Pourquoi la Hongrie n’est pas la non-démocratie dont on vous parle<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, prononce un discours le 23 octobre 2021, pour commémorer le 65e anniversaire du soulèvement hongrois contre l'occupation soviétique.
Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, prononce un discours le 23 octobre 2021, pour commémorer le 65e anniversaire du soulèvement hongrois contre l'occupation soviétique.
©ATTILA KISBENEDEK / AFP

Démocratie hongroise

Alors que Marine Le Pen était reçue par Viktor Orban, nombre de commentaires se sont focalisés sur les failles de la démocratie hongroise. Elles sont à la fois tout à fait réelles et largement fantasmées en Europe de l’Ouest.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Marine Le Pen revient tout juste de sa rencontre avec le Premier Ministre hongrois à Budapest que les poncifs, les raccourcis et les slogans prêts-à-penser fusent de plus belles de sur cet épouvantail appelé Viktor Orbán et sa soit-disant dictature, au mieux « illibérale », au pire « phobe » en série et véritable goulag à ciel ouvert en plein cœur de l’Europe.

Rien de nouveau, certes, voilà dix ans qu’Orbán et sa mine patibulaire font figure de matamore ou de fâcheux officiel dans le théâtre médiatique et social de l’opinion publique. Cependant, ces simplifications n’en sont pas moins lassantes. Surtout, elles ne trahissent pas tant les travers du gouvernement hongrois que la paresse intellectuelle de certaines élites et leur vision pharisienne, binaire et volontiers complaisante de…leur propre vertu et de leur supériorité morale.

La Hongrie d’Orbán est-elle parfaite ? Loin s’en faut. Et la France de Macron, les Pays Bas de Rütte ou l’Italie de Draghi ? Et l’Espagne de Sánchez ? Peut-être aurions-nous beaucoup plus de raisons de nous alarmer si cette dernière était passée sous le crible avec le même zèle par les analystes qui voient toujours la paille dans l’œil hongrois et pas forcément les poutres de l’Europe de l’Ouest.

La Hongrie serait donc un régime autoritaire ? Sauf que dans une dictature, le pouvoir ne perd pas le joyau de la couronne au profit de l’opposition comme c’est le cas aujourd’hui de Budapest qui est gouvernée par l’opposition depuis 2019.  Cette même opposition vient de finaliser ses propres primaires dans la plus banale des normalités, sans aucun incident ou accrochage à signaler. Ils viennent d’élire leur candidat, Péter Márki-Zay (conservateur catholique, père de sept enfants) pour affronter Orbán lors des prochaines élections générales du mois d’avril.

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Il sera le candidat d’une coalition pour le moins hétéroclite : socialistes (héritiers directs des anciennes élites communistes corrompues jusqu’à l’os et dont le souvenir de leur gestion néfaste peine à s’estomper au sein de la population), verts, progressistes bobos urbains et…extrême droite ouvertement antisémite (Jobbik) qui tente un blanchiment vers le centre sans vraiment trop y croire. Et pour preuve, des membres de ce parti demandaient encore récemment de rédiger une liste des députés juifs au Parlement national, un de leurs leaders s’affichait bras en l’air devant un musée juif de Berlin, et d’autres nomment leur propre capitale « Judapest ». Gravissime, abject et pourtant, personne ne s’en émeut à l’Ouest et pire, personne n’en parle. Car contre Orban, tout est permis.

Y compris de traiter d’antisémite le gouvernement européen le plus ouvertement pro-Israël de l’UE (soutien indéfectible de Nétanyahou) et un pays dans lequel les agressions antisémites se comptent sur les doigts d’une main et au sein duquel la culture juive est protégée et promue. Même le rapport du Parlement Européen qui précédât le déclenchement de l’article 7 TUE  reconnaissait que la situation était tout à fait satisfaisante à une exception près… la campagne d’affichage d’Orbán contre Georges Soros ! Certes, du mauvais goût dans les grandes largeurs, mais en faire un prétexte pour accuser Orbán d’antisémitisme relève d’une inacceptable banalisation d’un phénomène très inquiétant qui prends de l’ampleur en Europe de l’Ouest. Un peu de décence, n’oublions pas qu’environ 60 000 juifs ont fui la France ces dix dernières années et que les attentats antisémites se multiplient de l’autre côté de l’ancien rideau de fer, y compris dans des musées, des synagogues et des écoles.

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Certes me direz-vous, mais si l’Union Européenne a systématique la Hongrie dans son collimateur, il y a forcément de bonnes raisons pour qu’il en soit ainsi? Et bien j’inviterais les observateurs à prendre un certain recul avant de conclure hâtivement que la Hongrie est génétiquement europhobe et autocratique. D’une part, parce que les hongrois font partie des peuples les plus attachés à l’Union selon Eurostat et parce que son gouvernement, à Bruxelles, vote dans l’écrasante majorité des cas à l’unisson de ses collègues. D’autre part, parce que certaines de ces critiques sont éminemment politiques. L’article 7 TUE a été déclenché par le Parlement Européen à la majorité de ses membres, pas par des juges. La Hongrie est certes réticente face aux injonctions de la Commission mais elle a toujours mis en œuvre les arrêts de (la pourtant décriée) Cour de Justice de l’UE.

La Commission Européenne, par ailleurs, n’est pas la mieux placée pour faire respecter l’Etat de droit. D’abord, parce qu’elle n’a pas les moyens de faire des enquêtes de terrain et se base trop souvent sur des rapports d’ONGs dont la neutralité n’est pas acquise et que, parfois, elle finance. Deuxièmement, car elle combine un zèle poussé envers certains pays avec un laxisme surprenant avec d’autres. Au sein du gouvernement espagnol, par exemple, Podemos cumule les attaques frontales contre le pouvoir judiciaire dans le silence assourdissant d’une Bruxelles normalement si prompte à dégainer et qui en vient même à bloquer les sept milliards du Fonds de Relance qui correspondent à la Hongrie. Une dette commune, rappelons-le, qui devra être remboursée solidairement par les prochaines générations de hongrois comme de danois, italiens, luxembourgeois et autres.

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Mais comment nier que l’ogre Orbán musèle la presse libre pour n’en faire qu’une Pravda à sa botte ? Et si une fake news répétée à l’envi devenait un dogme ? Question ouverte, mais il n’en demeure pas moins que la liberté d’information est réelle en Hongrie et que le paysage médiatique y est bien plus équilibré qu’il n’y paraît. Aujourd’hui, 11 journaux en ligne soutiennent le gouvernement alors que 29 le critiquent ouvertement. Les sites les plus consultés sont soit indépendants (Index) soit clairement favorables à l’opposition (Telex, 444 ou 24.hu). La chaîne la plus suivie, RTL Klub (groupe Berteslmann) est de loin la plus combattive avec le Premier Ministre.  Entre 2010 et 2020, la majorité des médias sanctionnés par le CSA hongrois étaient de droite et les articles virulents contre le gouvernement sont monnaie courante. L’horizon médiatique hongrois est polarisé, souvent caricatural mais in fine, il est plus pluriel que dans de nombreux pays d’Europe de l’Ouest où la presse est tout aussi libre mais politiquement beaucoup moins diverse.

Il est vrai que la publicité institutionnelle du gouvernement privilégie les médias qui lui sont favorables…pour compenser le casi boycott des grandes multinationales à ces-derniers. Une pratique contestable, certes, mais sans laquelle les médias de gauche seraient hégémoniques…comme ce fut le cas avant l’arrivée d’Orbán au pouvoir en 2010 : comment oublier que le gouvernement socialiste précédent avait explicitement interdit toute publicité institutionnelle dans les médias de droite et que l’écrasante majorité des médias était de gauche? Au fond, que reproche-t-on à Orbán, d’avoir rééquilibré la balance ?

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Certains n’ont commencé à tourner leur regard réprobateur vers la Hongrie que depuis le retour de la droite au pouvoir en 2010 en feignant d’ignorer que la situation du pays était tout sauf un long fleuve tranquille. Le succès d’Orbán est avant tout l’histoire d’un pays bien géré, celle d’un état au bord de la banqueroute qu’il a redressé au prix de sacrifices douloureux. En dix ans, les revenus des hongrois ont augmenté, les impôts ont baissé, la dette publique est sous contrôle, le chômage est à un niveau historiquement bas, les prix de l’énergie sont stables et le gouvernement a instauré une politique familiale généreuse qui rivalise avec celles des pays nordiques. Comment assumer dès lors que les trois majorités absolues consécutives d’Orbán ne sont le fruit que de discours galvaniseurs et de manipulation en masse de l’opinion publique sur fond de verrouillage des institutions ?  

Le raccourci frise la mauvaise foi et pourtant une grande majorité des élites occidentales l’emprunte allègrement jusqu’à la caricature. La situation en Hongrie est loin d’être parfaite: le pays est politiquement polarisé, la communication du gouvernement agressive et clivante, la corruption présente, le développement économique inégal entre capitale et province. Mais quel pays peut se prévaloir d’un bilan sans tâches ? Aucun, et surtout pas les plus moralistes comme les Benelux ou les Scandinaves qui accumulent les déchets à balayer devant leur porte et qui pourtant trouvent toujours le temps de faire la leçon du haut d’un piédestal qu’ils sont les seuls à percevoir.

Ces polémiques à répétition et la caricature volontiers déformante que les élites occidentales se font de la Hongrie est avant tout le reflet de leur propre ignorance et suffisance. Ignorance d’une histoire millénaire et d’un passé récent tragique sous le joug communiste. Une suffisance qui les mène à voir l’Europe centrale et de l’Est comme un ensemble de nations insolentes et attardés qui ne perdent jamais « une occasion de se taire ». Une supériorité morale progressiste qui imbibe l’air du temps et qui en dit long, très long, sur l’aveuglement idéologique dont pâtit l’Europe actuelle. Il s’agit d’une narrative qui sied plus leurs propres certitudes qu’une observation nuancée et honnête de la réalité.

Cette mauvaise foi mène au soupçon « du délit de sale gueule » : il ne ferait pas bon d’être conservateur et de l’Est en Europe ; en fonction de votre couleur politique et de votre origine géographique, « les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs ». Essayons de résister à l’insidieux venin de la suspicion mais ne feignons pas d’ignorer que l’arbitraire, les idées reçues et les croisades morales pourraient irrémédiablement saper les bases d’une Union Européenne qui a plus que jamais besoin de cohésion. 

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