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Pourquoi le sarkozysme reste le centre de gravité de la droite... mais sans locomotive pour l’incarner
©Jean-Christophe MAGNENET / AFP

Héritage impossible

Même s'il s'est retiré officiellement de la politique, nulle figure ne reste aussi populaire à droite que celle de l'ancien président.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : D'après un sondage réalisé par l'IFOP et publié aujourd'hui dans les colonnes du JDD, Nicolas Sarkozy demeure la figure la plus populaire à droite. Comment expliquer que six ans après la fin de son mandat, l'ex-président reste encore le centre de gravité de la droite ?

Christophe Boutin : Effectivement, c’est Nicolas Sarkozy qui sort de ce sondage comme « incarnant le mieux la droite », mais quant à être certain qu’il en représente toujours le centre de gravité c’est peut-être plus compliqué. Notons, avant toute chose, que la question était relativement « ouverte » en ce sens qu’elle ne donnait pas de date : il ne s’agissait pas en effet de savoir qui incarnait le mieux la droite en 2018, et cette manière de poser la question a pu jouer un rôle. On notera d’ailleurs, allant dans le même sens, que le sondage propose dans les réponses proposées des personnalités sinon retirées de la vie politique, du moins ayant pris leurs distances, de gré ou de force, avec la politique nationale (Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, ou, dans une moindre mesure, un Xavier Bertrand replié sur les « Hauts-de-France », ne manque finalement que Jean-Pierre Raffarin), et des personnalités qui, au contraire, cherchent aujourd’hui, luttant entre elles pour cela, à y jouer un rôle de premier plan (Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan).

Une fois posée cette réserve, ce que l’on pourrait retenir c’est que, plus de six ans après son échec à sa réélection, l’ancien Président serait toujours ressenti comme étant viscéralement « de droite », mais encore faudrait-il alors distinguer entre l’avis des Français en général et celui des « sympathisants de droite » (un terme que l’on aurait aimé à préciser lui aussi). C’est ainsi que Nicolas Sarkozy partage la première place (58%) à égalité avec Alain Juppé pour l’ensemble des Français, mais qu’il est « de droite » pour 83% des sympathisants de droite, quand le maire de Bordeaux ne l’est que pour 68%...

Cela renvoie à la question posée et à son caractère ambigu. Dois-je choisir dans ma réponse celui qui incarne le mieux la droite en tant qu’absolu – si tant est que je sois à même de définir cette droite chimiquement pure – ou celui qui incarne le mieux la droite que je souhaiterais ? Et l’on constate, avec le différentiel évoqué que, par exemple, Nicolas Sarkozy est plus une incarnation de la droite pour les électeurs de cette dernière, et Juppé pour les électeurs du centre et de gauche… pour lesquels Sarkozy incarnerait non la « droite républicaine », mais comme une forme médiatiquement acceptable de l’extrême droite.

Une autre preuve de la difficulté de bâtir une analyse sur ce sujet est que l’on trouve dans les résultats, devant Marine le Pen (42%), Laurent Wauquiez et Nicolas Dupont-Aignan (41%), et à égalité avec Valérie Pécresse… le Premier ministre d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe (46%). Or ce dernier, assez logiquement, n’incarne la droite que pour 37% des sympathisants de droite. Bref, il semble difficile, au vu de ses formulations, de se baser sur ce seul sondage pour faire de Nicolas Sarkozy, en 2018, le « centre de gravité de la droite ».

Nicolas Sarkozy a perdu les primaires de la droite en 2016 et se retrouve aujourd'hui empêtré dans plusieurs affaires judiciaires. Sa popularité actuelle n'est-elle donc pas paradoxale ?

Pas, encore une fois, si l’on replace la question dans le contexte de ce sondage. Ajoutons deux choses. La première, quant aux affaires, tient au fait que nombre de Français semblent avoir de nos jours un doute sur la justice française et son impartialité d’une part, et sur la manière dont les médias se servent de cette justice d’autre part. Par ailleurs il y a toujours eu une tradition française de soutien envers celui qui flirte avec les limites de la loi, tant du moins qu’il reste sympathique.

La seconde est que, comme pour François Hollande, le temps apporte une empreinte de nostalgie, et que l’on ne se souvient plus que des bons moments. À preuve les 83% de sympathisants de droite qui estiment que Nicolas Sarkozy incarne bien la droite, alors qu’ils représentent une droite trahie sans complexe par celui-ci une fois parvenu à la présidence de la République, quand il multipliait les ouvertures à gauche et oubliait tout autant la lutte contre immigration clandestine que le « karcher » des zones de non-droit, enterrant en sus de la manière la plus piteuse le débat sur l’identité nationale.

Plus d’un quinquennat plus tard, ne semble rester du passage au pouvoir du vibrionnant américanophile, de l’ami des monarchies du Golfe, du « dessoudeur » de Khadafi, que le souvenir d’un « parler vrai » et d’une hyper-activité que ni les chocolats, ni Carla Bruni, ne parvenaient à faire disparaître. Or les Français recherchent un Président actif et réaliste.

La droite est indéniablement profondément sarkozyste, au sens de la synthèse développé par l'homme plus qu'au sens de sa personnalité. En quoi le sarkozysme a-t-il représenté une véritable révolution ?

La synthèse sarkozyste a été en fait ce que ses détracteurs ont appelé la « droite Buisson », c’est-à-dire la possibilité de renouer les liens avec un électorat populaire autour de trois questions, celles de l’insécurité, de l’immigration et de l’identité. C’est cette synthèse qui a permis à Sarkozy de conquérir le pouvoir en 2007 ; c’est son retour au dernier moment, malgré les appels de Juppé, les admonestations de Raffarin, les angoisses de Bertrand et les pamoisons de Kosciusko-Morizet, qui lui a permis de limiter sa défaite en 2012.

La révolution, à droite, c’est le fait que Nicolas Sarkozy s’est rendu compte, un temps, que sortir du politiquement et médiatiquement correct dans lequel se complaisaient ses rivaux était porteur. Que les Français attendaient un changement, un bouleversement, et non seulement un changement de style, après le morne ennui des années Chirac et l’inactivité de ce dernier, mais un changement de cap. Mais notons qu’en 2017, après les déceptions du sarkozysme, la droite a préféré à l’agitation  de ce dernier le conservatisme d’un Fillon qui lui semblait plus réfléchi, portant plus un projet que manifestant une vaine agitation.

Aucun des ténors actuels de la droite ne parvient à incarner la synthèse sarkozyste ni même à rassembler les électeurs de droite autours de leur personne tel que l'avait fait Nicolas Sarkozy. En quoi la droite souffre-t-elle aujourd'hui de n'avoir personne capable d'incarner le sarkozysme ? Qui pourrait se poser en digne héritier de l'ancien président ?

La droite française est partagée en 2018 entre deux attentes et deux craintes. Deux attentes, car elle hésite entre les figures du chef bonapartiste et du notable orléaniste ; deux craintes, celles du chaos avec le premier et de l’immobilisme avec le second. Hésitante, frileuse, elle n’ose ni le populisme ni le conservatisme, sans se rendre compte que la solution réside peut-être dans la synthèse des deux : écouter un peuple qui, face aux dangers actuels, est éminemment conservateur dans ses choix.

Reste à trouver la figure qui incarnerait un tel choix… et dont on penserait qu’il le mettrait en œuvre une fois au pouvoir. On a actuellement trois prétendants : de droite à gauche, Marine Le Pen, qui malgré les coups reçus, ne baisse pas dans les sondages ; Nicolas Dupont-Aignan qui, peu à peu, trouve sa place ; et Laurent Wauquiez, qui bénéficie certes du socle LR, mais qui peine à imprimer sa marque. Pour des raisons différentes, aucun ne parvient à incarner totalement la synthèse idéologique nécessaire et le volontarisme espéré. La droite, manifestement, n’a pas encore le leader charismatique qui la réunirait dans un combat commun, alors que de dernier est de plus en plus demandé par la base – à la suite par exemple de l’Appel d’Angers.

Il est permis de penser que les élections européennes de 2019 auront à jouer un rôle en la matière, qu’elles permettront de clarifier la situation française en poussant à comparer les solutions retenues dans notre politique intérieure aux choix faits par les autres peuples d’Europe. Et qu’apparaîtra alors clairement une figure qui dépassera le sarkozysme.

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