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Pourquoi la couverture journalistique du traité d’Aix-la-Chapelle révèle le dysfonctionnement des médias
©LUDOVIC MARIN / AFP

La question manquante

Le traitement médiatique ne se résume pas à combattre uniquement les fake news. Le traitement de la signature du traité d'Aix-la-Chapelle en donne une nouvelle fois la preuve.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Le mouvement des Gilets jaunes n’a pas été tendre avec les médias. Certains journalistes ont été malmenés, molestés, injuriés, agressés parfois. Les journalistes ont fait bloc et se sont indignés. Ils ont fait appel aux grands principes, rappelant que la liberté de la presse est importante, vitale même, dans une démocratie. 

Ils ont raison : on voit mal comment une démocratie pourrait fonctionner si elle était privée de la liberté d’informer. Mais la question fondamentale est de savoir d’où vient cet agacement des citoyens ? Qu’est-ce qui provoque leur colère ? Pourquoi les médias sont-ils autant discrédités au point que les citoyens se tournent vers des médias alternatifs ou se laissent tentés par des rumeurs complotistes ? 

Le problème ne vient pas d’aujourd’hui. Il trouve sa source dans le sentiment que les médias ne remplissent pas leur rôle, qu’ils sont devenus les complices du pouvoir dont ils colportent l’idéologie. 

Pour leur défense, les journalistes mettent en avant la diversité des médias et insistent sur leur conscience professionnelle et leur indépendance. Mais ces arguments ne sont pas suffisants. Le sentiment qui prévaut est que la diversité des médias n’est pas si grande, mais qu’il existe au contraire une tendance médiatique main stream largement dominante, qui défend toujours les mêmes idées. Les journalistes donnent l’impression d’avoir les mêmes réactions, les mêmes valeurs, les mêmes affinités idéologiques. 

Est-ce uniquement une impression ? Le problème est que l’actualité vient souvent conforter cette critique. On peut par exemple s’arrêter sur la façon dont les médias ont présenté le fameux Pacte de l’ONU sur les migrations, signé à Marrakech fin 2018. Ils ont expliqué à longueur de colonnes en quoi les inquiétudes des Français étaient totalement infondées, répétant en boucle que ce traité était inoffensif car « non contraignant ». Ce faisant, ils ont donné le sentiment que leur priorité n’était pas d’expliquer les enjeux mais d’assurer la communication du gouvernement. Aucune critique sur ce traité n’a d’ailleurs émané des journalistes ; leur empathie et leur approbation étaient visibles. Ils n’ont jamais cherché à apostropher les dirigeants, à leur demander des explications. Ils ont passé plus de temps à expliquer pourquoi les électeurs faisaient une mauvaise interprétation qu’à se demander pourquoi les chefs d’Etats et de gouvernement avaient pris la peine de signer ce texte en grande pompe. Parmi d’autres, une scène est ici significative : celle où l’on voit un journaliste de France info expliquer doctement à un gilet jaune pourquoi ce dernier n’a rien compris au Pacte de l’ONU. Le journaliste, qui a lui-même mis en ligne cette vidéo, est sans doute très fier de la façon dont il a renvoyé ce gilet jaune dans ses cordes. Mais manifestement, ce journaliste n’envisage pas une seconde que les textes internationaux, supposés non-contraignants, puissent fixer des normes et avoir des effets réels sur le droit des Etats. C’est ce que l’on appelle la « soft law ». On pourrait pourtant lui rappeler que, par exemple, l’Accord de Paris sur le climat n’est pas censé être contraignant, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une influence sur les politiques publiques (les organisateurs de la pétition « l’Affaire du siècle » ne veulent-ils pas d’ailleurs intenter un recours en justice pour forcer l’Etat français à l’appliquer ?). On rappellera aussi, puisque les journalistes ont visiblement la mémoire courte, que le président de la Cour de cassation, en septembre dernier, a appelé à faire évoluer la jurisprudence française sur le port du voile dans les crèches privées en s’appuyant sur le fait qu’un obscur comité de l’ONU, pourtant dénué de tout pouvoir normatif, a considéré que la décision de la Cour de cassation dans l’affaire Baby-Loup n’était pas fondée

Finalement, ce qui est reproché aux médias dans une affaire comme celle du Pacte de Marrakech, c’est de donner le sentiment qu’ils ne font que relayer la communication du pouvoir, qu’ils ne prennent aucune distance. On pourrait évidemment penser qu’il s’agit là d’un ratage ponctuel. Mais le caractère répétitif de ce type de biais incite à être plus pessimiste. 

Une autre illustration est le traité de coopération franco-allemand. Signé ce lundi 22 janvier à Aix-la-Chapelle par Emmanuel Macron et Angela Mekel, ce traité est accusé par Marine Le Pen et d’autres de vouloir brader le siège de la France à l’ONU. 

Un test simple permet cependant de mesurer le problème : que se passe-t-il lorsqu’on entre les mots « Macron siège ONU » sur un moteur de recherche ? Les trois premiers articles qui apparaissent sont les suivants : 

- « Traité d'Aix-la-Chapelle : non, Macron ne va pas "vendre" l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne (ni lui céder son siège à l'Onu) »

- « Non, la France n’abandonne pas son siège permanent à l’ONU »

- « Non, le traité d'Aix-la-Chapelle ne prévoit pas le partage du siège français à l'ONU (ni de livrer certaines régions à l'Allemagne) »

Ceci n’est qu’un aperçu car quantité d’autres articles vont exactement dans le même sens. L’Est républicain affirme par exemple que « Non, la France n’abandonne pas son siège à l’ONU », tandis que Le Monde ironise « Non, l’Allemagne n’aura pas l’Alsace et la Lorraine » ou que La Croix dénonce une « avalanche de fake-news »

Bref, tous ces articles adoptent le même ton péremptoire et tous s’érigent en détenteur et en diffuseur de la pensée présidentielle. Mais comment savent-ils ce que pense vraiment le président ? Comment savent-ils si celui-ci caresse ou non le projet de partager notre siège onusien avec l’Allemagne, comme le demande maintenant avec grande insistance les autorités de ce pays ? 

A vrai dire, ils n’en savent rien. La seule source qui est mentionnée est une dépêche de l’AFP dans laquelle on trouve le passage suivant : « "Paris est favorable à une entrée de l'Allemagne comme membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU mais la France ne veut ni quitter son siège ni le partager. Nous faisons de cette entrée de l'Allemagne une priorité diplomatique franco-allemande." (Elysée) ». Cette information est reprise par d’autres médias comme 20 minutes ou France Info

Mais qu’en dit le principal intéressé, Emmanuel Macron ? On n’en sait rien, tout simplement parce que personne ne lui a posé la question. Quand le président a-t-il été questionné sur ce point ? L’a-t-on entendu exposer sa pensée ? A-t-on un enregistrement dans lequel il formule explicitement sa réponse à la proposition allemande ? 

Certes, l’Elysée a mis en ligne, dimanche 21 janvier, un texte qui se donne pour tâche de tordre le coup à ce qui est considéré comme des contre-vérités. Toutefois, ce texte ne dit pas grand-chose, et reste même plutôt ambigu sur certains points. Dans tous les cas, il ne dit rien sur les intentions du président, ni sur sa vision des relations franco-allemandes. Surtout, ce texte ne permet pas de répondre à la principale question que pose le traitement médiatique de cet événement : pourquoi les médias se sont-ils empressés d’expliquer la bonne parole présidentielle en l’absence de toute prise de parole de l’intéressé ? Plus troublant encore : pourquoi les médias ont-ils tenu un discours qui semble avoir tout bonnement anticipé la communication officielle de l’Elysée au point de se confondre avec elle ? A la limite, les communiquants de l’Elysée auraient presque pu s’abstenir de publier un communiqué : la presse avait déjà fait le travail. 

Sur le fond, il semble assez peu probable que la France accepte de partager son siège avec l’Allemagne. Mais le problème n’est pas là. Le problème est que, sur ce dossier comme sur beaucoup d’autres, les médias ne suivent pas les règles de bases qu’exige leur déontologie professionnelle. Tout se passe comme s’ils s’étaient attribués une mission qui n’est pas la leur : celle de porter la parole présidentielle, de l’expliciter, de rectifier les éventuelles erreurs commises par des récepteurs immatures. Pour les journalistes, les attaques lancées par le Rassemblement national sont vues comme injustes ou méprisables, mais elles ne sont pas vues comme la conséquence d’un flou profond de la pensée présidentielle et d’une communication défaillante. La priorité n’est donc pas de demander des comptes au président,  mais de combattre les mauvaises interprétations qui peuvent être faites de sa pensée. 
Sans doute les médias sont-ils animés par de bonnes intentions (comme celle d’éviter les rumeurs) mais les bonnes intentions ne font pas du bon journalisme. Surtout, elles ne font que conforter dans l’idée que les médias se sont érigés en conscience morale et en relais de la parole officielle. Si les médias veulent regagner la confiance des Français, peut-être faut-il qu’ils commencent par regarder en face leurs propres dérives.

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