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Pourquoi le choix de Nathalie Loiseau comme tête de liste LREM aux Européennes pourrait bien donner de l’oxygène aux Républicains
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Répit

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Invitée sur le plateau de "L'Emission politique" face à Marine Le Pen, la ministre des affaires européennes Nathalie Loiseau a déclaré sa candidature aux élections européennes en temps que tête de liste LREM. En accusant Marine Le Pen de représenter les héritiers et l'ultralibéralisme ne risque-t-elle pas de détourner un certain nombre d'électeurs, notamment ceux de droite, de LREM ? 

Edouard Husson : La mise en scène de Madame Loiseau était assez ratée. Non seulement pas grand monde n’a cru à sa candidature spontanée mais il est possible de tirer un enseignement majeur de l’argument qu’elle a utilisé. Elle a révélé que le gouvernement n’a plus d’autre programme que de faire barrage au Rassemblement National et à d’autres mouvements de droite.

Prendre prétexte des positions de Madame Le Pen pour légitimer une candidature à la tête de liste ne peut pas signifier autre chose que le manque total d’inspiration et d’élan, par ailleurs. Et il est bien vrai que le gouvernement est dans l’impasse. Les propositions du président de la République pour la réforme de la zone euro et l’approfondissement de l’UE ne sont soutenues par personne; le traité d’Aix-La-Chapelle n’est absolument pas pris au sérieux dans la classe politique allemande. Juste avant le débat, Madame Loiseau avait dû expliquer, contre Madame Kramp-Karrenbauer, probable future chancelière, que la France ne partagerait pas son siège au Conseil de sécurité. 

Ajoutons que Madame Loiseau a découvert que la politique est un métier. On ne s’improvise pas débattrice. On ne forge pas des « éléments de langage » à la va-vite. Il y avait de quoi être perplexe de l’entendre accuser Madame Le Pen d’être « ultra-libérale » alors que cette dernière a justement été incapable de trouver un compromis avec la droite entrepreneuriale pour rassembler lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. Quant à traiter Madame Le Pen d’héritière sous prétexte qu’elle est la fille de Jean-Marie Le Pen, c’est original !  

Paul-François Paoli : Je ne crois pas que ce propos soit très crédible ni très intelligent. Que Marine Le Pen ne fasse pas parti des défavorisés de la vie chacun le sait mais là n’est pas vraiment la question. Reproche-t-on à Jack Lang qui porte des costumes coûtant des milliers d’euros de ne pas être crédible en homme de gauche alors qu’il et primé dans les sondages d’opinions ? Reprochait-on à Stauss-Khan de rouler carrosse alors qu’il était soi-disant socialiste ? Et Chirac que les Français soi-disant adorent : fait-il parti des pauvres ou des nantis ?

Revenons à la politique. Les électeurs du RN sont généralement issus des classes populaires et urbaines, ils éprouvent de plein fouet ce que le politicologue Laurent Bouvet a appelé l’insécurité culturelle. Si on entend par ultra-libéralisme la transformation de la société à l’aune du seul critère du marché, le parti de Marine Le Pen représente exactement l’inverse : le renforcement de l’Etat de ses prérogatives. Autrement dit propos de Mme Loiseau n’est pas seulement inefficace politiquement il est tout simplement oiseux.

Si les sondages ont relevé que Marine Le Pen était sortie gagnante de ce débat, les électeurs pourraient-ils pour autant voter RN ?

Edouard Husson : Madame Loiseau a rendu un service à Marine Le Pen. Elle lui a permis d’effacer en partie le mauvais souvenir du débat présidentiel de 2017. Mais, pour la présidente du Rassemblement Nationale, c’est une victoire par défaut. Le Ministre des Affaires Européennes était agressive, vindicative même. En fait, le vote RN dépendra moins de ce débat que d’une impression générale, selon laquelle le Rassemblement National est, actuellement, le seul parti d’opposition à droite. Les Républicains, et leur chef Laurent Wauquiez, sont tout à fait inexistants. 

Paul-François Paoli : Marine Le Pen a choisi une stratégie réaliste et rassurante pour les électeurs de la droite modérée qui ne veulent pas entendre parler de Frexit qu’ils assimilent à une aventure dangereuse. Ils sont soucieux de la sécurité et craignent une vague d’immigration en provenance de l’Algérie. Cependant Marine Le Pen reste tabou. D’une part parce qu’elle porte le nom de son père et d’autre part parce qu’elle ne jouie pas d’une grande crédibilité sur plan de l’expertise technique et économique.

Si la plupart des électeurs de droite lui donne raison sur un certain nombre de sujets sociétaux elle n’est pas « branchée » dans les milieux médiatiques. Il ne faut sous-estimer en France l’importance du snobisme et de la vanité qui est très considérable. Ce n’est pas pour des raisons morales ou éthiques que les gens ne votent pas pour elle contrairement à ce qu’ils font croire très souvent, c’est parce qu’il n’est pas socialement gratifiant de voter pour elle. A l’ère de la communication, la politique consiste aussi à séduire, or Marine Le Pen ne séduit pas si elle convient parfois. Macron et lui un séducteur c’est aussi cela sa grande force.

Avec une telle candidate LREM s'attaque en force aux mouvements populistes européens et semble même prôner une Europe divisée plus qu'une Europe de la coopération. Ainsi, ne risquent-ils d'écarter un certain nombre d'électeurs ? Des électeurs qui sans franchir le pas et voter RN voteraient LR ? 

Edouard Husson : Je ne crois pas que Madame Loiseau pèse tant qu’elle puisse faire perdre beaucoup de voix à LREM pour un débat raté avec Marine Le Pen, malgré le soutien que lui apportait Matteo Renzi. Je pense plutôt que le voter LREM dépend de la capacité d’Emmanuel Macron à continuer à souder son socle électoral. Il se pourrait qu’après la phase récente, où il a repris la main, le retour précipité des vacances de ski du fait de la casse sur les Champs-Elysées et le côté apprenti-sorcier - je laisse faire l’extrême-gauche pour casser définitivement le mouvement des Gilets Jaunes - fasse perdre le terrain perdu. C’est cela qui ferait perdre ou gagner Nathalie Loiseau, qui n’a pas grande expérience politique ni une connaissance en profondeur de l’électorat. Quant à voter LR ou FN? Je pense que ce qui reste à LR, c’est justement un électorat de droite mais qui ne se résoud pas à voter FN. La tendance Juppé, elle, votera écologiste ou s’abstiendra si elle ne veut plus voter Macron. 

Paul-François Paoli : La médiocrité intellectuelle de certains proches d’ Emmanuel Macron n’est plus vraiment à démontrer. Les saillies d’Aurélien Taché sur les serres tête des femmes catholiques comparés au voile islamique sont là pour illustrer le fait que les gens d’En Marche ne sont pas en mesure de changer la politique car de toutes les façons ils n’ont pas la moindre pensée politique consistante. Ils surfent sur la vague et cherchent l’approbation des médias. La division de l’Europe n’est pas conjoncturelle, elle est fondamentale.

Les Hongrois, les Polonais, les Autrichiens ou encore les Serbes, les Croates et les Italiens ne veulent pas nous ressembler tout simplement. Ils considèrent que la France et son modèle ont fait faillite. Nous sommes devenus un contre modèle, nous qui nous prévalions de notre soi-disant exception. Ils ne veulent pas recevoir de leçon de valeurs ou de morale d’un pays qui n’est plus à même d’en donner à quiconque.

De ce fait, mettre en tête de liste une personne qui divise ne risque-t-il pas de favoriser la liste de François-Xavier Bellamy ? 

Edouard Husson : La politique française est devenue très volatile. Le président tient à bout de bras son mouvement et l’entraînera un jour dans une chute aussi spectaculaire que le succès de naguère; l’opposition parlementaire de droite est très faible, soit par manque de représentation (le RN) soit par inconsistance (LR). La France Insoumise souffre de son incapacité à assumer fièrement la nation comme un thème qui puisse aider à reconstruire la gauche. Il y aura donc un côté loterie lors des prochaines élections européennes: ce sont sans doute les Verts qui feront un score inattendu. Pour le reste, c’est quasi-impossible de prévoir. 

Paul-François Paoli : C’est très possible. Mais le problème de Fançois-Xavier Bellamy est tout simplement de parvenir à exister entre une base électorale qui est facilement assez proche des positions du RN, et des notables qui sont eux plus proches de Macron. Il a à gérer une redoutable équation et il n’est pas certain qu’il soit en mesure d’y parvenir. 

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