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Pourquoi la France a t-elle si peu d'entreprises à forte croissance ?
©Reuters

Bonnet d'âne

D'après des données publiées par Eurostat, le poids des entreprises françaises à forte croissance est faible comparé aux autres pays de l'Union européenne.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Atlantico : Selon les statistiques Eurostat 2015 parues en date du 19 octobre, parmi les 28 pays membres de l'Union européenne, la France arrive en 20ème position quant à la présence sur le territoire d'entreprises à forte croissance, loin derrière l'Irlande, la Suède et même l'Espagne ou le Portugal. Comment expliquer cette situation, alors que ces entreprises sont fortement créatrices d'emplois ?

Jean-Yves Archer : Il est impératif de garder à l'esprit que les entreprises en forte croissance recouvrent une situation disparate. Certaines firmes connaissent un essor qui s'accompagne effectivement de créations d'emplois.

Mais nombre d'entre elles ont une trajectoire plus heurtée. Elles peuvent décliner et subir un taux soutenu de mortalité infantile. A l'inverse, attractives, elles peuvent faire l'objet d'un rachat au plus grand profit de leurs actionnaires fondateurs.

Entre des opérations de croissance externe qui sont légion dans le secteur des biotechs et des dépôts de bilan, cela explique la mauvaise place de la France dans le classement Eurostat.

Xavier Niel, brillant instigateur de la Station F, a eu souvent l'occasion de dénoncer ses ventes anticipées de jeunes pousses confirmées qui veulent passer un cap de croissance (http://www.grandprix-entreprisesdecroissance.fr     )  en étant épaulées par des grands groupes. En clair se vendre pour s'adosser. Ou symétriquement s'adosser pour réaliser la plus-value du fondateur.

Il y a des cas où la cupidité immédiate des actionnaires de départ provoque la cession de l'entreprise et c'est bien souvent regrettable.

La France du quinquennat passé a vu ses entreprises de croissance prises en tenailles : d'un côté une fiscalité rugueuse sur l'épargne et le patrimoine et d'un autre côté des flux d'expatriation des créateurs lassés d'un pays peu " business-friendly ". Cette dimension politique et fiscale explique une large part de notre piètre classement n'en déplaise aux Hollandolâtres.

Concrètement, j'estime aussi que la question des seuils sociaux doit être posée : ceux-ci et la kyrielle d'obligations qui les accompagnent sont parfois dissuasifs et altèrent l'agilité des entreprises. Les ordonnances travail n'ont pas apporté de modification à la situation présente.

Pour prendre un seul exemple, la France compte fort peu de licornes – dont la valorisation pose d'ailleurs souvent question   (https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/030481058543-la-valorisation-des-licornes-serait-largement-exageree-2106334.php    ) du type BlaBlaCar et il est urgent de flécher l'épargne vers des investissements dans des PME à forte potentialité. BPI France ne cesse de le faire avec un succès confirmé.

Pierre-François Gouiffès L’étude d’Eurostat définit une entreprise à forte croissance comme une entreprise ayant au départ 10 salariés ou plus et connaissant une croissance moyenne de l’emploi au moins égale à 10 % par an pendant trois ans, soit l’analyse de la période 2012-2015. La France a tout simplement trois fois moins d’entreprises de croissance que l’Allemagne et la part de ces entreprises dans le secteur marchand se situe à 8,5 %, contre près de 10 % en moyenne et 15 % pour l’Irlande.

Les résultats de l’étude ne sont pas incohérents avec le fait que la France ne compte que deux des quarante « licornes » recensées en Europe (entreprise de moins de dix ans d’une valorisation supérieure à un milliard de dollars). Quelles peuvent être les éléments d’explication d’une telle situation ?

On peut commencer par les explications de nature macroéconomiques. La France a eu dans les années 2010 une croissance faible et d’ailleurs substantiellement inférieure à celle de l’Union européenne ou de la zone euro depuis quelques années. En outre, et comme l’étude Eurostat mesure les entreprises en croissance à travers le paramètre des effectifs, la situation durablement dégradée de l’emploi dans l’hexagone, dont je fais régulièrement le commentaire dans Atlantico, doit peser.

Il y a ensuite toute une série d’éléments d’environnement économiques et sociétaux qui pesait à la date de l’enquête (2015) : le modèle normatif et fiscal français particulièrement lourd et pesant (particulièrement durci avec la ligne fiscale de François Hollande d’une alignement optique de fiscalité entre le travail et le capital), le principe de précaution, la relation culturelle au risque et à l’erreur, l’accès au financement et l’utilisation de l’épargne (massivement captée pour financer un déficit public structurel), la dégradation de la performance du système éducatif au moins en termes relatifs, etc. etc. etc.

Certains pays beaucoup mieux situés que la France ont en matière de secteur de croissance soit des stratégies (l’Irlande avec son impôt sur les société « aimant à GAFA ») soit des réalisations (les pays scandinaves avec Skype ou Spotify) soit les résultats de puissantes réformes structurelles (Portugal & Espagne). On est un peu surpris de constater dans le classement que l’Estonie qui donne des leçons de numérique à toute l’Europe soit plus mal classée que la France.

Au regard de l'environnement français actuel, quelles seraient les principales mesures permettant d'inverser cette tendance ?

Jean-Yves Archer : Plutôt que l'actuelle réforme de l'ISF, il aurait probablement été plus habile de laisser l'ISF tel quel, d'exonérer la résidence principale à hauteur de 2 / 3 de sa valeur et surtout de maintenir le dispositif de déductibilité lorsque le contribuable investit dans des PME.

Dans le futur IFI, les anciens contribuables de l'ISF pourront fort bien décider de placer leur surcroît de liquidités dans des assurances-vie et ainsi de s'éloigner de l'objectif du président Macron qui est d'irriguer l'économie productive.

Le pari semble trop audacieux étant donné l'état du pays.

Par ailleurs, (https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/portage.html     ) après analyse, il est urgent de relancer la notion de portage qui consiste en " la mise à disposition pour une PME par un grand groupe, de son réseau commercial étranger, moyennant une commission sur le chiffre d'affaires réalisé. "

Compte-tenu de notre très mauvaise situation en termes de commerce extérieur, il est vital de développer la taille unitaire des firmes ( pour avoir enfin plus d'ETI ) tout autant que la répartition géographique de leurs ventes qui peuvent aisément être épaulées par la COFACE.

Pierre-François Gouiffès Il y a une prise de conscience du sujet des entreprises de croissance dans le discours politique et médiatique. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait vu la création du conseil national du numérique (CNN), celui de François Hollande avait débuté avec la controverse des pigeons mais Fleur Pellerin, Emmanuel Macron et Axelle Lemaire avaient apporté un discours nouveau et positif pour le numérique et les entreprises de croissance.

Concernant les mesures à prendre, il suffirait (c’est plus facile sur le papier ou dans un article pour Atlantico…) de traiter toutes les difficultés traitées plus haut : stratégie fiscale de baisse des prélèvements et de la dépense publique de fonctionnement, désarmement normatif, redressement et adaptation du système éducatif, adaptation des règles d’allocation de l’épargne…

Comment juger de l'action et des projets d'Emmanuel Macron au travers du prisme de ces entreprises à forte croissance ?

Jean-Yves Archer : La réforme de l'ISF est un pari. Pour le reste, le président Macron est attaché à la question du numérique et de l'essor des start-up. Son quinquennat devrait donc être marqué par des mesures fortement incitatrices en la matière. (  https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-172850-perception-et-realite-la-france-de-macron-pays-des-start-ups-2109143.php   )

Pierre-François Gouiffès Parlons d’abord de la campagne présidentielle. Emmanuel Macron a clairement été celui des quatre principaux candidats qui a sur le mieux incarner l’optimisme et bien entendu le renouveau. Paul Thibaut, ancien directeur de la revue Esprit a ainsi considéré qu’il avait su répondre à la déprime nationale par la promotion d’un « individualisme actif », à rebours des « passions tristes » hexagonales. Emmanuel Macron semble aimer et se reconnaître parmi ceux qui réussissent notamment sur le plan économique : on avait noté début juillet sa distinction lors de l’inauguration de la station F entre « les gens qui réussissent » et « ceux qui ne sont rien ».

Son action dans le champ économique semble donc pouvoir traiter plusieurs des causes de la faible performance de la France en matière de croissance et d’entreprises de croissance : les ordonnances travail du 22 septembre 2017, l’ISF cantonné via l’IFI à une taxe sur le patrimoine immobilier d’un secteur immobilier considéré à tort ou à raison comme rentier et exclu de l’économie productive, la flat tax (PFU) de 30 % sur les revenus financiers.

Il serait intéressant de voir l’impact de tels orientations quand Eurostat fera de nouveaux son analyse des entreprises de croissance en 2019 ou 2020.

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