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Pourquoi la lutte chinoise contre la corruption ne fonctionnera pas
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Corruption chinoise

Xi Jinping, chef d'Etat chinois depuis 2013 a mis en place une politique sévère à l'encontre de tous les membres du gouvernement corrompus. En tout, pas moins de 842 personnes, dont 21 de haut rang, ont été limogées. Un pansement sur une gangrène systémique.

Guilhem Fabre

Guilhem Fabre

Guilhem Fabre est un sinologue, socio-économiste et professeur à la Faculté des affaires internationales de l'Université du Havre.

Il est également l'auteur de nombreux ouvrages, et notamment Propriété intellectuelle, contrefaçon et innovation : les multinationales face à l'économie de la connaissance aux Publications de l'Université de Rouen et du Havre en 2010, ainsi que Instants éternels : cent et quelques poèmes appris par coeur en Chine aux Editions de la Différence en 2014.

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Atlantico : Depuis l'instauration de Xi Jinping à la tête de la République populaire de Chine en 2013, 842 personnes, dont 21 de haut rang, ont été déchues de leur position pour corruption. Dans quelle mesure peut-on dire qu'elle est systémique ? Pourquoi y a-t-il autant de corruption en Chine ?

Guilhem Fabre : Pour comprendre cette campagne contre la corruption, il est important de revenir 20 ans en arrière, juste après le massacre de 1989 aux alentours de la place Tiananmen, lorsqu’une politique de croissance économique et de stabilité sociale a été adoptée. Etant donné qu’il s’agit d’une économie de commandement, c’est-à-dire que l’Etat contrôle et maintient sous sa tutelle une grande partie de l’économie – même le secteur privé et les entreprises étrangères, ce qui n’est pas négligeable, toutes les autorités ont été visées et instrumentalisées afin de créer une croissance économique très forte avec des structures de commandement absolutistes et monopolistes. Cette politique a donc créé des opportunités considérables de corruption et ce, dans un contexte de totale impunité, vu que cela a été mis de côté au profit de la croissance. Le résultat a été une croissance économique très forte jusqu’à la crise mondiale, où elle a été relancée par le biais d’un plan de relance considérable de 575 milliards de US Dollars.

Mais cette situation a créé une accumulation de disparité sociale et une captation des actifs publics par les réseaux bureaucratiques qui est sans précédent, notamment dans la sphère foncière. Dans le cadre d’un plan d’urbanisation accéléré, ce sont effectivement les autorités qui disposent des terres, qui démolissent les logements et les reconstruisent, tout en empochant des bénéfices considérables auprès des autorités locales. Du côté central, certaines entreprises d’Etat se sont partagé le gâteau. Je pense par exemple au secteur de la téléphonie mobile où seules trois sociétés de télécoms fournissent leur service au milliard de Chinois. On constate la même chose dans le secteur ferroviaire où les investissements annuels équivalaient, depuis le plan de relance, à 100 milliards de dollars.

Dans ces plans colossaux d’investissements alimentés par une très forte épargne intérieure, les opportunités de corruption se sont multipliées et ont été utilisées par toute une partie de l’appareil d’Etat. Après 1989, on peut même dire que tous les nouveaux membres du parti – ce qui équivaut à 85 millions de personnes – ont adhéré essentiellement pour faire des affaires et obtenir des positions de pouvoir qui leur permette d’accumuler. On trouve ce type de comportement aussi bien dans les banques d’Etat, que dans l’armée, que dans tout autre secteur de l’appareil.

Il y a toujours eu des campagnes anti-corruption, mais cette fois, la nouvelle direction a décidé de réagir de manière très forte car le degré d’inégalités sociales est arrivé à un point insupportable pour une grande partie de la population qui n’a pas bénéficié des réformes, surtout ces dernières années depuis que la croissance s’est affaiblie. On parle beaucoup de la classe moyenne en Chine mais elle ne représente que 20 à 25 % de la population et n’a pas grand chose à voir avec ce que nous considérons comme étant la classe moyenne en occident. Je ne parle non plus des gens qui vivent à la campagne, des travailleurs migrants – on en compte actuellement 260 millions – qui sont généralement moins bien payés sans garanties sociales, etc. Ces personnes ont donc le sentiment d’avoir été dépossédées et elles assistent à ce combat au sein du gouvernement chinois et au contrôle pour faire plier les intérêts acquis des élites officielles. C’est un préalable à une politique de redistribution que souhaite mettre en place Xi Jinping.

Qui sont les catégories sociales concernées par la corruption ?

Toute sorte de gens dans l’appareil sont concernés. Comme l’a expliqué Xi Jinping, il vise à taper aussi bien sur les mouches que sur les tigres. Et cela passe par l’instauration d’un climat d’inquiétude, de peur à l’intérieur de la bureaucratie afin de limiter les excès dont l’Etat-parti a fait preuve, à savoir les voyages à l’étranger, les délégations inutiles, etc. Actuellement, tout est contrôlé de près.

On constate avec tout cela une tentative de créer un autre paradigme, de revenir à l’antériorité un peu mythique du parti. Mais bien sûr, cette période fait l’impasse sur la grande fracture de 1989.

Les personnes haut-placées, soient des personnes issues de l'administration étatique chinoise, ne sont-elles pas censées avoir des revenus suffisants et une idéologie correspondant à celle du parti ?

L’idéologie du parti correspond en réalité à s’enrichir. Le parti, c’est la grandeur nationale, la puissance, la richesse. Naturellement la richesse doit être acquise de manière légale. Si tel est le cas, alors il n’y a pas de prévention. Finalement, comme tous les circuits de décision dépendent à un moment ou à un autre de l’Etat-parti, tous les enrichissements sont captés massivement par ces dits circuits de décision monopolistiques.

Quelle est la méthode employée par Xi Jinping pour lutter contre la corruption ? Est-elle efficace ?

La méthode de Xi Jinping est efficace d’un point de vue public, c’est-à-dire qu’il s’attaque à beaucoup de cibles tout en déstabilisant ses intérêts structurels. Mais il faudrait voir sur le plus long terme  s’il va pouvoir remettre en cause toutes les politiques qui ont créé cette corruption. Pour cela, il faudrait qu’il entreprenne des réformes fiscales et qu’il fasse payer les personnes qui se sont enrichis par la corruption à travers un capital foncier ou autre. Cela pourrait passer notamment par un système de caste qui permettrait la redistribution sociale. En effet, en Chine, très peu de gens sont assurés socialement, il n’y a même pas la majorité de la population. Mais ces mesures viendront probablement dans un second temps.

Que faudrait-il changer dans le système structurel de la Chine pour annihiler toute volonté de corruption ?

Comme dit précédemment, il faudrait que Xi Jinping entreprenne de vraies réformes économiques et législatives afin de dégoûter en quelque sorte de la corruption. Sans un soutien légal, la lutte contre la corruption est vouée à l’échec, c’est-à-dire que les personnes concernées auront le dos rond pendant un temps, puis reprendront leurs activités.  De plus, quand on a un système monopolistique au niveau de la représentation et un système ascendant, c’est-à-dire du sommet à la base, il y a obligatoirement des abus. « Tout pouvoir absolu corrompt absolument » disait Lord Acton. La Chine doit se munir d’une justice indépendante.

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