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Pourquoi la chute d’Alep est un véritable cadeau offert à l’État Islamique
©GEORGE OURFALIAN / AFP

Père Noël pour ceux qui n’y croient pas

Le soi-disant État Islamique assure être le seul défenseur réel des sunnites. Beaucoup considèrent que la chute d’Alep et la prise de Palmyre lui donnent raison.

Michael Weiss

Michael Weiss

Michael Weiss est journaliste pour The Daily Beast.

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The Daily Beast - Michael Weiss & Hassan Hassan

Pour Abu Bakr al-Baghdadi, le "calife" du soi-disant Etat islamique, la semaine dernière a été excellente.

La chute d'Alep tombée aux mains d’un consortium de milices iraniennes soutenues par la puissance aérienne et les forces spéciales russes ne constitue pas seulement une victoire pour Damas, mais c'est aussi un succès pour l'Etat islamique, qui en a profité pour monter une attaque surprise et reprendre la ville antique de Palmyre.

Le contraste ne pouvait être plus évident, c'est la justification la plus claire de la propagande disant que les "infidèles" et les "apostats" ne feront rien pour sauver les Arabes sunnites du pillage, des viols et des bombes russes, alaouites et chiites.

En mai, des mois avant qu'il ne soit éliminé par un raid aérien américain, l’ancien porte-parole de l'Etat Islamique, Abou Mohammed al-Adnani, a publié un communiqué réfutant une critique sunnite habituelle contre l'EI, à savoir que la prise de contrôle par ce dernier des villes sunnites n’a jamais apporté que la dévastation. Voir les exemples de Fallujah et Ramadi. Pour Adnani, cependant, une telle dévastation n'a jamais été la faute de l'Etat Islamique.

Merci à Bachar el-Assad, Vladimir Poutine et l'ayatollah Ali Khamenei, sans oublier Barack Obama, qui donnent raison à Adnani. Plutôt que de mourir en combattant pour Alep, l'Armée Syrienne Libre (et ses soutiens occidentaux), plus les groupes islamistes rivaux ou les groupes djihadistes comme Jabhat Fatah al-Sham, la version syrienne d'Al-Qaïda, ont négocié les conditions de leur reddition après une série d'échecs et de "trêves" humiliantes suivie par les évacuations, qui sont en fait des transferts forcés de population. Et en plus, Alep a été détruite.

La perte sera aggravée par le contexte. Alep est tombée face à ce que Christoph Reuter, le correspondant de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, a justement appelé le "premier djihad chiite international de l'histoire récente" dirigé par les gardes révolutionnaires iraniens en s’appuyant en grande partie sur un patchwork de combattants issus de guérillas d’Afghanistan, du Pakistan, du Liban et d’Irak. C’est précisément ce qu'Abou Moussab al-Zarqaoui, le père fondateur jordanien de l'EI, voulait. Il a décrit les chiites comme "le serpent qui rôde, le rusé, le scorpion diabolique, l'ennemi en embuscade... Celui qui prend le temps d'examiner attentivement la situation va se rendre compte que le chiisme est le plus grand danger qui nous menace tous et le véritable défi que nous devons affronter". Et la seule façon de faire face à cet ennemi en Irak était de priver les sunnites de tout espoir, que quelqu'un d'autre attaque les chiites afin que les chiites se vengent en submergeant les sunnites en infériorité numérique.

En Syrie, la thèse de Zarqaoui est encore plus pertinente, car le pays est en majorité sunnite et est maintenant soumis à une occupation imposée par une minorité. Et son triomphalisme chauvin est pire que l'effondrement de la citadelle symbolique de la révolution syrienne, ce qui conforte la stratégie de Zarqaoui.

Harakat Hezbollah al-Nujaba, l'une des milices irakiennes que les Nations unies ont accusé du meurtre de 85 civils, dont des femmes et des enfants, a diffusé une chanson sur une chaîne de télévision irakienne : "Alep est chiite". Dans son sermon du vendredi, à Téhéran, l'ayatollah Mohammad Emami Kashani a salué la "libération" de la ville, libérée des mains des "infidèles", utilisant plus ou moins le même language sectaire que l'EI réserve aux coreligionnaires de Kashani. Cette fois, il déclarait que les 150 000 sunnites assiégés pendant des mois dans l'Est d'Alep étaient maintenant chassés de leurs maisons.

On retrouve la même réthorique de manière visuelle. Des images circulant sur les médias sociaux montrent Qassem Soleimani, maître espion iranien et chef du corps expéditionnaire des Gardiens de la Révolution, en train fouler les décombres d'Alep dans un show destiné à montrer clairement qui était le vrai responsable du siège de la ville. Bachar el-Assad, le souverain de "toute la Syrie" n’apparaît nulle part sur ce champ de bataille iranien. Chacune de ces photos pourrait facilement figurer dans la prochaine édition du magazine de propagande de l'Etat Islamique.

Par ailleurs, on trouve déjà des vidéos d'enfants syriens promettant de revenir et de reprendre Alep quand ils auront grandi. Un enfant accuse les rebelles d’avoir trahi Alep par leurs divisions et les exhorte à s’unir pour se venger.

Pourtant, ceux qui sont susceptibles de se venger pourraient bien finir par être les djihadistes purs et durs qui, selon le gouvernement américain, auraient perdu 50 000 hommes au combat au cours des deux dernières années et demi de guerre. La première estimation de la CIA, en 2014, se situait entre 22 000 et 30 000 hommes.

Ce qui reste des garnisons de l'Etat Islamique (quelques milliers d’hommes seulement) résiste à Mossoul, où l'opération irakienne soutenue par les Etats-Unis pour libérer cette capitale provinciale est au point mort, tandis que la moitié de la force de frappe antiterroriste d'élite de l'Irak, la Division d'Or, a subi de lourdes pertes. C’est un corps qui intégre des militaires professionnels sunnites, chiites et chrétiens qui font le travail le plus dur face au califat. Et si ce taux d’attrition se poursuit, la Division d' Or sera inopérante dans un mois. Ce qui stopperait la bataille pour Mossoul indéfiniment ou forcerait Bagdad à compter sur des unités moins fiables, comme celles composées de chiites.

Pendant ce temps-la, entre 50 et 200 combattants de l'EI ont réussi à prendre Palmyre. Comme le Daily Beast l'a raconté, citant des sources pro-régime, le retour rapide de l'EI sur la scène de son ancienne défaite a été facilité par la corruption. Les djihadistes ont visiblement payé un dirigeant corrompu des Forces de défense nationale, une milice, qui a laissé faire quand le blitzkrieg a commencé. Selon Khaled al-Homsi, un natif de la ville, qui suit de près la situation sur place, le dispositif militaire russe a été retiré quelques jours avant le début de l'assaut, peut-être pour être redéployé à Alep. Ce qui conforte cette affirmation, c’est un récent article du Wall Street Journal indiquant que plusieurs centaines de Spetsnaz, les forces spéciales russes, des unités qui avaient été déployées lors de l’annexion de la Crimée en 2014, ont été sur le terrain à Alep pendant des semaines, où, selon le spécialiste d’un think tank basé à Moscou, elles "prenaient part au combat".

Le fait que Palmyre ait été repris vient démentir l’idée que la coalition d'Assad lutte contre les pires extrémistes en Syrie. Et cela a conduit à la réhabilitation de cette organisation sanguinaire dans l'imagination populaire.

Faisal al-Kasim, un présentateur bien connu de la chaîne d’information Al Jazeera, qui insiste généralement pour dire que l'EI et le régime d'Assad sont de mèche, a dit qu’il souhaitait que les défaites infligées au régime par l'EI, comme à Palmyre (où la coalition Assad a perdu des centaines de soldats), se répètent. Normalement cynique face aux victoires de l'Etat Islamique, l'opposition syrienne les célèbre maintenant.

Saleh al-Hamwi, un ancien chef de Jabhat al Nusra, l'ancien nom de la filiale syrienne d'Al-Qaïda, a présenté ce qui est arrivé à Palmyre comme très positif. "Cueillez le fruit quand il est mûr", a tweeté al-Hamwi le 11 décembre, le jour où Palmyre a été reprise. "Ne faites pas de détails. Tout coup contre le régime est bon pour la révolution maintenant". Le célèbre journaliste syrien Mousa al-Omar, qui n’est nullement djihadiste ou sympathisant djihadiste, a retwitté cette réflexion.

Dans son sermon inaugural, Abu Bakr al-Baghdadi, dans la mosquée al-Zangi à Mossoul en juillet 2014, a envisagé cette éventualité. Les musulmans sunnites, a-t-il dit, font face à une conspiration mondiale dirigée par les Etats-Unis et la Russie, soutenue par l'Iran et les chiites, contre laquelle il n'y a qu'un seul vrai protecteur de cette communauté assiégée : les militants du califat. Il n'y a pas d'alternative ou de "troisième force".

Certes, il est parfois difficile de discerner où se termine cette théorie du complot et où commence la politique étrangère des États-Unis.

Stephen Townsend, le commandant américain de la coalition anti-EI, s’est ouvertement moqué du gouvernement russe lors d'une conférence de presse la semaine dernière, disant, en faisant référence à Palmyre : "ils l’ont perdue ... et c’est à eux de la reprendre". Townsend a ajouté que l'EI semblait avoir saisi "des véhicules blindés et autres armes lourdes, peut-être même certains équipements de défense anti-aérienne", ajoutant que si les Russes ne pouvaient pas détruire ce matériel, la coalition le ferait. Cela a été fait : 14 chars et un système de défense aérienne ont été détruits. De nombreux sunnites voient les Etats-Unis comme faisant le ménage derrière les partisans d’Assad, tout en laissant Alep à son triste sort.

L'ancien secrétaire général du Hezbollah, le cheikh Subhi al-Tufayli, semble bien conscient de l'effusion de sang sectaire qui a précédé et qui va suivre le drame d'Alep. Comparant la ville de Kerbala, le site des plus grandes tragédies de l'islam chiite, Tufayli a accusé Assad, la Russie et l'Iran "massacre de milliers de musulmans" avec la connivence américaine. "Comment pouvons-nous expliquer la destruction, par le feu et les bombes, d'Alep tandis que dans le désert à Palmyre, les militants attaquent l'armée syrienne et prennent le contrôle de la ville en moins d'une journée ? Comment l’expliquer ?", a-t-il demandé au cours de son sermon vendredi dernier. "Nous permettons l'État Islamique de se développer et d'attaquer la véritable opposition pour qu’elle soit éliminée, pour qu’il ne reste plus que le régime et l'EI. A ce moment-là, on dira aux gens de choisir : 'vous préférez l'Etat Islamique ou Bachar ?'"

Le pari du défunt Zarqaouii était de démoraliser les sunnites pour les amener à rejoindre sa guerre sainte. Au vu de ce qui s’est passé, son fantôme a encore une raison de sourire.

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