Pourquoi Emmanuel Macron refuse-t-il de solenniser le retour des restes du général d'Empire Charles-Etienne Gudin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle à l'Elysée.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Histoire

La dépouille du général Charles-Etienne Gudin, mort lors de la campagne de Russie, avait été exhumée en 2019, près de Smolensk. Ni le chef de l’Etat, ni la ville de Montargis ne veulent accueillir avec les honneurs la dépouille du militaire, qui arrivera en France courant juillet.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Une extraordinaire découverte archéologique
C'est l'une des plus extraordinaires découvertes archéologiques de ces dernières années concernant l'histoire de France: les restes du général d'Empire Charles-Etienne Gudin, enfant de Montargis, ont été retrouvés en novembre 2019 par Pierre Malinowski et l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) près de l'ancienne citadelle de Smolensk. Fin 2020 encore, il ne faisait aucun doute que l'ancien camarade de Bonaparte à Brienne, mort au champ d'honneur en Russie comme onze autres généraux de l'Empire, serait ramené avec les honneurs en France à l'occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon. On parlait même d'enterrer aux Invalides ce proche de l'Empereur. Les mois ont passé et rien ne s'est produit. Du côté du gouvernement, silence radio; ou bien l'argument absurde qu'il est difficile de coopérer avec Vladimir Poutine en ce moment. Ah bon? On avait entendu raconter que Joe Biden venait, sans avoir été critiqué, de rencontrer le président russe; et n'est-ce pas Emmanuel Macron qui s'était mis en scène, voici deux ans, à prôner un dialogue avec la Russie? A défaut d'avoir ramené la dépouille du général pour le bicentenaire, va-t-il au moins être enterré à Montargis avec un peu de solennité? Eh bien non plus ! le maire LR, Benoît Digeon répond, avec un indéniable sens de ce qui se joue qu'à Montargis "on n'en veut pas" et "on n'a pas les moyens". 
Les ravages du gauchisme historicide
Il est bien évident que la "cancel culture" est passée par là. Le découvreur des restes de Gudin est un ancien assistant parlementaire de Jean-Marie Le Pen. Emmanuel Macron a décidé qu'il ne voulait pas que les médias puissent l'associer à "l'extrême-droite" et à Poutine dans le même article. Même quand il s'agit d'honorer un soldat mort pour la France. Le président du "en même temps" a voulu, en mai dernier, réclamer un "droit d'inventaire" pour Napoléon, en faisant droit aux interrogations de Black Lives Matter sur l'Empereur et l'esclavage. Tout en expliquant qu'il fallait faire ressortir tout ce que nous devons à l'Empereur.  Nos dirigeants sont profondément atteints par la peur du gauchisme: et ceci à tous les niveaux. Rappelons-nous comment, il y a quelque temps, l'historien Thierry Lentz, âme de la Fondation Napoléon, a été désinvité par la direction de l'Ecole Audencia, à Nantes. "Pas opportun" avait-on expliqué à l'association d'élèves qui l'avait invité. Revenons au général Gudin: le maire de sa ville natale refuse de lui rendre hommage et dit "on n'a pas les moyens de lui construire un mausolée". 
Chesterton: la tradition, c'est la démocratie des ancêtres
Un maire "Les Républicains" ! Rappelons-nous les éléments de langage des soirées électorales, lorsque des représentants de ce parti qui affirme descendre des partis gaullistes successifs, nous expliquaient qu'il fallait revenir à un sain affrontement entre "une droite" et "une gauche". La fierté de la gloire militaire passée, le souci de rendre hommage aux soldats morts pour la France, le regard bienveillant sur l'Empire....cela n'est pas de droite? 
En fait, la crise politique est encore beaucoup plus profonde que ce que nous croyons. L'affaire Gudin est, en petit, un symptôme non moins évident que le taux d'abstention gigantesque aux élections régionales. C'est le moment de se rappeler la magnifique formule du grand Chesterton: "On pourrait définir la tradition comme une extension du droit de vote au passé. Elle consiste à accorder le droit de suffrage à la plus obscure de toutes les classes, celle de nos ancêtres. C'est la démocratie des morts. La tradition refuse de se soumettre à la petite oligarchie arrogante de ceux qui ne font que se trouver par hasard sur terre."  Notre classe politique a rejeté depuis longtemps une partie du peuple français et celui-ci s'abstient. Mais quand on méprise les ancêtres de la nation, il n'est pas besoin d'être superstitieux pour sentir qu'il y aura là aussi un retour de bâton.
Nos dirigeants ont-ils encore un instinct de survie? 
Et même plus que cela. La disposition à enterrer ses défunts est ce qui distingue l'humain. Il faut le dire crûment: nos dirigeants montrent, qu'il s'agisse du président de la République ou du maire de Montargis, à quel point ils ont perdu le sens de ce qui fait l'humanité. Rien de nouveau, à vrai dire. Rappelons-nous comment Edouard Philippe avait voulu interdire complètement la fréquentation des enterrements au début de la crise du COVID 19. Qu'il s'agisse des morts d'aujourd'hui ou de ceux d'il y a deux siècles, des militaires ou des civils, la question ne se pose pas différemment. Quand on n'a plus l'instinct d'honorer ses morts, d'en protéger la dépouille, on enfreint ce qu'il y a de plus sacré dans l'humanité, ce qui nous constitue. Nos dirigeants signifient simplement qu'ils ne sont pas à leur place. Et qu'ils sont à la veille d'être balayés par des forces profondes, qu'ils s'en doutent ou non. Imagine-t-on ce que Vladimir Poutine doit penser de la fiabilité d'interlocuteurs qui n'honorent pas leurs morts? 
Pour devenir une "start-up nation", il faudrait d'abord se vivre comme une nation
Se rend-on compte comme Emmanuel Macron qui a emprunté à Israël le terme de "start-up nation" est éloigné de la réalité de ce pays où la vie du moindre concitoyen pris en otage n'a pas de prix et où on déploie des trésors d'énergie et de ressources pour rapatrier la dépouille des soldats morts? 
Les deux vont ensemble, d'ailleurs: nous sommes incapables de devenir une "start-up nation" parce que nous ne sommes plus une nation, tout simplement. Il n'y a pas de réussite économique possible pour une nation qui ne croit plus en elle-même et qui n'honore plus ses ancêtres. Si la droite voulait redevenir elle-même, elle doit rejeter à la fois l'étatisme et la gauchisme; cultiver à la fois l'initiative privée et la fidélité nationale.  On se gausse souvent de la faiblesse du programme économique de Marine Le Pen. Mais il y a plus rédhibitoire encore: le reniement de la nation par des élus LR comme Benoît Digeon, le maire LR de Montargis. On peut à la rigueur apprendre l'économie ou s'entourer de gens compétents. En revanche, quand on ignore les "lois non écrites" de l'humanité pour lesquelles Antigone et bien d'autres ont donné leur vie, la survie du pays est mise en cause

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