Pourquoi la volonté de Barack Obama d’encadrer l’usage des drones aura des conséquences géopolitiques majeures<!-- --> | Atlantico.fr
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L’usage des drones par les États-Unis a souvent été critiqué.
L’usage des drones par les États-Unis a souvent été critiqué.
©Reuters

Fabrique des terroristes

Six insurgés présumés ont été tués mercredi par les tirs d’un drone américain dans un fief taliban du nord-ouest du Pakistan. C'est la première frappe de drone depuis le discours de Barack Obama sur l'encadrement de leur utilisation qui, s'il devient réel, pourrait avoir de lourdes conséquences.

Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Atlantico : Lors d'un discours sur sa politique antiterroriste, Barack Obama a assuré que les frappes de drones à l'étranger ne seraient utilisées qu'en cas de menace imminente. L’usage des drones par les États-Unis a souvent été critiqué. En quoi pose-t-il problème ?

Marc Crapez : Les critiques ont redoublé ces derniers temps. Avec leurs drones, les États-Unis ont réédité le coup des « frappes chirurgicales » sans « dommages collatéraux » des guerres d’Irak. Un rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et le terrorisme a été nommé aux fins d’enquête sur les victimes civiles. On attend ses conclusions pour octobre.

Fait remarquable, ces victimes n’entravent pas la démocratisation au Yémen, où se sont réunis en mars des sortes d’Etats généraux, dont un tiers des délégués sont des femmes, pour nouer un dialogue national. Cela n’a pas entravé non plus les récentes élections au Pakistan, qui se sont déroulées avec un joli taux de participation. Cela montre qu’au-delà des images de barbus fulminant contre l’Occident, les Pakistanais moyens sont travailleurs, industrieux et pacifiques.

La majorité des frappes de drones ont visé le Pakistan, violant sa souveraineté et portant atteinte à l’honneur des fières tribus Pashtoun. Bien sûr, le Pakistan inquiète car s’y conjuguent croissance ralentie, enchérissement des denrées et pénurie d’énergie. Mais ce pays me paraît à la fois trop ancré dans des structures traditionnelles et trop avancé sur le chemin de la démocratie pour basculer dans l’islamisme. L’exemple tunisien montre que l’islam peut se modérer au contact des réalités démocratiques, malgré une baisse momentanée de l’activité économique. Deux ans et demi après le début des révolutions arabes, les pronostics d’hiver islamiste se trouvent démentis. Je précise que ma position est libérale de droite pro-atlantiste et méfiante à l’égard de l’islam. Raison de plus pour être équitable.

Ces propos interviennent au lendemain de l’aveu par l’administration américaine du fait que quatre Américains ont été tués par des attaques de drones depuis 2009. Au-delà de la dimension éthique et du risque de toucher involontairement des civils, l’utilisation des drones renforce-t-elle la détermination des terroristes ?

L’éthique ne saurait être le seul paramètre : l’exécution extrajudiciaire de citoyens américains qui avaient pris fait et cause contre leur mère patrie est-elle un crime ? Toujours est-il qu’il faut, en effet, se demander si l’usage des drones en général renforce la détermination des terroristes. Plus précisément, si cela ne ferait pas naître des vocations. J’ai bien peur que oui.

L’usage de la force absolue, celle qui ne laisse pratiquement aucune chance à l’ennemi, est une forme d’absolutisme. Vous êtes tenté d’en abuser sans discernement, alors que la retenue dans l’usage de la force constitue une alliée. En second lieu, le sentiment de rage impuissante que vous exaspérez chez l’ennemi sème la tempête. Si votre technologie ne lui laisse aucune chance de survie, comme avec ces épées de Damoclès commandées à distance, vous l’acculez au martyr. En vous livrant à des expéditions punitives, vous vous affranchissez des lois de la guerre.

Concrètement, les djihadistes sont les pires idéologues sur terre et le moindre signe de faiblesse les renforcerait. Mais l’important, ce sont les jeunes musulmans. Face à l’hégémonie américaine, le djihadisme s’arroge le mythe romantique de l’insoumission absolue. On ne peut pas reprocher à un adolescent qui a vu les soldats occidentaux ou la technologie occidentale porter le fer sur son sol, de prendre les armes. En revanche, quelqu’un qui a eu la chance d’être accueilli dans une université occidentale, par la société occidentale, n’a pas de circonstances atténuantes à concocter une bombe.

Cette décision du président des États-Unis est-elle une simple concession à l’opinion publique internationale ou traduit-elle un véritable changement de cap ?

L’un n’empêche pas l’autre. C’est, d’abord, une manœuvre de diversion pour faire oublier une série de scandales (enquêtes fiscales diligentées à des fins politiciennes et immobilisme devant des signes avant-coureurs de l’attaque de l’ambassade américaine en Libye). C’est, ensuite, le comble du cynisme : après avoir « canardé » l’ennemi, l’Amérique rengaine ses colts. Concrètement, la campagne d’élimination d’islamistes par des drones ayant été méticuleusement menée et l’essentiel de leurs noms rayés des listes, il n’y avait plus de raisons de continuer, autant couper l’herbe sous le pied à l’enquête de l’ONU.

C’est, enfin, une prise de conscience de l’épuisement d’une stratégie : pour échapper à une loi de rendements décroissants, il fallait se renouveler. Toute la question est de savoir si Barack Obama n’a pas déjà compromis l’outil en le rendant contre-productif puis difficilement utilisable. N’aurait-il pas mieux valu une guerre de l’ombre plus ciblée, sans publicité et sans focalisation sur une seule arme ?

De plus, Obama annonce un usage désormais parcimonieux des drones à un moment mal choisi. D’une part, il intervient après les élections pakistanaises au risque d’avoir favorisé une poussée d’islamisme dans ce pays. Il aurait été plus judicieux de donner un coup de pouce aux modérés en annonçant la fin des drones avant l’élection ! D’autre part, l’annonce intervient au lendemain des attentats de Boston et de Londres (et même en France, il y avait eu le 7 mai, avant l’épisode de La Défense, un gendarme poignardé aux cris « d’Allah est grand » par un individu de retour de La Mecque). Cette coïncidence de calendrier pourrait être interprétée comme une concession à l’idée « que le terrorisme a en quelque sorte quelque chose à voir avec notre attitude », selon la formule de Tony Blair qui, lui, ne le croyait pas.

Quelles peuvent être les conséquences géopolitiques d’une telle décision ?

Première conséquence, sur 50 pays détenteurs de la technologie des drones, la plupart ne sont pas à niveau. La France vient d’en acheter suite à la guerre au Mali. A l’autre extrémité, on redoute la confection d’un drone terrorisme. Deuxio, les drones s’inscrivent dans une dérive de l’Amérique qui délègue la guerre à des mercenaires de sociétés privées.

Tertio, des confidences inopportunes d’un prince anglais aux démissions de pilotes de drones, l’Occident a trouvé le moyen de donner une nouvelle fois une image désastreuse de lui-même, celle d’un Frankenstein de la guerre électronique comme dans un jeu vidéo. Quarto, l’abus des drones amène Obama à annoncer un re-basculement d’attributions de la CIA vers le Pentagone, ce qui risque d’obérer les possibilités de guerre de l’ombre (comme celle du cyber-sabotage du programme nucléaire iranien en partenariat avec les services israéliens).

Comme je l’écrivais au lendemain de la mort de Ben Laden, « le terrorisme islamiste ne disparaîtra pas ». A partir de là, soyons intraitables envers nos terroristes de l’intérieur et tâchons de ne pas susciter des vocations en terre d’islam. Je préconise d’arrêter de prendre la posture de l’agresseur, en tapant bruyamment sur l’islamisme pour vouloir le déloger de ses bases-arrières, et d’affiner nos menaces de parades et ripostes circonscrites et ponctuelles.

Alors que la prison de Guantanamo est actuellement le théâtre d’une grève de la faim de 103 de ses 166 détenus, Barack Obama est aussi revenu sur l’avenir de ce camp militaire. Le président des Etats-Unis peut-il enfin tenir sa promesse de fermer Guantanamo ?

Il est toujours difficile de tenir des promesses électoralistes. Et il est encore plus délicat de mettre fin à un vide juridique. L’administration Bush avait bricolé une sorte de montage off-shore, hors de tout cadre légal. Cela serait mis sur la place publique en cas de rapatriement des prisonniers sur le territoire américain. L’idéal serait donc d’exfiltrer les prisonniers dangereux pour qu’ils soient pris en charge par leurs pays d’origine.

Obama impute la persistance de Guantanamo au mauvais-vouloir des Républicains. C’est une hypocrisie. En réalité, une fois au pouvoir en 2008, il a doublement renoncé à fermer ce camp. D’abord parce que, comme le raconte un film récent sur la traque de Ben Laden, ce sont en partie des aveux obtenus là-bas qui ont permis de remonter la piste du fondateur d’Al-Qaïda. Ensuite, parce que ces mêmes interrogatoires avaient alimenté les listes des cibles de drones et que le gel de Guantanamo était propice au bon déroulement des opérations.

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