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Pourquoi la question de la politisation de la justice française est devenu un enjeu brûlant pour notre démocratie (mais pas forcément comme le pense Jean-Luc Mélenchon)
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Perquisitions

Après les perquisitions menées chez Jean-Luc Mélenchon et au siège de La France insoumise qualifiées "d'opération politique" par le leader de LFI, la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature Laurence Blisson demande "une réforme constitutionnelle pour écarter le soupçon".

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Mur des cons, Pénélopegate, mise en examen de Marine le Pen et maintenant de nombreuses perquisitions chez La France insoumise qui condamni une cabale politique. Les éléments ne manquent pas pour évoquer la politisation de la justice française. Comment éviter ce procès-là selon vous qui, quel qu'en soit la réalité, affaiblit la justice et la démocratie ?

Guillaume Jeanson : La politisation d’une partie de la justice française existe. Certaines dérives syndicales qu’on retrouve de manière emblématique avec des affaires telles que celle du tristement célèbre « mur des cons » du syndicat de la magistrature entachent malheureusement la nécessaire image d’impartialité qui doit présider à la fonction de juger. Pour cette frange de la justice, heureusement minoritaire, la question se pose évidemment. Mais à l’inverse, il va de soi que l’impunité ne saurait être la règle pour les puissants et que, pour ces derniers aussi, la justice doit pouvoir faire son œuvre. Il va de soi que les citoyens sont en droit d’attendre de ceux qui se présentent à leur suffrage qu’ils respectent les lois. Ces évidences rappelées ne doivent pas, cependant, nous interdire de nous interroger quant à la soudaineté, à la précipitation et à l’orchestration de ce qui peut s’apparenter parfois à de magnifiques opérations de déstabilisation de mouvances politiques d’opposition. Est-ce le cas ici ? Ce serait présomptueux de l’affirmer même si certains ont pu pointer la coïncidence de calendrier avec ce remaniement tant attendu. Avant de se permettre de douter de la rectitude de magistrats, il convient bien sûr de disposer d’éléments solides et pour cela d’avoir une connaissance précise du dossier passé au crible, ce qui -vous l’aurez compris- n’est pas mon cas. 

Vous évoquez le Penelopegate et la mise en examen de Marine le Pen. Dans la première affaire, ce qui pour mémoire frappait le citoyen, c’était la rapidité. Le 25 janvier 2017, le Canard Enchaîné publiait ses révélations. Le même jour, le parquet financier se saisissait de l’affaire sans attendre la réaction de François Fillon. Moins d’un mois après, le 24 février, était ouverte une information judiciaire et le candidat était convoqué le 15 mars pour être mis en examen, alors que le 17 mars est la date limite retenue pour le dépôt des parrainages et le 20 mars, celle d’un grand débat télévisé… Dans l’affaire des emplois fictifs de ce qui était alors le Front National, ce qui frappait, c’était la manière avec laquelle, sans cette rapidité, le calendrier judiciaire donnait tout de même l’impression d’interagir opportunément avec celui de la présidentielle. En effet, alors que le parquet s’était saisi le 30 mars 2015, une information judiciaire avait été ouverte en décembre 2016 et la mise en examen de Catherine Griset, chef de cabinet de Marine Le Pen, n’était intervenue que le 22 février 2017. De quoi faire s’élever quelques voix qui hurlèrent à l’instrumentalisation politique de la justice. 

Les affaires de cette nature éveillent toujours la suspicion quant aux rapports entretenus entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. Car, comme l’a écrit le professeur Louis Vogel dans son livre intitulé Justice, année zéro, « la justice en France, depuis la Révolution, recherche encore la bonne distance par rapport au politique ». Sur ce sujet, Jean-Claude Magendie, ancien Premier Président de la Cour d’appel de Paris a, lui aussi, pu écrire quelques lignes fameuses en rappelant notamment que le « choix idéologique de rupture avec « l’ordre bourgeois » n’empêcha pas le Syndicat de la Magistrature d’entretenir un certain flou doctrinal lui permettant, lorsque le pouvoir n’avait pas ses faveurs, d’insister sur son manque de légitimité au regard de l’histoire en marche (…), puis, lorsque survint un régime plus conforme à ses vœux, de devenir son relais. » Il poursuit : « C’est ainsi que l’on assista, en 1981, à la promotion de nombreux syndiqués dans les allées du pouvoir ou dans la hiérarchie judiciaire. Que le Conseil supérieur de la magistrature fût totalement placé entre les mains d’une proche du président Mitterrand, que tout le fonctionnement de la justice fût verrouillé par l’un des fondateurs du SM, bref que la justice fût totalement subordonnée au politique ne gênait plus ceux qui auparavant se faisaient les chantres d’une indépendance quasi mystique.»

Dans la mesure du possible, les magistrats devraient veiller à ne pas nourrir de telles suspicions en respectant scrupuleusement leur devoir de réserve et en évitant les coïncidences malheureuses de calendrier entre certains actes d’enquête ou certaines étapes de procédure et le déroulé des agendas politiques et électoraux. Le respect de la démocratie est sans doute à ce prix. Il impose également que l’indépendance de la justice ne soit évidemment pas à géométrie variable.

Régis de Castelnau :Les éléments qui établissent l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques sont effectivement très nombreux. Sur un double plan : tout d’abord par la multiplication des procédures pénales à l’encontre des partis politiques et des personnalités d’opposition, et ensuite par la très surprenante protection dont bénéficient les membres de l’entourage d’Emmanuel Macron. La candidature à la présidentielle de François Fillon, a on le sait, été détruite par un raid médiatico-judiciaire qui a permis en la disqualifiant, l’accession d’Emmanuel Macron au deuxième tour. La présence de Marine Le Pen à celui-ci lui assurant une élection confortable. C’est le premier tour qui était important et rappelons le score de l’actuel président à celui-ci : 14 % des inscrits ! Au-delà des soutiens médiatiques et financiers considérables dont il a bénéficié, c’est bien l’opération judiciaire qui a permis la réussite du candidat choisi par la caste. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que depuis cette élection, on assiste à une utilisation sans complexe du haut appareil judiciaire et notamment du Parquet National Financier et du Pôle d’instruction financier, dont il faut quand même rappeler qu’il s’agit là de juridictions d’exception. Jean-Luc Mélenchon ne doit pas être surpris de ce qui lui arrive, compte tenu des traitements infligés à Nicolas Sarkozy, à François Fillon et à Marine Le Pen. Cette dernière a droit au grand jeu : mises en examen multiples, saisies des ressources de son parti, poursuites absurdes et convocation chez le psychiatre ! Ces dérives sont très graves car elles mettent en cause la liberté politique. Comment tolérer que la police ait pu ainsi disposer sans aucune raison valable de l’ensemble des fichiers d’adhérents de la France insoumise pour ne prendre que cet exemple ?

Vous me posez la question de savoir comment éviter le procès fait à la justice qui affaiblirait la démocratie. Je pense que ce sont plutôt les dérives judiciaires qui l’affaiblissent.

Les affaires politico-financières ne devraient-elles pas bénéficier d'un autre traitement ? Ne pourrait-on pas imaginer que le Parlement ou un procureur indépendant s'en empare ? 

Guillaume Jeanson : Dans l’affaire qui concerne La France Insoumise, ces perquisitions sont réalisées par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes par le parquet de Paris. Rappelons que la première est relative à l’emploi d’assistants parlementaires européens. Il s’agit de savoir si des fonds européens destinés à l’emploi d’assistants d’eurodéputés ont ou non été utilisés pour rémunérer des collaborateurs du parti. C’est en réalité l’élargissement de l’enquête visant sur ce même point le Front national. Un élargissement qui aurait également concerné le Modem mais contre qui, en revanche, des juges d’instruction auraient été saisis. Ce détail est important car, outre le fait qu’il s’agit de magistrats indépendants, lorsque la personne est mise en examen dans le cadre d’une instruction, elle bénéficie d’un certain nombre de droits, parmi lesquels celui de consulter le dossier de la procédure. Point essentiel pour préparer efficacement une défense. La seconde enquête qui concerne La France Insoumise a été ouverte en mai 2018, à la suite d’un signalement du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques visant les comptes de la campagne présidentielle 2017 qui étaient soupçonnés d’irrégularité. On le voit, les enquêtes sur La France Insoumise portent sur des sujets différents. Et lorsque ces enquêtes portent sur un même sujet mais concernent des partis différents, les traitements procéduraux privilégiés peuvent paraître différents. Une différence de procédure qui peut toutefois aussi bien s’expliquer par une différence de rythme et d’avancée de l’enquête, tant l’enquête préliminaire constitue parfois le préalable à l’ouverture d’une instruction. 

Vous évoquez le Parlement ou un procureur indépendant comme d’autres systèmes envisageables pour tenter de remédier à ces difficultés. Mais on retrouve déjà des éléments du premier avec la Cour de Justice de la République qui juge aujourd’hui des crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions par les membres du gouvernement. Or cette institution est tellement décriée, que sa suppression a été insérée dans le projet de réforme de la constitution. La question des procureurs indépendants est, quant à elle, un éternel serpent de mer. Il se pourrait qu’elle constitue cependant une fausse bonne idée. Car avec une telle indépendance, il devient impossible de décider d’une politique pénale. Une politique dont le politique rend, lui, compte par les urnes devant les citoyens. Il me semble que dans ce type d’affaires sensibles où les dégâts seront d’autant plus sensibles qu’elles seront largement médiatisées et qu’elles exerceront une influence sur les orientations et ralliements politiques de certains et donc sur la démocratie dans son ensemble, la défense devrait être mise très rapidement en capacité de faire son travail efficacement. Peut-être faudrait-il songer à cet égard à une refonte, dans certains cas, des règles d’accès au dossier. Il est en effet difficilement acceptable, surtout lorsque des actes d’enquêtes fuitent de manière lamentable dans la presse, de voir ceux qui sont visés contraints à devoir répondre -à l’aveugle- à un feu médiatique aussi nourri que continu, là où ils devraient surtout pouvoir se concentrer, aussi sereinement que possible, à poser les premiers jalons d’une défense propice à la tenue d’un procès équitable.

Régis de Castelnau :La situation que nous connaissons dont je répète qu’elle est inquiétante pour nos libertés publiques, est favorisée par deux facteurs : tout d’abord le comportement d’une partie de la magistrature où se rassemblent ceux qui considèrent que l’impartialité du juge est une vieillerie inutile et ceux qui dans une relation de connivence avec les hautes sphères de l’État ne voient pas d’inconvénient à rendre des services. Elle est malheureusement aggravée par les mauvaises habitudes à la fois du monde politique et d’une opinion publique à la faible culture juridique qui se réjouissent des ennuis judiciaires de leurs adversaires sans mesurer le caractère délétère de cette façon de faire de la politique par juge interposé. Nicolas Sarkozy et François Fillon victimes d’un acharnement judiciaire c’est normal, ils sont du camp du mal. Jean-Luc Mélenchon c’est scandaleux parce qu’il serait du camp du bien. 

Je considère que les affaires politico-financières pourraient tout à fait faire l’objet d’un traitement digne d’un pays civilisé, mais à la condition que la magistrature du siège respecte ses propres règles et cesse de se laisser instrumentaliser de cette façon. Quand je parle de la magistrature, je pense d’abord à ce que l’on peut appeler la haute fonction publique judiciaire qui occupe les postes parisiens décisifs dans ces affaires. L’ensemble du corps mérite le respect, car dès lors que l’on s’éloigne du cœur du réacteur parisien on retrouve en général des gens conscients de l’importance de leurs missions et respectueux des principes. 

Comment faire la part des choses et trouver le bon équilibre ? 

Guillaume Jeanson : Faire la part des choses et trouver le bon équilibre requiert sans doute, pour les médias, de ne pas céder au tyran de l’immédiateté en redoublant de vigilance et d’approfondissement dans le traitement de ces affaires dont le retentissement influe directement le cours de notre démocratie. 

Pour les magistrats, de ne jamais oublier d’observer le plus largement possible, y compris lorsqu’ils mènent leurs enquêtes -suivant un calendrier dont peuvent avoir la maitrise- une immense prudence. Une prudence directement inspirée de cet adage du droit anglosaxon repris depuis par la CEDH, suivant lequel « la justice ne doit pas seulement être dite, elle doit également donner le sentiment qu'elle a été bien rendue ». 

Régis de Castelnau : Le bon équilibre reviendrait, et le soupçon disparaîtrait dès lors que l’exigence démocratique serait mieux portée au sein même de l’appareil judiciaire. L’on entend en permanence invoquer le mantra de « l’indépendance de la justice » en oubliant le concept central d’impartialité dont l’indépendance n’est que l’outil. Que la stupéfiante affaire du « mur des cons » où dans un local syndical, des magistrats du siège épinglaient, dans une sorte de mise au pilori, les photos des gens qu’ils étaient amenés à juger, n’ait jamais donné lieu à la moindre sanction disciplinaire est inadmissible. Comment faire confiance pour rendre la justice, à des gens qui revendiquent grossièrement leur partialité dans l’acte de juger ?

Une des solutions pour mettre fin au cirque médiatico-judiciaire qui dure depuis la fin des années 80, réside dans l’exigence qu’il faut avoir avec ceux qui rendent la justice. Que les politiques ou d’autres intérêts ait envie de l’instrumentaliser est fatal, mais c’est aux magistrats de résister. Il n’est plus possible d’accepter l’existence de ce lien que beaucoup entretiennent avec les médias. Il y a probablement d’autres pistes, mais je pense que le rétablissement d’une certaine discipline dans l’application des règles et des principes serait une bonne chose. Et nous permettrait d’éviter de nous habituer à l’arbitraire.

Propos recueillis par Nicolas Farca. 

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