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Pourquoi Florian Philippot se réjouit un peu vite du soutien des jeunes en oubliant qu’avant toute autre chose, ils s’abstiennent
©Caroline Brenière / RTL.fr

Ne pas mettre la charrue avant les boeufs

L'analyse de l'électorat du FN montre que celui-ci est essentiellement constitué par des personnes âgées de plus de 55 ans, les jeunes ne représentant qu'une proportion très faible.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Dans un récent tweet, Florian Philippot s'est réjoui des résultats d'une enquête Odoxa révélant que le FN arrive en tête des affinités politiques chez les 18-34 ans. Comment interpréter ce résultat ? Qu'est-ce qui,dans le discours du parti, plaît à cette catégorie d'électeurs ? 

Jean Petaux : Florian Philippot est dans la situation de celui qui voit la réalité aux couleurs qui lui conviennent ou, si l’on préfère, qui retient l’image du verre à moitié plein alors qu’il est aussi à moitié vide. D’ailleurs en l’espèce, le verre n’est même pas à moitié plein pour le FN dans le sondage Odoxa dont il a tweeté les résultats.

Première remarque : il n’est pas question ici d’intentions de vote mais "de sentiment de proximité" (voire, telle que la question est formulée, de "moindre éloignement").

Deuxième remarque : en matière de proximité idéologique, les jeunes (dont on soulignera l’imprécision de la catégorie : ici on prend en compte les 18-34 ans, très souvent on considère plutôt comme "jeunes" les 18-25 ans ou les 18-30 ans) montrent nettement un "tropisme idéologique" en faveur des partis dits de "gauche". Et dans une proportion clairement supérieure aux formations politiques de la droite (+12%) et de l’extrême-droite (+9%). Ce qui place le FN en tête des réponses c’est qu’il est seul tout simplement sur son créneau quand les formations politiques de gauche proposées en guise de réponses possibles sont au nombre de cinq… D’où un éclatement manifeste des sondés.

Troisième remarque : le groupe de répondants le plus important dans le panel d’Odoxa demeure celui qui l’emporte toujours dès lors qu’il est question d’engagement partisan ou même de mobilisation politique dans les tranches les plus jeunes du corps électoral, en France mais plus globalement aussi dans les grandes démocraties comparables : c’est le groupe des "indifférents" à la politique. Plus du tiers des sondés n’affichent aucune proximité partisane. En d’autres termes, la politique à la mode Philippot ou à la mode de qui que ce soit d’autre n’intéresse pas l’électorat jeune. Un énarque, haut fonctionnaire, formé à HEC (ce n’est pas d’Emmanuel Macron dont il est question ici, ni même de François Hollande, mais bien de Monsieur Philippot) ne saurait être un modèle qui ferait "kiffer" les jeunes. On s’en serait douté… 

Reste que le FN réalise néanmoins un score convenable parmi les plus jeunes. A quoi cela tient-il ? Sans doute à la dimension "révolutionnaire" du discours du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. Remettant en cause le système politique dans son ensemble, essayant de cultiver la thématique du "tous pourris" et se proposant de "renverser la table", le FN peut, ainsi, séduire une frange plutôt désespérée de la jeunesse en butte à un fort sentiment d’abandon social. Le "après tout, pourquoi ne pas les essayer pour voir ce que cela va donner puisque tous les autres ont échoué à nous trouver un job" trouve ainsi un succès logique. Surtout dans des zones en forte déprise économique telles que les Hauts-de-France, le Grand-Est ou la région PACA.

Reste que ce sont plutôt les thématiques développées par Florian Philippot au sein du FN (autrement dit les thématiques "sociales") et non pas celles qui sont défendues par Marion Maréchal-Le Pen (les thématiques "sociétales") qui sont les plus en phase avec la part des jeunes qui se déclarent proches du FN. En d’autres termes les "valeurs chrétiennes" chères à la nièce de la présidente du FN (dont il faut rappeler quand même qu’elle a récemment divorcé, ce qui, du strict point de vue du sacrement du mariage, correspond à un "péché mortel"…eh oui… désolé de rappeler les "fondamentaux  canoniques"…) ne sont pas celles qui attirent le plus les jeunes Français considérant, comme la très grande majorité de cette catégorie d’âge, que chacun peut mener sa vie comme il l’entend : aimer quelqu’un du même sexe (comme certains leaders du FN d’ailleurs) ou vivre maritalement (comme d’autres leaders du FN aussi…).

Lors des différents scrutins ces dernières années, les jeunes se sont faits remarquer, sur le plan électoral, par leur fort abstentionnisme. Dans quelle mesure cette caractéristique pourrait-elle impacter le vote FN ?

Tous les travaux en matière de participation électorale des jeunes (quelques soient d’ailleurs les "bornes" retenues pour définir cette catégorie), y compris les plus documentés et les plus fiables scientifiquement comme ceux d’Anne Muxel, convergent : les jeunes sont très démobilisés politiquement. Ils constituent les gros bataillons des abstentionnistes.Et quand ils votent, à la surprise générale, on constate qu’ils le font majoritairement comme leurs parents.  On peut, en plus, considérer sans risque de trop se tromper, que la proportion d’abstentionnistes relevée parmi les jeunes est sous-estimée dans la mesure où l’on compte aussi dans cette "population" la plus forte proportion de "non-inscrits" sur les listes électorales. En France, depuis 1997, l’inscription sur les listes électorales est automatique à l’âge de 18 ans mais au premier déménagement du domicile parental, la probabilité de se faire radier des listes électorales est grande. Il faut donc, soi-même, se réinscrire à la mairie du nouveau lieu de résidence. Les études (complexes) qui ont été conduites montrent que ce n’est que lorsque les jeunes "s’installent" dans la vie (vie en couple, première naissance, inscriptions en crèche, maternelle, etc.) que l’inscription sur les listes électorales peut se reproduire. Mais comme en région parisienne un couple sur deux divorce (un sur trois en province), il n’est pas rare que ce type d’événement se traduise de nouveau par une radiation d’un des deux, voire des deux ex-conjoints, des listes électorales pour cause, là encore, de déménagement ou d’éloignement.

Un autre phénomène va venir accentuer cette absence d’intérêt pour la politique pour une proportion grandissante de la catégorie des 18-24  ans – il est préférable de réduire ainsi la fourchette - : le fait que le mécanisme des primaires mobilise surtout les électeurs les plus âgés. Il faut rappeler que, selon un sondage Elabe/BFM TV, parmi les votants au premier tour de la primaire de la droite, le 20 novembre dernier, on comptait 39% de plus de 65 ans (soit 15% de plus que ce que représente cette tranche d’âge sur l’ensemble de la population française), et seulement 6% de 18 à 24 ans, et 10% de 25 à 34 ans. Soit au total 10% de moins que ce que représente la part des 18-34 ans en France. Autrement dit , les primaires voient se mobiliser des "vieux" qui choisissent un candidat plus proche de leurs attentes, de leurs affinités. Les jeunes, à l’inverse, se détournent du processus de choix. Ils se retrouvent encore moins dans le "profil" du vainqueur de la primaire.

En revanche, il faut, en toute hypothèse, voir ici une des explications de l’engouement que semble susciter chez certains jeunes jusqu’alors inintéressés par la "chose politique" un Emmanuel Macron, dont l’image et les thématiques développées sont sans doute plus en "résonnance" avec les attentes des plus jeunes. Un peu comme en 2007, une partie de la jeunesse a cru trouver en Ségolène Royal des réponses à ses attentes et s’est mobilisée en faveur de la candidate incarnant un "Désir d’Avenir". Reste que la majorité (même relative) des 18-25 ans considère que la "politique n’a aucun intérêt" et qu’elle correspond donc à une perte de temps.

Quelles sont les chances réelles pour le FN de séduire ces jeunes abstentionnistes, au regard notamment de l'offre politique à droite ?

J’ai déjà répondu pour partie à cette question en évoquant la situation des primaires et la "production" en quelque sorte d’un candidat par des "vieux". Pour ce qui est de la BAP (Belle Alliance Populaire), il est frappant de constater que les candidats socialistes qualifiés pour se présenter sont tous nés dans les années 1960 (Peillon, 1960 ; Montebourg et Valls, 1962; et Hamon, 1967). Les trois autres "encadrent" en quelque sorte ce peloton de "quinquas" (Bennhamias, 1954 ; de Rugy, 1973; et la benjamine, PRG, Sylvia Pinel, née en 1977). Pour faire simple, on soulignera qu’ils sont tous nés avant que Mitterrand n’arrive à l’Elysée (rappelons la date : le 10 mai 1981), qu’ils ne sont en rien des représentants de la jeunesse, même si Benoit Hamon considère toujours qu’il est un" jeune militant MJS" avec ses petits costumes cintrés et ses chemises taillés "slim" et qu’ils ont, pour la plus jeune d’entre eux, plus de deux fois 18 ans... La question se pose réellement pour les formations politiques "classiques" de leur rapport aux plus jeunes électeurs. C’est une question récurrente et répétitive qui revient régulièrement tous les 25-30 ans environ dans la vie politique française. Elle est d’ailleurs généralement "cyclée" avec la crise des formations politiques traditionnelles : fin des années 1950, milieu des années 1960 avec la crise naissante du PCF et la crise chronique qui sera mortelle pour la SFIO ; fin des années 1980-début des années 1990 avec les conflits à l’intérieur des états-majors des grands partis français opposant "frondeurs", "rénovateurs", "réformateurs" aux caciques de ces partis.

Le FN encore une fois dispose d’une carte à jouer dans ce contexte. Il a pour lui l’absence "d’histoire", qui lui permettrait d’envisager d’attirer de jeunes novices en politique ou des ambitieux qui "miseraient" sur le cheval FN pour franchir en premier la prochaine ligne d’arrivée présidentielle. Et il est vrai que certains cadres de la direction actuelle du FN (les Rachline, Briois, Ravier, Philippot lui-même né le 24 octobre 1981) appartiennent plus à la génération des trentenaires qu’à celle des quinquagénaires socialistes. La "couronne" appartenant bien sûr à Marion Maréchal-Le Pen qui a soufflé ses 27 bougies le 10 décembre dernier. Pour autant, si le FN est un parti jeune, encadré pour partie par des jeunes, n’est pas un parti "de jeunes". La structure de son électorat le montre de manière invariante depuis des années : il est majoritairement supérieur à 55 ans. Ce que confirme d’ailleurs le sondage Odoxa que vous mentionnez dans votre première question : la proximité mesurée avec le FN concerne 19% des 18-34 (soit, approximativement 1 personne interrogée sur 5) mais, rapportée aux intentions de vote et à l’électorat global du FN – 6,82 millions de voix – la proportion des jeunes est faible. On pourrait même dire : heureusement pour le FN que les tranches les plus âgées de l’électorat votent pour ses candidats. S’il recueillait parmi celles-ci la même adhésion, en valeur absolue, qu’il recueille parmi les plus jeunes, il n’irait pas loin.

Autre élément à noter. On constate que ces "jeunes loups" frontistes ne sont pas si différents dans leurs pratiques politiques que les vieux briscards des partis politiques les plus anciens. Depuis quelques mois, les dissidences se font jour dans les municipalités FN et dans les "groupes" frontistes, par exemple dans certains départements (en Gironde, par exemple, où les deux seuls élus FN du Médoc siégeant au Conseil départemental sont en guerre ouverte) ou dans certaines régions (Grand-Est). Les méthodes et les pratiques des uns et des autres, bien que jeunes, n’ont rien à envier à celles conduites par les plus vieux : autoritarisme, coups tordus, machisme, etc. On peut être un jeune parti et fonctionner à l’ancienne.

L’inconnue demeure sur la potentialité de mobilisation des jeunes abstentionnistes par le FN. A l'heure actuelle, elle reste faible et ne semble pas devoir connaitre une mutation profonde d’ici avril 2017. Ce qui n’empêchera nullement la "facho-sphère" constituée de jeunes activistes des réseaux sociaux, militants frontistes ou autres, de se mobiliser spectaculairement et de faire le "buzz" en faveur de Marine Le Pen et de son entourage. L’erreur consisterait à confondre ces simulacres de "campagne électorale" sur Twitter ou Facebook et les véritables élections.

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