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Pourquoi encourager systématiquement les enfants à vivre leurs rêves est aussi toxique que l’inverse
©Reuters

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Il est nécessaire de laisser rêver les enfants tout en leur inculquant des bases solides sur lesquelles il pourront se construire.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Il est reconnu qu'il ne faut pas chercher à brider la créativité de ses enfants, ni à les empêcher de vivre leurs rêves. Cependant vu la morosité économique actuelle, est-il préférable de ne pas trop les pousser dans cette voie ? Pour garantir leur avenir, faut-il plutôt leur conseiller de se former à un métier dont on sait qu'il est sécurisant ?

Pierre Duriot : C'est le contraire en fait, il faut justement les encourager à vivre leurs rêves et non chercher à les rendre conformes à la société telle qu'elle est, puisque justement, elle est morose. A ce propos, la fausse route est de penser qu'il ne faut pas apprendre les bases dans cette société morose, pour pourvoir la changer, ou du moins la faire évoluer. Les changements qui ont marqué nos sociétés et nos modes de vie ne sont pas le fait de gens conformes ou de rêveurs, mais de gens qui sont à la fois rêveurs et travailleurs.

A la manière d'un musicien, guitariste, devenant un bon improvisateur, inventif donc, parce qu'il a appris durement toutes ses gammes, classiques, pentatoniques, jazz et des riffs et morceaux de référence, les inventeurs sont ceux qui partent de bases solides, conférées par le travail et l'apprentissage. Ainsi un ingénieur de génie ne peut se permettre l'aventure extraordinaire, que parce qu'il maîtrise parfaitement les classiques de sa discipline, suffisamment pour justement les dépasser. On s'illusionne souvent sur les facultés créatrices des enfants, en ce sens qu'on peut croire qu'elles sont innées et sortent comme cela, naturellement, ou magiquement. Il n'en est rien, on ne créé jamais ni n'invente à partir de l'air du temps. L'innovation dont nous avons besoin résulte toujours d'un haut niveau de maîtrise, associé à une capacité de création et d'improvisation basée sur l'aptitude au travail et les contenus engrangés. Ce sont justement ces bases qui ne sont plus apprises, pour diverses fausses bonnes raisons. Les gammes de l'écolier sont les tables d'additions et de multiplications, les règles de grammaire, d'orthographe et de conjugaison, lesquelles servent de fondations pour de nouvelles acquisitions, autres bases, sur quoi on va générer des capacités de création : pour construire, il faut des matériaux de construction.

A laisser des enfants, mais aussi de jeunes adultes se bercer d'illusions sur leur avenir, à quels risques s'expose-t-on ?


Les jeunes bercés d'illusion tels qu'on peut les rencontrer aujourd'hui, ne sont en fait qu'illusionnés sur leurs capacités réelles. Cela est grandement dû à notre manière d'éduquer, en préférant la facilité, la réussite, l'immédiateté du résultat satisfaisant pour l'amour propre. Nous ne formons ainsi que des jeunes gens blasés et souvent arrogants, dont l'entrée dans la société est régulièrement difficile. Laisser systématiquement gagner les enfants jeunes, dès le premier essai, à des jeux difficiles qu'ils découvrent, les féliciter en permanence pour la moindre réussite noyée pourtant, dans un océan de fautes, s'extasier sur le moindre de leur trait de crayon, transformé en « production artistique admirable », passer sur les exigences de langage et d'autonomie... contribuent à leur donner une illusion d'excellence, là où n'est en fait que de l'ordinaire.

Mais une autre conséquence guette. Si en tant qu'enfant, tout ce qu'on fait est encensé par les adultes, cela signifie donc que grandir et apprendre se traduisent par une perte de perfection et une forme d'incompétence. Puisque les adultes, sensés avoir appris, s'extasient sur les performances infantiles de ceux qui ne savent pas encore grand chose. En fait, il faut remettre le processus à l'endroit et signifier à cet enfant que l'accession à la qualité, voire à une forme de perfection, s'obtient, en grandissant, en travaillant et en corrigeant soi-même ou avec l'aide d'adultes, les logiques erreurs de jeunesse.

Ce dilemme entre "vis tes rêves" et "assure-toi une situation" est-il propre à notre société ? D'où vient-il ?

D'où vient-il ? Bien malin qui pourrait le savoir, sans doute d'une forme de conditionnement collectif, d'une difficulté à oser se singulariser. On peut s'en tenir aux constats objectifs. Quand vous envisagez de créer une société, vous trouvez plus de gens pour vous mettre en garde que pour vous encourager. Quelque part, notre société est fâchée avec la richesse, la réussite, l'esprit d'entreprise... et l'inventif, l'ambitieux, le travailleur, rencontre plus de gens cherchant à le faire tomber, que de gens prompts à profiter de son sillage. Manière de faire savoir, à ces trop rares individus, que leur réussite ou leur dynamisme renvoient les fainéants et les conformes à leurs propres inerties. Egalement, l'école dans son ensemble, a pour habitude de privilégier le conformisme, de récompenser l'adhésion à des valeurs et des méthodes, plus que l'esprit de synthèse, la création et l'initiative.

L'entreprise s'en mêle, l'administration aussi, en promotionnant le conformisme et l'allégeance aux élites et idéologies en place, plutôt que l'initiative et l'évolution. Il est compréhensible qu'une structure ayant accédé au pouvoir cherche à maintenir en place les conditions qui ont favorisé son avènement. Elle évacue donc, casse ou décourage, tous ceux susceptibles de changer les modalités de la promotion, maîtrisées par ceux qui sont au pouvoir et donc distribuent les aides. Par conséquent, pour parvenir à « inventer », à mener ses rêves, il faut savoir s'extraire du groupe auquel vous appartenez et trouver un éventail de collaborateurs, souvent restreint, sur qui vous allez pouvoir compter. Cela n'est pas donné à tout le monde. La plupart des grands inventeurs expliquent, une fois qu'ils ont réussi, les pesanteurs et les vents contraires dont ils ont dû s'arracher à leurs débuts.

« Assure-toi une situation » peut apparaître comme relativement illusoire dans le monde moderne. On peut considérer que de nouveaux métiers apparaissent régulièrement et que ceux, perçus actuellement comme « une situation », ne le seront peut-être plus quand l'enfant sera grand. Même s'il existe des métiers qui ne disparaîtront jamais, ils sont susceptibles d'évoluer. On peut penser aux métiers de production et transformation de denrées alimentaires : nous mangerons toujours ! S'assurer une situation tient plus des capacités propres que de la bonne case choisie à un instant T. La maîtrise des affects, la faculté d'adaptation, d'évolution, de reconversion, l'esprit de synthèse, d'initiative, d'analyse, sont des gages bien plus puissants que l'éventuelle maîtrise, même parfaite, d'une activité susceptible de disparaître.


Comment faire pour que l'enfant se dise qu'il pourra trouver une forme d'accomplissement dans des métiers qui, de prime abord, ne le séduiront pas autant que star de cinéma ou sportif de haut niveau ? Est-il possible de rendre "glamours" des métiers aussi courants que dentiste, banquier, maçon…

Il n'est pas besoin de remonter très loin dans le temps, les années 70 et 80, pour retrouver une période où l'on a totalement décrédibilisé les métiers manuels et de production, présentés comme la résultante des échecs scolaires. Nous y avons perdu nos industries, une partie de nos savoir-faire. Il y a eu d'autres facteurs bien sûr. A mon sens, il faut sortir de « la pédagogie de la réussite », de la « mise en situation de réussite », de l'extase qui prévaut devant les agissements et productions d'enfants très jeunes. Désacraliser l'enfant et l'enfance, au sens où un enfant n'a pas besoin de tout réussir et detout gagner pour être heureux. Un enfant se construit et se sent heureux quand l'adulte avec lequel il est lui permet de construire sa propre personnalité et de dépasser ses échecs. Il faut passer du temps avec les enfants, leur permettre de faire, mais ne pas faire à leur place, ne pas réparer leurs erreurs, mais leur mettre le doigt dessus et prendre le temps d'envisager la solution avec eux. Cela nécessite plus de temps et est bien plus ingrat, évidement, que le bonheur illusoire de la réussite permanente. On mesure ce paramètre dans le bien connu zapping sportif, quand l'enfant veut changer de discipline tous les trois mois. Il cherche en fait une discipline où il va gagner et réussir immédiatement et sans effort, à divers degrés bien sûr. C'est l'image de cette impression de réussite systématique et facile que nous leur donnons en les laissant, par affection, tout gagner, ou en leur apportant immédiatement ce qu'ils réclament.

Au-delà de l'aspect « glamour » d'un métier perçu ou présenté médiatiquement comme ingrat, il existe une forme de réalisation dans le geste technique. Elle apparaît très clairement dans les arts martiaux, par exemple, quand par des milliers de gestes répétés, on parvient à une maîtrise totale qui signe à la fois l'efficacité et l'impression de facilité dégagée. Mais il existe aussi la même philosophie dans tous les métiers, avec le concept de « la belle ouvrage », usité chez les artisans. Il y a bien une passion dans notre culture, pour l'objet manufacturé de belle facture. En témoignent les redécouvertes des voitures et avions anciens, finement ouvragées, les musées de la mine, mettant en exergue et magnifiant un métier pourtant très dur et dangereux. Le fonds culturel est bien présent dans nos sociétés, il s'agit juste de se mettre en condition de le redécouvrir.

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