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Pourquoi Emmanuel Macron devra pointer les vrais responsables de la dégradation de la situation au Moyen-Orient à l'occasion de la visite de Benjamin Netanyahu à Paris
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Israël

Emmanuel Macron recevra Benjamin Netanyahu ce mardi 5 juin à Paris, dans un contexte marqué par la question du nucléaire iranien, le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem, et par les événements de Gaza.

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Emmanuel Macron recevra Benjamin Netanyahu ce mardi 5 juin à Paris, dans un contexte marqué par la question du nucléaire iranien, le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem, et par les événements de Gaza. Alors qu'Edouard Philippe devait lancer la saison franco-israélienne à Jérusalem les 31 mai et le 1er juin, le voyage avait été annulé. Quels seront les enjeux de la rencontre entre Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahu ? 

Jean-Sylvestre Mongrenier : Ce qui est en jeu, c’est la paix au Moyen-Orient. L’intervention russo-iranienne en Syrie a largement aggravé la situation et placé la région au bord d’une grande guerre interétatique, amorcée par l’enracinement militaire iranien en Syrie, les actions menées par les Pasdarans (les Gardiens de la Révolution) ainsi que les milices panchiites (Hezbollah et autres) qui leur sont affidées. Leur installation à proximité des frontières israéliennes et leurs agissements provoquent d’inévitables réactions de la part de l’Etat hébreu, légitimes au demeurant. A l’échelle du Moyen-Orient, le front russo-chiite qui s’est abattu, pour le plus grand profit de Téhéran, exaspère la guerre froide sectaire qui oppose l’Iran chiite aux régimes arabo-sunnites de la région. Le contexte d’ensemble, on le comprendra aisément, est des plus pressants.

Dans une telle conjoncture géopolitique, il faut espérer que le Président français ne limitera pas ses propos à de l’équilibrisme verbal et qu’il pointera les vrais responsables de la situation : le régime irano-chiite, ses alliés et ses affidés. Les différendsavec les Etats-Unis sur le sort de l’accord nucléaire iranien ne devraient pas être le prétexte à de fausses symétries entre les protagonistes. Le texte était notoirement insuffisant et les espérances politico-stratégiques sur lesquelles il était fondé – de larges concessions sur le nucléaire contre l’amorce d’un retournement géopolitique de l’Iran –étaient démenties avant même la signature (le 14 juillet 2015). Alors que les négociations n’étaient pas même achevées, le général en chef des Pasdarans se rendait à Moscou afin de préparer l’intervention militaire combinée de l’automne 2015.

Dans ses échanges avec Donald Trump, Emmanuel Macron a prétendu être en mesure de jouer les intermédiaires avec Téhéran et de convaincre les dirigeants iraniens d’ouvrir une négociation sur les missiles balistiques et leur politique régionale (une politique de domination, du golfe Arabo-Persique à la Méditerranée). Ces derniers lui ont aussitôt opposé une fin de non-recevoir et la visite en Iran de Jean-Yves Le Drian, en mars dernier, s’est très mal passée. Dès lors, nous allions au conflit, avec la menace de rétorsions et le rétablissement de sanctions (à moins d’expliquer qu’il s’agissait de simples suggestions sans grande importance!). In fine, la décision de Trump aura été une sorte de raccourci. Et ce sont les intérêts de sécurité de proches alliés et partenaires stratégiques de la France – ceux des régimes arabes sunnites du golfe Arabo-Persique, en plus d’Israël - qui sont en péril. Voilà quels sont les enjeux essentiels, et non pas les hypothétiques profits sur un marché présenté comme mirobolant.

  1. En quoi le contexte actuel du Moyen-Orient peut-il peser sur les relations entre France et Israël ? Des rumeurs entourant le prince saoudien Mohammed ben Salman à la question de l'influence iranienne sur la région, quelle serait la position, entre celle proposée par la France et celle défendue par Israël, ayant la main la plus "forte" ? 

De fait, le contexte régional pèse sur la politique de la France au Moyen-Orient, mais comme indiqué plus haut, cela devrait aller dans le sens d’une plus grande prise en compte des intérêts de sécurité d’Israël et des régimes arabes sunnites de la région. La France devrait-elle au contraire prendre fait et cause pour le régime irano-chiite, présenté comme la victime de l’unilatéralisme américain ? A quelles fins ? Que voulons-nous donc au Moyen-Orient ? Sous-traiter la sécurité de la région à l’Iran qui nous remercierait au moyen de contrats ? C’est un fantasme. Rappelons que la France a des partenariats de défense dans la région, dispose d’une base interarmées aux Emirats arabes unis et qu’elle y déploie des avions de combat, tout comme en Jordanie. Voilà où sont et qui sont ses alliés.

Au vrai, il ne faut certainement pas prêter de telles intentions à la politique française, mais le chef de l’Etat devrait faire preuve de plus de clarté et de vérité dans ses propos, à Paris comme à Saint-Pétersbourg. Ce n’est pas en allant faire des grâces à Poutine, en citant un auteur partisan de l’impérialisme slave afin de prétendre que la Russie est européenne, que l’on persuadera le chef du Kremlin du bien-fondé d’une transition politique en Syrie et de la nécessité de rompre son alliance avec l’Iran (si cela se produit, ce sera en raison de la situation sur le terrain). De même, ce ne sont pas d’aimables propos à l’égard du Guide de la Révolution ou du président iranien (subordonné au premier), ni les références obligées à la grande dramaturgie censée opposer « conservateurs » et « réformateurs » iraniens, qui feront reculer les Pasdarans et leurs affidés.

Les faits sont têtus et la partie qui ferasiennes les analyses les plus adéquates au réel aura la main. Benjamin Netanyahu saura rappeler que les intérêts vitaux d’Israël, à la différence de la France, sont en jeu. Et que « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Par hypothèse, la France accepterait-elle qu’autant de concessions sur le nucléaire soient faites à un Etat, situé en face de ses rives méridionales, déclarant sur tous les tons, avec une grande constance, qu’il entend la détruire ? Accepterait-elle l’idée qu’il ne faudrait pas trop se soucier du programme balistique de cet adversaire, qui l’inscrit dans son champ de tir, ni de ses ambitions dominatrices en Méditerranée occidentale ? Quant aux rumeurs sur la disparition de Mohammed Ben Salmane, qu’en dire sinon que ce sont des rumeurs ? Le cas échéant, une telle perspective aggraverait bien plus encore la situation régionale. On ne voit pas en quoi ce « scénario » irait dans le sens d’une pacification de la région et d’une légitime politique d’apaisement à l’égard de l’Iran. La déstabilisation d’un ou plusieurs régimes arabes sunnites du Golfe accroîtrait les ambitions iraniennes.

Si les divergences ont pu se multiplier au cours de ces dernières semaines, quels seraient les risques de voir la relation se distendre entre les deux pays ? A l'inverse, qu'est-ce que les deux pays peuvent gagner à un rapprochement ? 

En politique étrangère, bien plus qu’en politique intérieure, tout n’est pas dit et je ne suis pas sûr que, dans le fond, les relations entre Paris et Jérusalem se distendent. Les alliances et partenariats entre les grands pays ne sont pas autant de couples qui, sur une piste de danse, se font et se défont au son de l’accordéon. Ce sont des intérêts de sécurité communs et des valeurs partagées qui commandent ces regroupements. Pour sacrifier à une introuvable « politique arabe », la France a parfois occulté les relations étroites qu’elle entretient de longue date avec Israël. De même que sa diplomatie ruse volontiers sur l’axe Est-Ouest - sans remettre véritablement en cause les solidarités géopolitiques occidentales si l’on va au fond des choses -, elle aime aussi ruser sur l’axe Nord-Sud.

Pourtant, la cause palestinienne n’est même plus véritablement défendue par les Etats arabes de l’ancien « front du refus ». Ces derniers se sont d’ailleurs souvent gardés d’intégrer les réfugiés provoqués la guerre lancée contre l’Etat hébreu, en 1948-1949, alors qu’Israël a accueilli les nombreuses minorités juives chassées des pays arabes. Bien sûr, cela n’exclut pas la possibilité d’une solution à deux États, mais c’est une autre question.En un certain sens, la diplomatie française ne doit pas renoncer à ladite solution, car il faut résoudre ce conflit. Il y va de l’avenir même d’Israël (admettons cependant que les bases de cette solution à deux Etats se dérobent). Pourtant, en regard de la situation d’ensemble de la région, placée sous la menace d’une déflagration générale (du fait de l’expansionnisme irano-chiite), le conflit israélo-palestinien est de facto relégué à l’arrière-plan. Et les convergences entre la France et Israël sont bien plus fortes que les divergences.

En dernière analyse, l’expression de « puissance d’équilibre » affectée par les« gaullo-mitterrandistes » n’est jamais que la sublimation des ambiguïtés de la diplomatie française dans son rapport aux alliances et partenariats stratégiques institués. Nous pourrions nommer cela le syndrome Michel Jobert : « la France est ailleurs ». En réalité, la France de l’époque était bel et bien membre de l’OTAN, avait signé les accords Ailleret-Lemnitzer (1967) – afin d’organiser la participation de la France à la défense de l’Europe occidentale en cas d’attaque soviétique-, et son armée de l’air évoluait dans l’espace aérien intégré de l’OTAN. Les marines coopéraient étroitement aussi, notamment dans la poursuite des sous-marins soviétiques. A la même époque, les Etats-Unis aidaient discrètement la France à perfectionner son arsenal nucléaire (cela a été révélé au début des années 1990).Certains voient dans ces faux-semblants, qui persistent, une forme de machiavélisme éclairé. A contrario, il semble qu’une certaine clarté morale s’impose : « Une grande politiquedoit être plus vraie que la vérité ».

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