Pourquoi le règne de Google sur les moteurs de recherche est révolu<!-- --> | Atlantico.fr
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Google, une entreprise en perte de vitesse ?
Google, une entreprise en perte de vitesse ?
©Reuters

This is the end

Le mois dernier, la firme de Mountain View a présenté des résultats trimestriels décevants. D'aucuns y voient le crépuscule du géant du Web.

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : Si Google reste rentable, sa domination, au moins dans la recherche sur internet semble avoir atteint son pic (stagnation aux alentours de 3 milliards par jour). Son règne de tout puissant moteur de recherche est-il révolu, ou tout du moins en grande perte de vitesse ?

Fabrice Epelboin : Comme on dit dans le monde de la finance, “les arbres ne montent pas jusqu’au ciel”, et Google fait face à une limite assez naturelle : il n’y a pas suffisamment d’êtres humains connectés à internet sur terre pour assurer à la société une croissance aussi soutenue dans la décénie à venir que ce qu’elle a connu ces dix dernières annnées. Son regne n’est pas pour autant remis en question, et Google domine le marché des moteurs de recherche, ce qui n’est pas sans poser de multiples problèmes.

S’il faut guetter un signe de perte de vitesse chez Google, Apple, Amazon et consort, c’est plus dans la confiance établie dans l’ère “pré-Snowden” entre ces sociétés et leurs clients. Les géants d’Hollywood multiplient ces derniers temps les initiatives destinées à faire croire à leurs utilisateurs que ces entreprises, qui avec la NSA sont désormais identifiées comme une réelle menace pour la démocratie, se soucient réellement du respect de l’intimité des internautes.  

Récemment, c’est Facebook qui a annoncé une déclinaison de son produit utilisant le réseau Tor - une annonce destinée à prouver la bonne foi du leader des réseaux sociaux, qui table tout de mêmme sur la crédulité de ses utilisateurs, car le réseau Tor n’est pas si sécure que cela. En 2011, Eric Filiol démontrait l’existence d’importantes failles de sécurité dans ce réseaux censé anonymiser ses utilisateurs (lien  ), confirmées par la suite par un document fourni par Edward Snowden, deux ans plus tard. Toutes ces grandes sociétés de l’internet ont bati leur fortune sur l’exploitation intensive des données personnelles de leurs utilisateurs, et ceux-ci commencent à réaliser que le prix à payer est une forme d’hypothèque sur leurs libertés futures.

Petit à petit, les internautes deviennent moins incultes face à la technologie, et passent de la vision simpliste de “si c’est gratuit, c’est vous le produit”, à quelque chose de plus tangible : si c’est gratuit, et que cela ne vous appartient pas - ce qui exclu le logiciel libre - alors c’est que le prix à payer est ailleurs.

C’est à mon sens la plus grosse faille qui - à en croire l’adaptation à la hâte de leurs stratégies - menace les géants de la Silicon Valley. De grè ou de force, le simple fait que ces sociétés soient américaines en font des alliés de l’appareil de surveillance américain en vertu du Patriot Act, cette loi américaine liberticide passée à la hâte et dans l’émotion qui a suivit le 11 septembre 2001. Au fur et à mesure que les tensions internationales se feront plus vives et que la democratie recule dans le monde occidental, le prix à payer va devenir de plus en plus palpable.

Twitter recense déjà plus de 1,5 milliards de recherches par jour... Facebook se positionne sérieusement sur les contenus et les connexions. Amazon dispute le marché du paywall. Apple se lance dans le big data... La puissance combinée de ces mastodontes du net peut-elle écorner encore davantage l'armure de Google ? En tant moteur de recherche aussi ?

Google a du faire face - avec Facebook et Twitter - à un mode d’accès à l’information alternatif au modèle du moteur de recherche, celui de la curation sociale de contenus. Celui-ci prend de plus en plus d’importance, et représente une forme de concurrence à ce que propose Google. Ce mode d’accès à l’information représente également une menace pour la presse, car les contenus véhiculés par les medias sociaux sont fort différents de ceux qui la presse cherche à imposer à ses lecteurs.

Il suffit pour s’en convaincre de voir les scores d’audience de personnes comme Dieudonné, qui bien que blacklistés par les media depuis plus d’une décénie, arrivent à des audiences sur internet comparable à des émissions à succès diffusées sur des chaines de télévision. C’est là clairement une conséquence de l’accès à l’information par le biais d’outils sociaux en lieu et place d’outil plus traditionnels tels que Google.

Ces outils sociaux d’accès à l’information ont par ailleurs une force que Google peine à mettre en œuvre dans ses systèmes, celui de permettre, outre un accès à l’information, de s’insérer dans une communauté humaine partageant les mêmes centres d’intêret que vous, là où Google vous laisse seul face à l’information.

La très faible diversité d’opinion reflétées par les média traditionnels, sur-référencés par Google - du fait qu’ils consacrent des budgets important pour celà - provoque naturellement un basculement vers des modes d’accès alternatifs tels que Facebook ou Twitter, c’est une règle qui commence à se vérifier et qui est l’un des facteurs de la révolution Tunisienne, un pays où - du temps de Ben Ali - la presse était d’une pauvreté crasse en matière de diversité d’opinion, et où la population non seulement partait à la pêche aux informations sur Facebook, mais en profitait pour se regrouper en communautés partageant les mêmes aspirations pour un changement démocratique, ce qui a fini par rompre définitivement le lien entre les gouvernants et la population. Ce lien en Tunisie était basé sur la peur et l’isolement des citoyens face à l’appareil d’Etat Tunsien, alors que chez nous, en France, ce lien est basé sur la confiance, qui elle aussi, rétréci de jour en jour au rythme effréné des scandale qui agitent quotidiennement la démocratie française, et finira par provoquer un rejet massif de l’autorité de l’Etat.

Ce mode d’accès à l’information est au cœur de la fracture caractéristique de la France, où la presse et les politiques sont désormais incapables de lancer le moindre débat de société là où ces mêmes débats se multiplient comme des petits pains sur Facebook, et mobilisent de plus en plus d’internautes. Tout comme en Tunisie, mais dans des circonstance bien sûr fort différentes, le divorce entre la population et ses gouvernants est consommé sur Facebook, et la distance se creuse de jour en jour, tant la déconnection des élites avec les préoccupations de la population est rendue de plus en plus visible, du fait même de la transparence imposée par ces outils sociaux qui diffusent de l’information de façon parfaitement décentralisée et hors de tout contrôle.

Entre logiciels de blocage de publicités et nouveaux moteurs de recherche sans publicité (Ducduckgo)... Les "petits" concurrents peuvent-ils être les acteurs d'un nécessaire repositionnement de Google ? Ou à défaut porter atteinte à long terme au cœur de son money maker?

Les acteurs du monde des moteurs de recherche tels que DuckDuckGo ou Qwant se sont positionnés depuis leur naissance sur le respect de la vie privée de leurs utilisateurs en adoptant la seule solution possible pour cela, qui consiste à ne pas collecter ces informations. Cette approche n’est pas une option pour Google, qui depuis de nombreuses années a intimement lié son modèle économique à la collecte sans limite d’informations privés.

Google ne peut prendre cette voie, cele représenterait une chute spectaculaire de ses revenus et serait très durement sanctionné par les marchés. La seule option pour Google serait de garantir la protection des données qu’il collecte face aux apétits des agences de renseignement, mais cela aussi est impossible. Snowden a révélé comment la NSA avait durant de nombreuses années installé des équipement de surveillance au cœur même des infrastructures de Google, et par ailleurs, Google étant une société américaine, il sont contraint par le Patriot Act à collaborer avec l’appareil de surveillance américain. Un minimum de recherche sur le web vous amènera par ailleurs à découvrir que les liens entre Google et les agences de renseignements américaines ne datent pas d’hier et que Google collabore à plusieurs projets communs avec ces angence, dont certains sont destinés ni plus ni moins à permettre aux gouvernant d’anticiper l’opinion publique afin de mieux orienter leurs actions, ce qui est pour le moins assez éloigné d’un quelconque idéal démocratique.

Reste à voir si cela atteindra les revenus de Google, et la réponse n’est pas la même d’un pays à l’autre. La différence la plus frappante est à observer entre la France et l’Allemagne. Alors que les Français semblent totalement résignés et acceptent dans leur ensemble la fin de la démocratie et l’entrée dans ce que Pierre Bellanger qualifie de “quasi démocratie”, les Allemands sont bien plus récalcitrant à abandonner des libertés qu’ils jugent fondamentales. Très clairement, l’horizon s’annonce très différent pour Google en Allemagne et en France.

Même si les ventes de Google continuent à augmenter, Larry Page a nommé Sundar Pichai pour diriger les lignes de produits de Google, ce dernier devant porter sur les activités du groupe une vue d'ensemble. Comment Google va-t-il pouvoir évoluer ?

A la fin du siècle dernier, Kodak et Fujisu ont tous deux été confrontés à un challenge de taille avec l’arrivée de la photo numérique, un challenge que dans le monde des startups on résume à cette phrase : “evolve or die” (évoluez ou disparaissez). Kodak s’est accroché à son modèle et n’a pas survécu, Fujisu a évolué et on le retrouve aujourd’hui dans des domaines fort éloignés de son métier d’origine, comme la pharmacie.

Google est confronté à un dilemme similaire, s’ils veulent continuer leur croissance insolente, il leur faut se diversifier et trouver un puis de pétrole similaire à ce qu’a été la publicité sur internet, ce qui n’est pas une mince affaire. A défaut, leur cours de bourse pourrait en souffrir, et devra être soutenu par d’importants dividendes versés aux actionnaires - ce qui n’est pas le cas actuellement - ou par des rachats d’actions, ce qui n’est pas une stratégie durable.

Remettre de la cohérence dans la gamme de produits Google ne permettra certainement pas d’assurer à Google une croissance dans la décenie à venir similaire à ce que la société a connu durant les dix dernières années. Il leur faut se diversifier de façon radicale, ce qu’ils semblent bien décidés à faire.

Marchés émergents, innovations, drones, robots, voitures sans conducteur, génétique ou informatique quantique sont-elles autant d'autres pistes payantes à long terme pour la diversification de Google ou de l'argent jeté par les fenêtres ?   

Il suffirait qu’une seule de ces pistes aboutissent et fasse de Google un leader dans l’un de ces domaines pour assurer à Google une croissance spectaculaire. La génétique ouvre la voie à une toute autre approche de la médecine, domaine dans lequel Google investit énormément, dans un secteur dont les revenus sont phénoménaux. Si Google devenait un acteur majeur de la medecine, Dieu sait où cela pourrait les mener d’un point de vue financier. La robotique est appelée à remplacer un nombre conséquent d’emplois humains, comme chez Amazon, par exemple, qui compte remplacer à terme ses manutentionnaires par des robots. C’est à terme une large partie de ce type d’emplois qui sera remplacé par des robots, et là aussi, Google se place en position de devenir un acteur majeur de ce secteur, sans même évoquer les usages militaires de la robotique, domaine où Google a fait récemment une acquisition importante, et promis à un avenir radieux, même s’il semble difficile de continuer à prôner le “Don’t be Evil” tout en construisant des robots pour l’armée américaine. Quant à l’informatique Quantique, elle promet un bond spectaculaire à ceux qui la maitriseront en premier, et elle permettra s’assoir la domination de Google tout en lui ouvrant la voie du saint Graal, celui de l’intelligence artificielle et de la singularité, qu’Elon Musk - l’un des fondateurs de Paypal et actuel patron de Tesla, considère comme beaucoup d’autre comme la plus grande menace à laquelle l’humanité ait été confrontée.

Au final, même si tout cela devra s’accompagner d’un changement radical dans la perception de la marque Google, ces pistes pour sa diversification sont plus que prometteuses d’un strict point de vue financier.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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