Pourquoi Emmanuel Macron ne sauvera pas la démocratie française par la technocratie (quelles que soient les attentes des Français…)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Pourquoi Emmanuel Macron ne sauvera pas la démocratie française par la technocratie (quelles que soient les attentes des Français…)
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Réforme des institutions et pratique du pouvoir

Des enquêtes d’opinion réalisées par Atlantico ont montré ces derniers mois une double attente des Français, en faveur d’un régime plus autoritaire d’une part et du renforcement du pouvoir confié à des experts non élus d’autre part. Le quinquennat actuel est-il finalement la traduction de cette seconde demande là où Donald Trump serait la réponse à la première outre-Atlantique ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Selon deux sondages IFOP pour Atlantico respectivement publiés en 2015 et 2017, les Français manifestaient une forme d'attrait pour un gouvernement d'experts non élus (approuvé par 67% des Français en 2015 et 55% en 2017) et pour un pouvoir autoritaire (approuvé par 40% des Français en 2015 et 38% en 2017. Dans un contexte actuel, entre la volonté de limiter le nombre d'amendements des groupes parlementaires d'opposition, refus du système du "Spitzenkandidat" permettant un choix des électeurs européens pour désigner le futur président de la Commission européenne, silence du gouvernement sur l'affaire du SelmayrGate qui empoisonne la même Commission, en quoi le macronisme semble de plus en plus répondre au souhait véhiculé par les sondages présentés, vers une forme de gouvernement d'experts de plus en plus détachés de la démocratie ?

 Il convient, pour répondre à votre question, de replacer d’abord les réponses données par les Français dans un contexte plus général, avant d’examiner la pertinence des « solutions » que semblent apporter les éléments récents.

Le contexte général est celui d’une crise de la représentation, en France comme dans de nombreuses démocraties occidentales. Crise de la représentation parlementaire, chargée de faire la loi et donc de fixer des règles à l’ensemble de la communauté, qui apparaît, à tort ou à raison, la question n’étant pas ici tant la réalité des choses que le sentiment de l’opinion publique, à la fois plus préoccupée de son propre intérêt que de l’intérêt général, et incapable de résoudre les crises actuelles. Le même sentiment vaut pour un exécutif jugé lui aussi politiquement inefficace et tout entier engagé dans une politique de communication qui cache mal le fait qu’il se refuse à écouter les demandes de la population.

A LIRE AUSSI - Fatigués de la démocratie !? Le sondage choc sur l’attirance des Français pour un gouvernement technocratique non élu ou autoritaire

Les conséquences de cette crise sont diverses : c’est d’abord, pour ceux qui sont au pouvoir, la sanction des urnes, la vague de « dégagisme » que nous avons connu en 2017. C’est ensuite la volonté de remplacer les sortants par de nouvelles figures qui mêleraient compétence (la demande d’expertocratie) et capacité à faire des choix (celle d’un pouvoir autoritaire), ces figures retrouvant d’ailleurs, dans leur distanciation comme dans leur autorité, une même demande de verticalité du pouvoir.

Surfant sur cette vague, certains ont bien compris qu’il allait leur être possible de se trouver une légitimité. Pour autant, il y a deux différences majeures qui font qu’il s’agit bien d’une utilisation des attentes des populations, et non de leur réalisation : le pouvoir qui se met en place est d’abord plus une technocratie qu’une expertocratie, et sa nouvelle verticalité, ensuite, essentiellement théâtralisée, ne le conduit pas plus que ses prédécesseurs à répondre aux angoisses identitaires des populations occidentales.

Les exemples que vous donnez le montrent bien. Le SelmayrGate, dont on parle finalement peu, est la prise de pouvoir d’un fonctionnaire de l’Union européenne, ancien chef de cabinet d’un président de Commission connu pour ses multiples faiblesses, qui est devenu, à la suite d’une manœuvre confinant au frauduleux, secrétaire général, et qui affirme maintenant crûment que les fonctionnaires représentent « le coeur et l’âme » de la Commission, en lieu et place des commissaires désignés par les États et validés par le Parlement. Si les populations avaient conscience de ce qui se passe, il n’y a aucun doute que, comme le fait d’ailleurs le Parlement, elles réagiraient violemment contre cette dérive.

Quant à la volonté de limiter le nombre d’amendements des groupes parlementaires d’opposition, s’il convient en effet d’éviter de voir ces derniers empêcher une majorité élue de mettre en œuvre son programme, en faussant la procédure parlementaire et en multipliant par exemple de manière abusive le nombre d’amendements déposés, les armes existent déjà dans la procédure législative pour éviter cette dérive. Et là encore il n’est pas certain que nos concitoyens penseraient que l’efficacité législative va de pair avec la diminution du nombre d’amendements proposés par des partis qui, du fait du mode de scrutin, ont un nombre d’élus qui ne correspond pas à leur poids en nombre de suffrages obtenus.

 Le gouvernement et la méthode d’Emmanuel Macron vont dans le sens de cette captation d’un sentiment au profit d’une nouvelle caste. Captation de la demande de verticalité de la part d’un Président-acteur qui, dès son « intronisation » a su en jouer avec brio. Captation de la demande d’expertise, avec la mise en avant des membres du gouvernement qui, effectivement, peuvent se prévaloir de cette qualité, au premier rang desquels Jean-Michel Blanquer. Mais derrière cette posture, ce ne sont pas des experts mais des technocrates qui se sont emparés du pouvoir, notamment dans la garde rapprochée de la présidence. On peut certes être technocrate et avoir une expertise, et la haute administration française a pu grâce à cela maintenir l’État dans des situations difficiles où le politique ne jouait pas son rôle. Mais l’expertise semble faire cruellement défaut à certains jeunes gens doués mais totalement hors-sol, aussi peu sensibles aux contraintes inhérentes au fonctionnement du parlementarisme rationalisé de notre constitution qu’à la compréhension des angoisses des populations.

En quoi cette solution, si celle-ci s'avère être plus "présentable" aux électeurs, ne peut être fondamentalement différenciée, du point de vue de la démocratie, des pouvoirs populistes, ou parfois autoritaires, notamment dans les formes actuelles ?

Il n’est pas évident que cette solution soit plus « présentable » aux électeurs, encore moins si ces derniers se rendent compte de la captation de pouvoir qui est à l’œuvre. Il n’est pas évident non plus que des différences ne puissent être clairement établies.

L’expert dispose auprès de ses concitoyens d’une légitimité due à son savoir, et « l’expertocratie » agit sous contrôle – on confie le pouvoir pour un temps, et dans un domaine précis et limité, à des experts. Au contraire, la technocratie ne doit sa légitimité qu’à ses supposées capacités générales qui lui permettent de passer d’un domaine à un autre et donc de se maintenir au pouvoir.

A LIRE AUSSI - Dynamique et sachant faire preuve d’autorité mais peu rassurant et ne comprenant pas vraiment leurs préoccupations : Emmanuel Macron vu par les Français après TF1

Un pouvoir « populiste » ensuite entend lui, sinon abolir, au moins diminuer la distance existant entre dirigeant et dirigés, mettant en œuvre des éléments de démocratie directe, quand la technocratie les évite soigneusement – à moins que leur judicieuse utilisation, par le pouvoir, et non à la demande des citoyens, ne lui permette de gagner en légitimité lors d’une consultation gagnée d’avance.

Quant aux régimes autoritaires, dits « illibéraux » ou « démocratures » pour reprendre les termes à la mode, ils ont souvent un aspect national, sinon nationaliste, qui n’est pas la caractéristique première d’une technocratie formée à l’école de la mondialisation heureuse.

À bien y regarder, la solution technocratique est donc clairement la moins démocratique notamment puisqu’elle est celle qui conduit le moins à rendre des comptes aux électeurs. Son caractère « présentable » tient donc essentiellement à l’appui des médias… et donc des dirigeants de ces derniers.

Si l'attrait des Français pour de telles expérimentations politiques (un gouvernement d'experts ou un pouvoir autoritaire) peut révéler une réelle angoisse face à la complexité du monde actuel, laissant à un pouvoir fort ou aux experts la charge de gouverner, comment parvenir à réconcilier efficacité face au monde actuel, tout en respectant la démocratie ?

Rappelons ce que nous disions en introduction : si les Français évoquent aujourd’hui la possibilité de gouvernements d’experts non élus ou d’un pouvoir autoritaire, quelle que soit sa forme, c’est à cause de l’incapacité du système actuel à répondre à leurs inquiétudes. Quand les choix qui sont faits sont aberrants, relevant de la pure idéologie, et que le simple bon sens conduit à les remettre en cause, on souhaite légitimement voir se mettre en place un gouvernement d’experts, y compris pourquoi pas non élus. Quand il n’y a plus de décisions prises sur les grands problèmes de l’heure, que le pouvoir légitimement élu cède face aux groupes de pression de toutes sortes, que les minorités dirigent l’État, on souhaite un pouvoir autoritaire qui rappelle chacun aux réalités.

Confrontés à un système bloqué, inefficace voire dangereux, nos concitoyens peuvent en effet sembler aller un peu loin dans leur abandon à de nouveaux pouvoirs. Mais derrière les deux demandes évoquées, de manière peut-être curieuse, il ne s’agit pas tant d’écarter la démocratie que de restaurer cette dernière. Car quand les minorités gouvernent, dans la rue par la violence, ou au sommet de l’État par des choix idéologiques et sectaires, on ne peut parler de bon fonctionnement de la démocratie. Pas plus que lorsque les élus semblent se préoccuper plus de leurs intérêts particuliers que du bien commun.

Pour arriver à combiner démocratie, pouvoir autoritaire – qui n’est pas pouvoir despotique – et/ou expertocratie, la solution réside dans la participation. On prendra l’exemple de la participation en matière de décisions portant sur l’environnement : sont prévus une information en amont, une enquête publique en aval et, en sus, des possibilités de participation, soit consultatives, soit décisionnelles avec des procédures référendaires. Demander son avis au peuple, ou, mieux, lui permettre de le donner de lui-même sur les sujets qui l’inquiètent, voire le laisser choisir après une claire information des fameux experts, seraient ainsi des éléments parfaitement démocratiques, comme le serait tout autant ensuite l’action - y compris « autoritaire » - d’un pouvoir qui mettrait en œuvre ces choix majoritaires. On peut donc parfaitement combiner efficacité et démocratie.

Autant d’éléments, on l’aura compris, qui sont à l’opposé de l’actuelle captation du pouvoir par une classe technocratique dont l’objectif est de se passer de l’avis du peuple, réputé faire des erreurs puisque osant parfois voter dans un sens contraire à celui préconisé.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !