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Pourquoi il faut investir sur le ketchup, la bière et les préservatifs ?
©Reuters

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JAB Holding Company, la société d'investissement qui gère la fortune de la dynastie allemande Reimann, a lancé une OPA de presque 14 milliards de dollars sur le spécialiste américain des machines à café et capsules Keurig Green Mountain. D'après l'analyse Euromonitor International, trois facteurs jouent un rôle déterminant dans ces nouveaux investissements vers des marques qui séduisent davantage les classes moyennes.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Pascal de Lima

Pascal de Lima

Pascal de Lima est un économiste de l'innovation, knowledge manager et enseignant à Sciences-po proche des milieux de cabinets de conseil en management. Essayiste et conférencier français  (conférences données à Rio, Los Angeles, Milan, Madrid, Lisbonne, Frankfort, Vienne, Londres, Bruxelles, Lausanne, Tunis, Marrakech) spécialiste de prospective économique, son travail, fondé sur une veille et une réflexion prospective, porte notamment sur l'exploration des innovations, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socio-économiques. Après 14 années dans les milieux du conseil en management et systèmes d’information (Knowledge manager auprès de Ernst & Young, Cap Gemini, Chef Economiste-KM auprès d'ADL et Altran 16 000 salariés, toujours dans les départements Banque-Finance...), il fonde Economic Cell en 2013, laboratoire d’observation des innovations et des marchés. En 2017, il devient en parallèle Chef Economiste d'Harwell Management.

Diplômé en Sciences-économiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (PhD), de Panthéon-Sorbonne Paris 1 (DEA d'économie industriel) et de Grandes Ecoles de Commerce (Mastère spécialisé en ingénierie financière et métiers de la finance), il dispense actuellement à Sciences-po Paris des cours d’économie. Il a enseigné l'Economie dans la plupart des Grandes Ecoles françaises (HEC, ESSEC, Sup de Co, Ecoles d'ingénieur et PREPA...).

De sensibilité social-démocrate (liberté, égalité des chances first et non absolue, rééquilibrage par l'Etat in fine) c'est un adèpte de la philosophie "penser par soi-même" qu'il tente d'appliquer à l'économie.

Il est chroniqueur éco tous les mardis sur Radio Alfa, 98.6FM, et chroniqueur éco contractuel hebdomadaire dans le journal Forbes.

 

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Atlantico : Pourquoi les plus grosses holding d'investissement comme JAB qui gère la fortune de la famille Reimann ou 3G Capital se positionnent-elles sur les marchés émergents ? Pourquoi investissent-ils dans des produits qui séduisent les classes moyennes ?

Gilles Saint-Paul : Les marchés émergents sont des économies en forte croissance. On peut s’attendre à ce que nombre d’entre eux rejoignent le club des pays développés, comme cela a été le cas auparavant avec le Japon et la Corée. Dans un premier temps, les investissements étrangers se portent vers ces pays afin d’y établir des structures de production à faibles coûts salariaux et tournées vers l’exportation. Mais ce mécanisme génère tôt ou tard des tensions sur le marché du travail qui font augmenter les salaires. On assiste alors à la montée d’une classe moyenne et à l’émergence d’une demande de biens de consommation courante, comme c’était le cas pour les économies développées dans les années 50 et 60. Les pays émergents sont en transition vers cette nouvelle phase du développement économique et ces investisseurs internationaux tentent en bonne logique de se positionner en leader sur les nouveaux marchés de biens de consommation courante. 

Pascal de Lima : Les perspectives de croissance en zone euro restent très modestes même si nous sommes dans une phase de reprise. De nombreux pays émergents, hormis peut-être la Russie et le Brésil, même en phase de décélération, connaissent des taux de croissance élevés, la Chine bien évidemment. Ensuite, ces pays connaissent aujourd'hui une phase de montée en gamme. Il y a un effet de ciseau entre les pays développés et les pays en voie de développement. Les pays en voie de développement montent en gamme et les pays développés hormis les Etats-Unis et l'Allemagne baissent en gamme et se concentrent sur le medium (France) ce qui reste dangereux car la concurrence à l'échelle monde demeure très forte. Les classes moyennes et ses nouvelles aspirations sont la conséquence d'une évolution vers la montée en gamme. D'un autre coté, il y a double causalité : la montée en gamme est aussi la conséquence de nouvelles aspirations d'une classe moyenne mieux rémunérée et qui arrive à maturité.  

Comment l'émergence de ces classes moyennes a changé leur positionnement ? 

Gilles Saint-Paul : De par la taille de leur population, les marchés des biens de consommation courante représentent des profits potentiels colossaux. Le rendement de ces investissements est donc potentiellement élevé, dans la mesure où le premier arrivé peut espérer profiter d’avantages concurrentiels substantiels dûs à la fidélisation de la clientèle et à la taille critique de son réseau de distribution. 

Pascal de Lima : Les classes moyennes se situent dans une position intermédiaire entre la consommation luxueuse des pays très riches et la consommation de nécessité des moins favorisés. Du coup évidemment, les aspirations et comportements de consommation de ces classes moyennes sont une aubaine très prometteuse pour les investisseurs internationaux, avec la conjonction de facteurs favorables : la croissance démographique, l'urbanisation, l'amélioration des revenus. 

Quels sont pour les holdings, l'intérêt d'investir dans ce type de produits ? 

Gilles Saint-Paul : Inversement, les politiques d’assouplissement quantitatif et le relatif essoufflement des économies développées ont réduit les rendements financiers dans la zone OCDE, surtout depuis que les bourses ont atteint un niveau encore plus élevé que leur pic précédant la crise. Il en résulte une recherche de rendement de la part, non seulement de fonds comme les "private equity" mais aussi d’investisseurs traditionnellement plus prudents comme les compagnies d’assurance.

Pascal de Lima : Les investissements dans les pays émergents ont cette particularité de se situer à l'interstice des investissements de très long terme (cycle de 30 ans pour un retour sur investissement) et de très court terme (cycle de 3 ou 4 ans pour une sortie). Du coup, on évite l'écueil de trop attendre pour un rendement faible sur une prise de risque quasi nulle, ou d'aller trop vite pour un rendement certes, plus élevé mais dans le cadre d'un investissement beaucoup plus risqué. On se situe à la médiane de tout cela. 

Comment parviennent-elles à casser les coûts en investissant dans des groupes en pleine restructuration ? 

Gilles Saint-Paul : Le principe de base de ces fonds est de repérer une entreprise "cible" qu’ils considèrent comme inefficace, de lever des fonds pour la racheter, de la restructurer puis de la revendre. Les détails diffèrent donc selon chaque cas particulier, au sens où les sources potentielles de gains de productivité peuvent être très différentes selon les entreprises. Mais il me semble que dans bien des cas, le holding financier s’attaque à des cibles en situation d’oligopole, où les rentes d’oligopole ont été progressivement dissipées au cours du temps sous la forme d’embauches excessives, de pratiques managériales peu exigeantes, et qui permettent à l’équipe de direction de s’acheter une vie confortable au détriment des actionnaires – ce qui les rend par la même occasion vulnérables à un rachat par un fonds de private equity. Dans bien des cas le "raid" du holding se traduit donc par un remplacement immédiat des dirigeants et des licenciements.

Pascal de Lima : C'est un des drames du capitalisme : on s'appuie d'abord sur le remboursement du capital investi, et la réalisation ensuite d'un profit maximum. Mais pour réaliser ce profit, il faut comprimer les salaires ou licencier, le cas échéant investir dans des nouvelles technologies qui améliorent la productivité mais qui ont des conséquences néfastes sur l'emploi de toutes façons (aujourd'hui). D'ailleurs en pleine restructuration, on parle souvent des licenciements boursiers, mais on oublie toujours les futures conditions de travail des salariés maintenus en poste. Ce sont les investisseurs qui exigent cela auprès du management. Or malheureusement les salaires que l'on comprime sont les débouchés des entreprises. C'est le serpent qui se mort la queue et cette règle d'une grande banalité est totalement incomprise.

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