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Pourquoi la France a besoin d'un désarmement normatif sur le logement
©Reuters

Urgence

L’amoncellement de normes qui pèsent sur le logement participent à la crise de ce secteur.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Pierre-François Gouiffès vient de diriger l’ouvrage "Le logement en France" aux éditions Economica.

La presse et diverses associations nous rappellent en permanence que la France connaît depuis longtemps « mal logement  et crise du logement ». Mais s’il y a bien un domaine du logement qui ne connaît pas la crise, c’est bien celui de la production de lois, règlements et normes en tout genre !!!

Le secteur du logementn’échappe en effet pas, c’est le moins qu’on puisse dire, à une production normative tout à fait considérable.Il semble qu’on ne puisse pas faire confiance aux régulations entre les différentes parties prenantes au logement et on applique donc de façon paroxystiqueau logement le concept de « bien tutélaire » de l’économiste Richard Musgrave. Leministère du logement le rappelle sans ambages :« élément critique à la paix et à la cohésion sociale, la politique du logement est fortement encadrée, régulée et surveillée par un arsenal juridique accompagné d’outils de pilotage économiques et sociaux et de partenariats d’acteurs. »

Ce dispositif normatiffoisonnant, sédimenté,édicté principalement par l’État, n’échappe pas non plus à la forte instabilité fruit d’un activisme inégalé : pas moins de cinq grandes loispromulguées entre juillet 2006 et novembre 2016, dont certaines aux titres volontaristes (« accès au logement et un urbanisme rénové » en 2014), totalisant près de 500 articles et plus de 400 décrets d’application, sans compter les lois de finances, les ordonnances et les multiples dispositions concernant le logement dans des lois dont ce n’est pas l’objet principal…

1 - « Tour du propriétaire » du bric à brac normatif

Faisons rapidement le « tour du propriétaire » de cet amoncellement normatif composant un ensemble très complexe de domaines et sous-domaines inégalement liés les uns aux autres, avec des finalités multiples voire contradictoires, posant inéluctablement des questions de cohérence. Un recensement plus complet est fourni dans le chapitre 5 du livre « le logement en France ».

Il y a d’abord le champ du droit de propriété, dont l’exercice a été de plus en plus encadré :les dernières décenniessontmarquées par le développement d'un encadrement de plus en plus strict des relations entre bailleurs et locataires et plus précisément le renforcement permanent d'un droit formel au logement (d’ailleurs devenu opposable) avec toujours pour vocation les protections du locataire, dans les faits bien davantage les locataires en place que les personnes en recherche d'un logement (réplique au logement du clivage insider-outsider).

Passons ensuite au champ de l’utilisation des sols et la détermination des droits à construire. Le droit de l’urbanisme, plus particulièrement le plan local d’urbanisme (PLU) et le permis de construire ont été confiés en 1982 aux communes mais dire que les communes, particulièrement émiettées en France, ont un pouvoir en la matière est plutôt inexact au regard du tombereau de normes de niveau supérieur qui s’imposent au PLU…

Le logement prend ensuite de face toutes les prescriptions concernant les logements existant ou à construire : régulation de l’insalubrité, exigences croissantes en matière d’environnement, accessibilité généralisée au handicap, surface des pièces, desserte électrique, desserte parascenseurs, conditions générales d'accession pour les handicapés se déplaçant en chaise roulante, localisation des boîtes à lettres, obligation d'installer un local à vélos dans les ensembles de logements collectifs, hauteur de l'interphone, etc. etc. etc., tout cela mobilisant pas moins de onze codes différents.

Evoquons ensuite le secteur du logement social, secteur en forte croissance (taille du parc multipliée par dix en cinquante ans) et devenu plus important que le parc locatif privé pour les logements collectifs. Le secteur est très fortement administré : loyers administrés ayant vocation à être inférieurs aux prix du marché, plafonds de revenus pour les candidats locataires, financement des constructions mobilisant des fonds publics et de l’épargne réglementée, attribution des logements relevant de la puissance publique et contrôlée par elle, servitudes d’affectation de très longue durée des logements induisant leur indisponibilité à la vente quasi complète.

Achevons cette visite par le champ de la fiscalité immobilière également extrêmement changeante : modification quasi permanente des règles de fiscalisation des revenus foncier et des plus-values immobilières, versions successives du PTZ, modification permanente des règles fiscales de l’investissement locatif dont le dernier avatar est le Pinel etc. etc. etc.

2 - Conséquences dommageables

Plusieurs raisons de fonds mettent en lumière les difficultés posées par une telle configuration et de pousser à un désarmement normatif progressif.

Il y a d’abord l’argument du respect de la liberté de choix des individus dans un domaine – le logement – au croisement de leur vie privée et de leurs engagements collectifs. Ces individus – locataires comme propriétaires - sont-ils condamnés à être considérés comme des mineurs incapables, parties prenantesdont toutes les actions doivent être prévues et encadréespar l’intervention détaillée de l'État ?

Il y a ensuite la question de la pertinence de l’intervention de l’Etat au vu de la spécificité des territoires. Nous nous rendons tous compte intuitivement que les situations du logement relèvent davantage de marchés locaux conditionnés par les opportunités économiques et la qualité de vie de ces multiples territoires. Le logement devrait donc être un champ majeur d’expérimentation de la décentralisation des politiques publiques avec d’importantes marges de manœuvres juridiques laissées aux villes, métropoles et régions supposant le droit à l’expérimentation pour ces territoires et donc la possibilité de s’affranchir d’une partie des normes étatiques

Se pose ensuite la question du mouvement brownien associé au changement permanent des cadres normatifs.Intuitivement également, on sent qu’un secteur à évolution progressive (les constructions nouvelles ne représentent chaque année pas plus d’1% du stock de logements) et nécessitant en permanence des niveaux importants d’investissement (lisibilité génératrice de confiance) profiterait d’une forte stabilité juridique et d’ajustements normatifs progressifs. A ce titre la situation française contraste très fortement avec certains pays voisins : le dispositif normatif de l’écosystème logement allemand est ainsi caractérisé pas sa stabilité et ses évolutions progressives.

3 - Recommandation finale

Une « nuit du 4 aout » est donc nécessaire voire indispensable dans ce secteur essentiel pour l’équilibre sociétal et économique du pays.

Rêvons donc à la maîtrise de cette surintervention publique pour donner de la lisibilité à toutes les parties prenantes (locataires, propriétaires et investisseurs, professionnels) pour améliorer sereinement et progressivement la situation du logement en France, secteur qui ne manque pas de défis à relever.

Soyons fous : pour résoudre la crise du logement, assumons une régulation indispensable mais modeste et lisible mais faisons surtout confiance à tous ses acteurs !!!

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