Dominique Reynié : "Pourquoi je me maintiens"<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Pierre Masseret, tête de liste socialiste en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, a confirmé, lundi 7 décembre, son refus de se retirer au second tour des élections régionales.
Jean-Pierre Masseret, tête de liste socialiste en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, a confirmé, lundi 7 décembre, son refus de se retirer au second tour des élections régionales.
©madameoumadame.fr

Tribune

La candidat de la droite a confirmé son refus de se retirer au second tour des élections régionales. Pour lui, le "front républicain" met en danger la République.

Dominique Reynié

Dominique Reynié

Dominique Reynié est professeur des Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Paris et directeur général de la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol).

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Populismes : la pente fatale (Plon, 2011).

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S’exprimant sur les résultats du premier tour des élections régionales, le Premier ministre a déclaré à l’Assemblée que le niveau atteint par le Front national "représentait un péril pour la République", et que la République et ses valeurs, lorsqu’elles sont en cause, se situeraient « au-delà du débat démocratique » justifiant ainsi la constitution d’un front visant à faire échouer son élection partout où elle apparaît possible.

Ainsi donc, après avoir invoqué la semaine dernière le "patriotisme" pour appeler à voter pour son parti, le premier ministre nous dit aujourd’hui comment voter pour mériter encore le nom de "républicain".

C’est beaucoup de leçons politiques en peu de temps. C’est beaucoup de grands mots et de sentiments vibrants, pour qu’un esprit clair ne devine pas la manipulation politique qui est à l’œuvre.

Dans les deux cas, on constate qu’il s’agit surtout de forcer la main de l’électeur en lui tenant un discours moral et volontiers dramatique jusqu’à l’indécence. Le vote ne serait plus issu de la confrontation saine et franche des idées, il serait d’emblée dans le camp du bien ou dans le camp du mal. On fait la morale à l'électeur, et aux candidats sur l’opportunité de leur candidature, et parce qu’on est pas très sûr que l’électeur un peu naïf ou distrait, suive bien la leçon, on veut lui couper les moyens de choisir en faisant disparaître certaines listes. On veut déposséder l’électeur de son pouvoir souverain et pour son bien évidemment.

On revêt ça du beau nom de "front républicain", mais c’est une mauvaise manière faite à l’électeur, et en définitive c’est à la République qu’il est fait violence. A la République, et à la démocratie qu’il n’est pas bon de reléguer à une utilité procédurale dont on pourrait se délester facilement en ces temps d’urgence qui s’affranchissent des formes.

Je tiens pour ma part le front dit républicain pour une violence faite à l’électeur mais plus profondément encore, à l’idée même de démocratie et de République qu’on prétend défendre ici. Je soutiens que le front républicain n’est pas un élan généreux et vertueux, mais qu’il ressort d’un calcul politique qui précisément porte un mal considérable à notre République.

L’hypocrisie est aisément décelable : alors que Marine Le Pen est reçue pour consultation comme les autres représentants des partis politiques à l’Elysée, elle représente ensuite pour le pouvoir un danger pour la République. Il faut s’entendre : le FN est un parti qui a droit de cité ou il ne l’est pas !

Seulement voilà, le FN est utile. Utile pour la majorité. Et le Front républicain est le moyen pour l’imposer comme le seul interlocuteur de la gauche qui s’octroie de cette manière fallacieusement le titre de défenseur de la République, comptant sur ce subterfuge pour rester au pouvoir aussi longtemps que les électeurs ne l’auront pas compris.

La dramatisation effectuée avec le plus grand cynisme par l’exécutif, pour ne pas être nouvelle, puisque son génial inventeur en est François Mitterrand dans les années 1980, n’a jamais eu autant d’efficace, et l’adhésion réflexe qu’elle provoque, nous jette dans un trouble politique inégalé.

En effet, les temps politiques que nous vivons sont plus que troublés, ils confinent parfois à l’absurde. Que voit-on depuis dimanche ? Un Premier ministre qui appelle à voter pour des listes du parti d’opposition ; l’ancien maire de Paris, demander aux électeurs de droite de ne pas voter pour la liste de leur famille politique que j’ai l’honneur de conduire dans ma région, mais pour le candidat de gauche; et plus insolite encore, des candidats dans le Grand Est qui appellent à voter pour une autre liste que celle sur laquelle ils figurent ! C’est un véritable chaos dans lequel nous voilà pris.

Le problème c’est que ce chaos n’est pas un fait, c’est un artefact, il a été créé et voulu pour des motifs uniquement politiques. Il n’y a plus de gauche, il n’y a plus de droite, il n’y a plus de politique du tout, et vous êtes priés de voter comme on vous le dira.

Dans un exercice de manipulation assez remarquable, la majorité nous explique que ses motifs sont purs et sa démarche désintéressée puisqu’elle sacrifie avec ostentation ses propres troupes dans deux régions, exhibant théâtralement un don magnanime. Trop beau pour être vrai.

Le philosophe Paul Ricoeur avait remarquablement montré la stratégie à l’œuvre dans le don qui exige la réciprocité, et ce qu’était « l’économie du don » qui instaure de fait un rapport de force avec le bénéficiaire d’une largesse. Il nous revient de voir clair dans cette démarche et de ne pas céder à ce qui ressemble plus ou moins à un chantage, ou à un abus de faiblesse. D’y résister surtout.

La gauche, à défaut de s’occuper des maux de la France, utilise de grands mots, joue avec un imaginaire anti-fasciste. La communication remplace l’action. On veut nous émouvoir - l’heure serait grave – et on veut nous culpabiliser – notre attitude relèverait de la faute.

Si la grandeur jouée est risible, cette grandiloquence réjouit le FN qui se délecte de ces exagérations et en montre le ridicule en parlant de « vieux logiciels » comme Marion Maréchal-Le Pen, ce qui contribue à le conforter.

La gauche se tromperait-elle de combat, se fourvoierait-elle ? Pas le moins du monde, cette stratégie est parfaitement volontaire. Le désordre est créé pour installer une bipolarisation artificielle entre la gauche et le FN, et c’est ce qui fait que les deux paradoxalement se soutiennent et ont besoin l’un de l’autre. Le bénéfice d’un tel désordre ? Mais immense ! Cela permettrait d’abord de paralyser la droite en installant un face-à-face gauche/FN, et surtout en mettant le débat politique sur le plan uniquement moral, de se dispenser de parler bilans, programmes et réalité concrète, tout ce qui fait la matière même de la chose politique. Que des avantages vraiment, et pour les deux ! L’un préférant ne pas parler de son bilan puisqu’il est sortant dans la plupart des régions, et l’autre de ne pas parler programme qu’il garde à l’état gazeux des intentions, surtout quand elles ne sont pas réalisables. Le système est fait pour éliminer le parti le plus attaché à la rationalité de ses propositions, qui se fait un devoir de budgéter ses propositions, d’argumenter, de proposer en responsabilité.

Ne nous y trompons pas, la gauche ne fait aucun don à la droite. Il est amusant d’ailleurs de constater que dans les médias il est exigé des « remerciements » aux hommes politiques de droite dont on se plaît à décrier la furieuse ingratitude.

Je suis d’accord sur l’objectif : il faut battre le FN. Mais il faut le battre démocratiquement, honnêtement. Voler la victoire serait faire prendre un risque considérable à notre démocratie, ce serait accepter de la vicier sans mesurer les conséquences. Le retrait de listes dans deux régions est un risque qui a été pris, mais il n’a pas été convenablement évalué.

Dans ma région, j’ai refusé un tel risque et il n’en a jamais été question pour moi et ma famille politique. La démocratie repose sur la confiance, et toute intervention pour en modifier le jeu normal dans le but d’obtenir un résultat forcé, est précisément ce qui peut décourager les électeurs et les pousser vers le FN qui apparaîtrait alors comme le seul acteur sincère et honnête puisque du fait de son isolement, il serait exempt de toute entente avec d’autres partis. Voilà ce que le front républicain peut produire : seul le FN deviendrait pur et non compromis. Quelle aberration !

Dans ma région, des listes ont été fusionnées alors que tout au long de la campagne, on jurait ses grands dieux qu’il n’en serait jamais rien : donner ce spectacle de perpétuels arrangements, cela c’est renforcer le FN.

Construire la compétition démocratique en se donnant pour objectif d’empêcher un des compétiteurs de gagner, c’est tricher, c’est détruire l’idée démocratique elle-même. Rendre artificiellement inaccessible une victoire du FN, c’est la rendre plus désirable encore. Empêcher le FN d’être élu ? Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à la prochaine élection ?

En un mot, le « front républicain », c’est un accélérateur de croissance pour le FN.

Je comprends la position de J-P. Masseret de maintenir sa liste dans le Grand Est, et sa position et la mienne montrent bien qu’il ne s’agit pas d’un choix de droite ou de gauche, il s’agit d’une logique républicaine justement. Le front républicain c’est nous.

Pour sa région, il dit « nous sommes la gauche » et je tiens pour la mienne le même langage : « nous sommes la droite ». Il s’agit d’accepter loyalement la compétition démocratique depuis la position où nous sommes, avec les propositions qui nous sont propres, d’en être fiers, dans un esprit bâtisseur. C’est la seule option possible.

Il ne s’agit pas de choisir la démocratie contre la République. L’une ne peut pas exister si elle renie l’autre.

J’ai combattu le FN, je le combats chaque jour, et je ne peux être soupçonné de connivence avec lui, mais en tant que démocrate je ne lui dénie pas le droit d’être élu. En tant que républicain, je combats ses valeurs, ses programmes qui n’en sont pas, ses propositions qui ne tiennent pas. C’est cela le vrai combat. Le seul qui vaille. Le seul à être républicain.

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