Pourquoi Emmanuel Macron a 100% raison quand il dit "qu’on n'a pas tout fait pour l’emploi" mais totalement tort lorsqu'il dit que "Mario Draghi a été au bout de ce qu'il pouvait faire"<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron revendique une nouvelle fois son volontarisme, et indique "Je ne suis pas de ceux qui disent qu’on a tout fait pour l’emploi et le marché du travail, c’est faux".
Emmanuel Macron revendique une nouvelle fois son volontarisme, et indique "Je ne suis pas de ceux qui disent qu’on a tout fait pour l’emploi et le marché du travail, c’est faux".
©RTL

Potentiel inexploité

En 1993, François Mitterrand faisait preuve de fatalisme face au chômage en déclarant "contre le chômage, on a tout essayé". 20 ans plus tard, Emmanuel Macron veut relever le défi de l'emploi en se démarquant de son aîné, mais oublie un peu trop vite ce qui reste le remède le plus efficace.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Dans une interview donnée au quotidien Le Monde ce 6 janvier 2016, Emmanuel Macron revendique une nouvelle fois son volontarisme, et indique "Je ne suis pas de ceux qui disent qu’on a tout fait pour l’emploi et le marché du travail, c’est faux". En cette semaine anniversaire, cette déclaration fait figure d’hommage inversé à François Mitterrand, qui, en 1993, affirmait pour sa part que "dans la luttecontre le chômage, on a tout essayé". Bille en tête, Emmanuel Macron poursuit sa logique de rupture avec le parti socialiste d’antan, et cherche une nouvelle fois à créer le décalage, le renouvellement. Les bougies ne seront pas soufflées sur le terrain économique.

Et il est difficile de donner tort au ministre. Car contre le chômage, la France a bien tout essayé, sauf peut-être ce qui marche. Afin de soutenir sa vision, et tout en utilisant un ancrage idéologique qui reste marqué à gauche, le ministre de l’économie plaide en faveur d’un "New Deal" européen, fait  de "réformes profondes" et d'une "politique de relance". En puisant ses racines à la période de la Grande Dépression, et en se raccrochant au programme économique de FD Roosevelt, Emmanuel Macron rompt avec le fatalisme mitterrandien, tout en mettant en avant l’audace économique dont avait fait preuve l’administration américaine au cours des années 30. 

Concernant les mesures proposées par le ministre, le programme est simple. Les réformes, c’est pour la France, et  la politique de relance, c’est pour l’Allemagne. Les pays ayant la capacité de dépenser plus doivent le faire, et les pays n’ayant pas cette possibilité doivent se réformer. Soit une stratégie économique du donnant-donnant ayant pour objectif de permettre un rééquilibrage progressif de la zone euro. En soutenant leur demande intérieure, les "bons élèves" de la classe européenne soutiendront la croissance des autres pays, leur facilitant ainsi la tache dans la voie des réformes.

Pourtant, si cette analyse est une première étape, le ministre de l’économie commet une erreur. Car pour Emmanuel Macron, cette solution du "new deal" se justifie surtout par l’incapacité de la Banque centrale européenne à aller plus loin dans son soutien à l’économie du continent. Il déclare :

"En Europe, nous avons eu une politique monétaire qui a pris tous les risques, avec des taux d'intérêts aujourd'hui négatifs. Mario Draghi a été au bout de ce qu'il pouvait faire".

Ainsi, pour le ministre, la configuration actuelle, faite de taux d'intérêts négatifs, permettrait de conclure que la Banque centrale européenne "a été au bout" de ce qu'elle pouvait faire en terme de politique monétaire expansionniste. Désormais, les moyens manqueraient à l'autorité monétaire pour soutenir l'économie de la zone euro. A partir de ce postulat, le "New deal" ne supporterait aucune alternative.

Pourtant, cette petite musique relative à la situation des taux d'intérêts fait encore écho aux déclarations du Prix Nobel d'économie, Milton Friedman, qui écrivait en 1998 :

je pensais que la vieille erreur d’identifierune politique accommodante avec des taux bas était morte. Apparemment, les vieilles erreurs ne meurent jamais".

Et le Prix Nobel de conclure, de manière totalement contrintuitive :

"Des taux d'intérêts bas sont en général le signe que la politique monétaire a été trop stricte (…) et des taux d'intérêts élevés, que la politique monétaire a été laxiste"

Une analyse que partage également l'ancien Président de la Réserve fédérale des Etats Unis, Ben Bernanke, qui, lors d'un discours tenu en 2004, expliquait :

confondre des taux d’intérêts nominaux avec une politique souple a été la source de problèmes majeurs dans les années 30, et a peut-être aussi été un problème au Japon dans les récentes années."

L'analyse du ministre de l'économie est donc ici très largement contestée, et sa référence à la grande dépression, parfait contre-exemple de son raisonnement, tombe mal.

Parce que la simple observation des taux d'intérêts ne permet pas d'établir le caractère strict ou souple de la politique monétaire européenne, et, au pire, cette analyse devrait même être inversée. En réalité, et Ben Bernanke nous en livre l'examen, d'autres indicateurs offrent une meilleure définition de la situation :

"Finalement, il apparaît que l’on ne puisse évaluer si une économie dispose d’une politique monétaire stable seulement par l'observation d'indicateurs macroéconomiques que sont la croissance du PIB nominal et l’inflation"

Or, concernant le premier indicateur qu'est l'inflation, les résultats ne plaident pas en faveur de diagnostic ministériel. En effet, ce 5 janvier 2016, Eurostat publiait les chiffres de l'inflation en zone euro, soit 0.2% sur la dernière année. Très loin de l'objectif de 2% fixé par la Banque centrale européenne. De ce point de vue, la politique monétaire de la BCE peut être jugée comme étant stricte. Tout n’a donc pas été fait.

Puis, concernant le second indicateur, la croissance du PIB nominal, le constat apparaît comme étant encore plus douloureux :

Evolution du PIB nominal de la zone euro par rapport à sa tendance longue (1995-2008). Source Eurostat

Par rapport à sa tendance de long terme, le PIB nominal de la zone euro s'est écroulé de plus de 20% depuis l'entrée en crise en 2008. La politique monétaire a été verrou, et non un soutien.

Ainsi, selon les deux indicateurs recommandés, la politique monétaire européenne peut être considérée comme étant excessivement rigide, bien trop stricte. Il reste à savoir comment la BCE pourrait aller plus loin. Et ici encore, Milton Friedman offre la réponse, celle-là même que Bernanke a pu appliquer aux Etats Unis au cours des années 2009 à 2014.

"Il n'y a aucune limite à la capacité de la Banque du Japon d'augmenter son offre de monnaie, si celle-ci le souhaite. Une plus forte offre monétaire aura les mêmes effets que toujours. Après une année, l'économie progressera plus rapidement, la production augmentera et après un nouveau délai, l'inflation augmentera modérément".

Ainsi, la politique de taux bas, combinée au plan de relance monétaire européen, ne signe pas la fin des solutions offertes par la politique de la BCE. Celle-ci n'est pas du tout au bout de ce qu'elle peut et doit faire. Elle n'est qu'au milieu du gué. Le plan d'assouplissement quantitatif européen suit la bonne trajectoire pour relancer l'économie de la zone euro, mais celui-ci est encore largement insuffisant pour permettre une réelle amélioration de la situation.

Si Emmanuel Macron puise ses sources dans la période de la Grande Dépression, alors il ne doit pas ignorer ce qui a été la cause fondamentale de l’effondrement des années 30. Une crise monétaire. Et ce, comme la Grande récession de 2008 est une crise monétaire. La BCE est donc loin d’être au bout du chemin.

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