Pourquoi «Guerre» de Louis-Ferdinand Céline est un texte remarquable – et non un fond de tiroir<!-- --> | Atlantico.fr
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Des extraits encadrés de la correspondance de l'écrivain Louis-Ferdinand Celine (portrait) exposés à la galerie Gallimard lors de l'exposition intitulée "Celine, manuscrits retrouvés" à Paris
Des extraits encadrés de la correspondance de l'écrivain Louis-Ferdinand Celine (portrait) exposés à la galerie Gallimard lors de l'exposition intitulée "Celine, manuscrits retrouvés" à Paris
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

À (re)lire

Dans des conditions dignes d'un roman, près de 5000 pages manuscrites inédites de Louis-Ferdinand Céline volées en 1944, sont réapparues soixante-dix ans plus tard. Premier livre de cet ensemble qui est publié aujourd'hui : Guerre (Gallimard). Un texte de 250 pages, parfaitement célinien, point de liaison entre Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Un choc littéraire. Un texte essentiel.

Olivia Phelip

Olivia Phélip

Olivia Phélip est rédactrice en chef de Viabooks.fr et coach professionnel. 

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La publication deGuerre (Gallimard), soixante ans après la mort de Louis-Ferdinand Céline, est un événement. Ce texte est essentiel dans l'œuvre de l'écrivain. Voici les cinq raisons de s'en emparer.

1. Parce que l'histoire de ce manuscrit est romanesque (pour ne pas dire rocambolesque)

Comment ces pages ont-elles été volées alors que Céline se rendait au Danemark en 1944 pour fuir l'épuration ? Et comment sont-elles réapparues ? Une histoire digne d'un roman. Mystère des méandres et des rivalités. Coup de théâtre, l'an dernier, un journaliste de Libération reçoit ces manuscrits introuvables pendant plus de soixante-dix ans. Les ayants droit récupèrent 5000 pages inédites. Guerre en est le premier opus publié. Quelques deux-cent-cinquante feuillets dont l'action se situe dans les Flandres durant la Grande Guerre. 

2. Parce que c'est un texte majeur pour comprendre l'œuvre célinienne

Guerre est un maillon essentiel de l'œuvre de Céline (et non un fond de tiroir). Il est tout simplement le chaînon manquant entre Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. Le texte a été écrit deux ans après la parution de Voyage au bout de la nuit en 1932. Pascal Fouché se demande même si Guerre n'a pas été pensé initialement comme faisant partie de Mort à crédit. Car les manuscrits ont montré un plan de Céline qui aurait classé Enfance, Guerre et Londres, comme trois grandes parties du même livre. Vu l'ampleur de la partie Enfance, seule celle-ci sera publiée sous le titre de Mort à crédit. Nous nous trouvons donc face à un roman qui n'est pas une ébauche non aboutie. Guerre est bien le dépositaire d'une pensée, d'une langue et d'un univers. Ce n'est pas un avatar.

3. Parce que son écriture est tellement caractéristique

Le texte de Céline s'impose tout de suite. Un éclat d'obus comme une déflagration littéraire elle-aussi. Guerre se déroule avec sa puissance, son style presque parlé qui semble négligé, et qui est pourtant tellement fluide, tellement saisissant et... tellement reconnaissable. Il est toujours troublant de se trouver face à ce qui construit le style d'un écrivain. La langue de Céline est incomparable. Comme une musique symphonique. Riche de sons et de rythmes. Les images fusent. Les mots se déversent. Le torrent des phrases virevolte entre les rochers des paragraphes. Tout va vite. L'urgence de la survie et de la colère. La lecture de Céline laisse toujours un peu KO. Si d'aucuns avaient eu des doutes sur l'authenticité des feuillets,  ils seront vite rassurés. C'est du pur Céline. On peut juste déplorer l'édition qui par souci de précision use de nombreux crochets et sous-textes, qui nuisent à la fluidité de la lecture.

4. Parce que c'est un témoignage historique sur la guerre 14-18

Comme souvent chez Céline, le texte est ancré dans le réel. Avec une matière autobiographique : Céline a été effectivement blessé à la tête et à l’épaule par un éclat d’obus, dans les Flandres lorsqu'il combattait pendant la Grande Guerre. Dans Guerre, Céline relate l'épisode de sa blessure au front, de sa survie au milieu de ses camarades morts, de son traumatisme physique et moral dans ce qu'il nomme : l'«abattoir international en folie». Le héros, Ferdinand, double de l'auteur, va réussir, malgré sa blessure, à être évacué à l'hôpital de Peurdu-sur-la-lys. Une infirmière s'intéresse de près à lui.  Il va même se lier d'amitié avec un ancien souteneur du nom de Bébert. Ferdinand cherche «la vie et rien d'autre», (titre du film de Bertrand Tavernier qui se passe pendant la Grande Guerre). Dans Guerre Céline porte un regard frontal sur l'atrocité des combats et les désillusions de la survie. Il écrit ce texte, vingt ans après 14, alors que le passé, selon ses mots, «toujours saoul d'oubli», prend des «petites mélodies en route qu'on lui demandait pas». 

5. Parce que c'est un texte puissant sur l'horreur de la guerre en général

La guerre est une boucherie. Louis-Ferdinand Céline alias Dr Destouches n'a jamais cessé de le crier. Il ne se remettra jamais d'avoir été au front, souffrant toute sa vie d’acouphènes et de névralgies, sans parler d'un profond traumatisme, qui explique peut-être en partie ses dérives antisémites futures. Guerre est un texte qui affiche l'horreur de la guerre. Alors qu'une guerre secoue actuellement l'Ukraine et que se profilent les ombres d'un conflit qui pourrait essaimer en Europe, n'est-il pas essentiel de rappeler l'horreur ontologique de la guerre et son absurdité ? 

>Louis-Ferdinand Céline, Édition de Pascal Fouché. Avant-propos de François Gibault, Gallimard, 192 pages, 19 euros

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