis 2001.

(…)

Or ces dérapages sont évitables et certains maires y parviennent. À l'instar de Villeurbanne, commune de 146 000 habitants de l'agglomération lyonnaise, jugée la ville la mieux gérée par le site décomptes publics.fr pour le magazine Le Point. Ou du Havre. En 2005, son maire, Antoine Rufenacht, crée une direction des marges de manœuvre chargée, entre autres, de traquer les économies dans le fonctionnement des services municipaux ; en 2009, tous les services sont sollicités pour diminuer de 3 % leurs budgets annuels : partage des secrétaires, pool de chauffeurs, vente du patrimoine...

De son côté, Lyon a embauché des contrôleurs de gestion, des acheteurs professionnels et, en quatre ans, réduit sa dette de 21 %. Besançon a créé une bibliothèque des coûts de revient au mètre carré par équipement municipal. La Ville de Paris s'est quant à elle dotée, en 2008, d'un service des achats et d'un centre de paiement unique. Elle a réduit le pool des chauffeurs, renégocié ses baux et ses loyers, divisé par deux ses dépenses de communication et par trois celles d'événementiel. Gilles Carrez, maire UMP du Perreux-sur-Marne, a réduit de 10 % le coût de la collecte des ordures ménagères grâce à un partage au niveau intercommunal.

Et cela se voit. Toujours selon le site Décomptespublics.com, les charges de personnel dans les villes de plus de 100 000 habitants oscillent entre 564 et 1 329 euros par habitant et la dette de 387 à 3 574 euros."

Selon la Cour des comptes, c'est d'ailleurs au niveau local que se situe le plus gros gisement d'économies. Encore faut-il les faire. Encore faut-il que les collectivités ne tombent pas dans leur travers habituel en augmentant les impôts ou en alourdissant leur dette. Plus fondamentalement, il faut qu'elles entrent enfin dans la culture de l'efficience.

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