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Pourquoi le FN ne prend pas de risque politique à renoncer à la sortie de l’euro
©Reuters

Quitte ou double

Début février, le Front national réunira ses cadres à huis clos. Au centre de ce séminaire de réflexion : la ligne économique du parti, dont le manque de lisibilité expliquerait en partie le semi-échec aux régionales. Renoncer à la sortie de l'euro serait un pari plutôt gagnant électoralement pour le Front national.

Raul  Magni Berton

Raul Magni Berton

Raul Magni Berton est professeur de sciences politiques. Il a enseigné à Paris, Montréal et Bordeaux et enseigne depuis 2009 à l’Institut d’Études politiques de Grenoble. Spécialiste de politique comparée, il travaille sur les régimes, les élections et l’opinion publique, surtout dans les pays européens. Il a publié plusieurs livres et articles dont Démocraties libérales (Economica, 2012) et Que pensent les penseurs ? (PUG, 2015).

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Atlantico : Début février, le Front national réunira ses cadres à huis clos. Au centre de ce séminaire de réflexion réclamé par le vice-président Louis Aliot : la ligne économique du parti, dont le manque de lisibilité expliquerait en partie le semi-échec aux régionales. La question de la sortie de l'euro serait ainsi perçue comme un repoussoir trop fort pour un grand nombre d'électeurs. Qu'aurait à gagner le Front National dans l'hypothèse d'un abandon de la sortie de l'euro comme projet politique ? Quels sont les électeurs visés ?

Raul Magni Berton : Le Front National fait face à un dilemme. D’un côté il se présente comme le parti de la protection des citoyens français. Protection contre des « menaces » qui viennent clairement de l’extérieur (principalement, l’immigration et la mondialisation) mais aussi contre d’autres problèmes dont l’origine est moins claire (principalement le chômage et le pouvoir d’achat).

De l’autre côté, il offre des solutions de rupture forte avec le statu quo qui sont présentés par les autres partis et perçues par l’opinion comme extrêmement risqués. La sortie de l’Euro, notamment, est perçue comme un risque considérable.

Or, la protection est l’inverse du risque. Tant que le programme du FN sera vu comme risqué, le message principal ne touchera pas assez de citoyens pour gagner une élection. Donc, en résumé, l’abandon de la sortie de l’euro pourrait entrainer une diminution, notamment chez la classe moyenne, de la peur des conséquences d’un vote FN.

A l'inverse, en perdant un des aspects les plus forts de son programme, le Front national ne risque-t-il pas de perdre un électorat à l'a recherche d'une offre politique "hors système" ? Une telle rupture programmatique ne produirait elle pas un effet de "lissage" trop important pour une frange de son électorat ?

Non, l’offre politique « hors système » collera au FN jusqu’à sa première expérience au gouvernement, si elle arrive. Le potentiel contestataire du vote FN, restera inchangé.

En revanche, l’abandon de la sortie de l’euro pourra brouiller son message. L’euro est l’outil central de la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux. Il est difficile d’accepter l’euro et, dans le même temps, de promouvoir un discours protectionniste et nationaliste. A vrai dire, je crois même que l’abandon de l’euro va plutôt produire une importante faiblesse dans la cohérence et la solidité du discours tenus par leurs membres, et je ne crois pas qu’ils vont retenir cette option.

Le plus probable, en revanche, est qu'ils défendent une option en vogue aujourd’hui, soutenue notamment par le Premier ministre britannique David Cameron. Au lieu d’insister sur la sortie de l’euro, les conservateurs britanniques ont insisté sur le rôle démocratique que les citoyens devraient retrouver au sein de l’Union européenne. Le référendum systématique sur toute question liée à l’UE est alors mis en avant.

Cette solution de recours au référendum – qui à mon avis va être retenue par le FN – a plusieurs avantages. D’une part, la dureté du message de sortie de l’euro s’assouplit. D’autre part, cela va dans le sens de la demande forte de plus de démocratie en France et en Europe. Enfin, cela permet d’avoir des comparaisons avec d’autres pays de l’UE très respectables, comme le Royaume Uni ou le Danemark.

Concernant les autres partis politiques, un tel choix permettrait il  d'en finir avec l'accusation d'un parti "irresponsable" en termes économiques ? Ne perdraient ils pas leur meilleure "arme" anti FN ?

Cette question porte encore sur le dilemme initial. Les FN est accusé d’irresponsabilité non seulement sur l’euro, mais aussi sur d’autres sujets tels que la fermeture des frontières. Cette accusation est inéluctable entre partis de gouvernement et partis marqués idéologiquement et sans expérience de gouvernement. La seule manière d’éviter l’accusation par les autres partis, et de s’allier avec eux.

D’un autre côté, si le FN renonce à la sortie de l’euro, les autres partis politiques non seulement garderaient la possibilité d’accuser le FN d’irresponsabilité, mais aussi d’incohérence. Comme garder l’euro, et, en même temps, contrôler l’immigration, les sortie et entrées financiers et autres mesures protectionnistes prônées par le FN ?

Pour ces raisons, je ne crois pas que le Front national choisisse l’option du discours pro-euro, mais plutôt l’option référendaire.

En effet, au-delà des accusations d’ « irresponsabilité », il y a véritablement un enjeu concernant le risque que comporte une mesure telle que la sortie de l’euro, risque bien perçu par les électeurs.

Aujourd’hui, en votant FN, le citoyen a sur ces épaules la responsabilité d’une éventuelle sortie de l’euro, en cas de victoire. Personne n’est sûr de ce choix, et nous sommes tous plutôt averses au risque. Cette responsabilité risque de décourager le votant potentiel, et de lui faire envisager d’éventuels regrets jusqu’à dans l’isoloir.

L’option référendaire prônée par Cameron, en revanche, permet au votant de se dire qu’il aura une seconde chance avant la sortie de l’euro, et qu’on votant FN, cela ne s’enchainera pas inéluctablement. Pour cette raison, cette option sera plus apaisante pour lui.

Ce débat interne reflète par ailleurs une opposition entre deux courants internes au parti. Un abandon de la sortie de l'euro serait il à même de provoquer une rupture profonde entre les cadres du parti ? Quelle ligne vous semble aujourd’hui en mesure de s'imposer ?

Je ne crois pas que le Front national, dans sa situation actuelle, risque de se diviser. Il est près de la victoire, et, pour la plupart de ses candidats, les assemblées nationales et régionales semblent s’entrouvrir pour la première fois. L’incitation est suffisamment forte pour les pousser à rester soudés.

Mais, encore une fois, ça m’étonnerait beaucoup qu’un abandon strict de la sortie de l’euro soit une option sérieuse pour le FN.

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