Pourquoi le gouvernement a structurellement deux ans de retard sur ses prévisions de croissance (et comment ça creuse le chômage et les déficits)<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement est en retard sur ses prévisions de croissance.
Le gouvernement est en retard sur ses prévisions de croissance.
©Reuters

Avenir incertain

Les prévisions de la croissance potentielle ou réelle sont basées sur des outils discutables qui empêchent de prendre la vraie mesure de la situation économique.

Patrick Artus

Patrick Artus

Patrick Artus est économiste.

Il est spécialisé en économie internationale et en politique monétaire.

Il est directeur de la Recherche et des Études de Natixis

Patrick Artus est le co-auteur, avec Isabelle Gravet, de La crise de l'euro: Comprendre les causes - En sortir par de nouvelles institutions (Armand Colin, 2012)

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Atlantico : Dans une analyse publiée pour le compte de Natixis, vous avancez que les principaux indicateurs utilisés pour prévoir la croissance et le chômage sont basés sur des potentiels dépassés. Comment arrivez-vous à cette conclusion ? 

Patrick Artus : L’entreprise Markit publie des indicateurs et notamment le "PMI" utilisé partout qui sont historiquement conçus pour qu’à un niveau au-dessus de 50, on soit dans une expansion, et en-dessous de 50, c’est la récession. Le problème, c’est que la crise a changé la perception, et on se satisfait d’un niveau plus faible de croissance. Aujourd’hui, pour avoir une croissance, il faut donc atteindre un niveau qui soit supérieur à 50 (plutôt 52 dans la zone euro, et 53-54 au Royaume-Uni). En France – on a eu les chiffres hier matin – on a des chiffres qui sont entre 46 et 48, cela veut dire en fait que nous sommes très profondément dans la zone de récession, alors que l’Allemagne est entre 53 et 54.

Partant de votre postulat, les prévisions de la croissance et de l'emploi, déjà peu élevées, sont encore trop optimistes. Quelles sont selon vous, les vraies prévisions pour l'avenir ?

En 2013, il est acquis que nous aurons entre 0,1 et 0,2% de croissance tandis que le consensus pour 2014 en France est pour l’instant de 0,6 à 0,7%. La plupart des indicateurs dont je vous parlais reste cependant des indicateurs de conjoncture sur deux ou trois mois, et ne peuvent donc pas s’appliquer à toute l’année 2014. Ce que cela nous indique cependant, c’est que les entreprises sont tétanisées et que la consommation des ménages ne suit pas. L’investissement des entreprises ne repart pas alors qu’on voit des signes de reprise même en Italie et en Espagne. On voit que même la remise à plat de la fiscalité annoncée génère des inquiétudes à un point tel que l’on se demande s’il n’aurait pas mieux valu accepter une fiscalité excessive mais qui au moins ne bougerait pas, pour stopper l’incertitude.

Concernant le chômage, ces mauvais indicateurs ne veulent pas dire qu’il ne baissera pas, même si je suis pessimiste pour l’année 2014 quand on voit les prévisions de croissance. A moins bien sûr de créer un grand nombre d’emplois aidés, ce qui le fera baisser artificiellement… Mon estimation, c’est que la crise a beaucoup fait monter le chômage structurel – celui qui ne dépend pas de la seule conjoncture – et il est selon moi autour de 8,5 ou 9%. Comme le chômage est actuellement autour de 11% cela veut dire que si l’économie allait mieux (ce qui n’est pas le cas), on pourrait le faire redescendre à 9%, mais après on coincerait et il faudrait envisager des réformes.

Quels sont les inconvénients concrets pour l'économie de l'utilisation présente d'indicateurs erronés générant des prévisions infondées pour l'avenir ? Passe-t-on à côté de mesures efficaces qui pourraient être prises en ayant conscience de la situation ? 

A court terme, la politique économique ne peut pas grand-chose. Le plus gros sujet pour les choix politique, c’est de combattre les erreurs à long terme qu’apporte une mauvaise estimation de la croissance. Je pense que la croissance potentielle de la France est nettement plus basse que ce qui est annoncée. Je crois qu’elle se situe au maximum à 1% alors qu’on utilise des chiffres de 1,5 à 2%. Quand vous travaillez sur des sujets comme la retraite ou la protection sociale, l’impact est considérable. Par exemple, quand le Conseil d’orientation des retraites utilise le chiffre de 1,7% et que l’on est en réalité à 1%, ça ne fait certes pas grand-chose la première année, mais au bout de dix ans, cela représente 7 points de PIB, c’est-à-dire 4 points de déficit public en plus, et donc l’incapacité à équilibrer les systèmes de retraite.

Plusieurs de ces indicateurs erronés selon vous proviennent de l'OCDE. Y a-t-il donc un vrai déficit de la mesure des indicateurs macroéconomiques ? Connaît-on vraiment la situation réelle des économies des pays développés ?

L’OCDE, en effet, souligne l’écart qu’il existe entre la croissance réelle et la croissance potentielle pour souligner la marge de progression possible si la demande repart. Et il n'y a pas qu’en France que l’on surestime le niveau du PIB potentiel. Cela a été beaucoup étudié aux Etats-Unis où les chercheurs ont montré qu’après chaque période de crise et de récession, on surestime le PIB potentiel. Pourquoi ? Parce que l’on sous-estime la destruction de l’appareil productif perdu pendant la récession. Les entreprises qui ont évidemment fait faillite pendant la crise ne peuvent plus produire mais il faut attendre un délai généralement compris entre deux et trois ans pour avoir l'information réelle et son ampleur. Pendant cet intervalle, le capital dont on dispose est surestimé, et on sous-estime donc l’effort à fournir pour réduire le déficit. La surestimation du PIB potentiel est en tout cas valable pour tous les pays après les récessions. Dans deux ou trois ans, quand l’OCDE aura les chiffres, elle révisera évidemment les PIB potentiels et les taux de chômage structurels. En France en tout cas, si l’on essaie d’estimer les chiffres – sachant que l’on peut déjà estimer le potentiel de production de l’industrie et de la construction – nous avons probablement 1,5 points de PIB potentiel de moins que ce l’on croit.  

Propos recueillis par Damien Durand

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