Pourquoi ce que vous croyez savoir de l’état de la France, de l’Europe et de la mondialisation n’a pas grand chose à voir avec ce qu’en révèlent les classements des PIB mondiaux<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Union européenne demeure le premier acteur du commerce mondial et le plus grand exportateur.
L'Union européenne demeure le premier acteur du commerce mondial et le plus grand exportateur.
©Pixabay

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La France devrait connaitre une récession économique de 0,1% en 2013 selon les dernières estimations de l'Insee. Pourtant, la France et l'Europe disposent de nombreux atouts qui font d'elles des puissances économiques encore incontournables.

Robin Rivaton et Jean-Yves Archer

Robin Rivaton et Jean-Yves Archer

Robin Rivaton est consultant en stratégie dans un cabinet américain. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.


Jean-Yves Archer est spécialiste en conseil de haut de bilan. Il dirige le Cabinet Archer et est gérant de Archer 58 Research, une société de recherches économiques fondée en mai 2012.

Né en 1958, il est diplômé de Sciences-Po, de l'E.N.A, promotion de 1985, et est titulaire d'un doctorat en Economie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Pour son site, c'est ici. 

 
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Classement des pays par PIB
Sources : FMI, Journal du Net


Atlantico : Alors que la France devrait connaitre une récession économique de 0,1% en 2013 selon les dernières estimations de l'Insee, la Cour des comptes a tiré la sonnette d'alarme et présenté un plan d’économies de 28 milliards d'euros, un verdict qui, selon Bernard Cazeneuve, le ministre du Budget, "correspond à la réalité de la situation". Pourtant, si l'on regarde les chiffres et classements du FMI, la France reste la 5e puissance mondiale en 2013, et est 20e en matière de PIB par habitant, en hausse de 5% par rapport à 2012. En quoi la France et l'Europe sont-elles encore de grandes puissances incontournables ? Faut-il en finir avec les discours "déclinistes" ?

Jean-Yves Archer : De manière objective, le caractère massif du chômage et la crainte largement répandue du déclassement social sont des faits marquants qui imprègnent lourdement le climat des affaires et une part de la vie quotidienne. De manière tout aussi objective, la situation de la France ne peut conduire à une vision décliniste réductrice et trompeuse. Alain Touraine a depuis longtemps évoqué " Les Trente humiliantes ", le spectre des " Trente piteuses " (Nicolas Baverez) nous semble en revanche excessif. Ainsi, nous sommes 20ème au classement du PIB par habitant (estimation FMI pour 2013) avec 43 000 (per capita) là où l'Allemagne est 19ème avec un montant de 44 010.

En clair, si nous avons un décrochage de compétitivité notamment rappelé par le rapport Gallois à l'automne dernier, nous restons dans les vingt premiers pays de la planète pour le PIB (somme des valeurs ajoutées) réalisé par tête. Au demeurant, l'Europe est en bonne position dans ce classement : Luxembourg (1er), Norvège (2ème), Suède (7ème), Danemark (8ème), Autriche (12 ème), Finlande (13ème), Irlande (14ème), Pays-Bas (15ème), Belgique (16ème). Autant dire que l'Europe demeure un bloc de grandes puissances incontournables aux politiques publiques encore trop fragmentées. Au demeurant, une analyse plus fine (qui consiste à retirer de ce classement deux pays bénéficiant de la rente pétrolière : Emirats Arabes Unis et Qatar) fait ressortir d'autant plus la bonne position de notre Continent. L'Europe cultive donc une résilience plus nette que ne le pensent les déclinologues.

S'agissant de l'intégration européenne, nul ne peut nier que le développement des échanges depuis l'Acte unique de 1992 a contribué à notre croissance, par pays ou pour l'ensemble. Ce bon résultat est parfois masqué par l'irruption d'importations massives de produits venus de pays à bas coûts. Sont alors confondues la croissance positive des échanges internes à la zone avec les questions de dumping à l'import et les délocalisations. Il reste que si l'on fait abstraction du commerce intra-européen, l'Union européenne représente près de 16 % du commerce international en 2010. Elle reste ainsi la première puissance commerciale mondiale, devant les Etats-Unis (14%), la Chine (12%) et le Japon (6%).

Il est de bon ton, en ce moment, de railler des secteurs que la spécialisation internationale attaque de plein fouet (Peugeot), mais il serait hasardeux d'omettre nos champions nationaux : cosmétique (L'Oréal), distribution (Carrefour), assurance (Axa), banque (Bnp Fortis), et autres tels que Suez, L'Air Liquide et Michelin ou Véolia. Etc. Nous sommes face à une profonde mutation de la chaîne de valeur où la plupart de ses groupes réalisent la majorité de leurs profits à l'étranger (" aux quatre coins du monde ") mais demeurent fort heureusement des sociétés européennes toujours à l'affût de croissance externe. Il suffit de voir le dynamisme des banques d'affaires opérant sur notre continent pour nuancer les portraits défaitistes de certains analystes.

Sous un tout autre angle d'idée, le classement IDH (Indice de Développement Humain, source PNUD) de 2013 montre que l'Europe ne décroche pas de la tendance globale mondiale qui reflète une amélioration continue du développement humain. La Norvège, l'Australie et les Etats-Unis sont en tête de ce classement où la France est, là encore, 20ème (IDH de 0,893). Cet indicateur est précieux pour qui veut mesurer le niveau de la santé, de l'éducation, etc d'un pays. Il ne s'agi pas d'énoncer que nous n'avons pas des défis importants face à nous : il s’agit seulement de constater qu'un bilan comporte toujours un actif, donc des atouts.

Robin Rivaton La France occupe une place essentielle dans l'économie mondiale du fait de son histoire. Suite à la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément à partir de la fin des années 1950, notre pays a opéré un redressement économique incroyable dépassant l'ensemble des autres pays développés en terme de croissance du Produit Intérieur Brut. In fine, le niveau actuel du PIB, qui nous place en 5ème position mondiale comme vous le faites justement remarquer, n'est que le fruit d'efforts anciens. Il est une photographie du passé et non pas de l'avenir, ni même du présent. A moyen-terme, cette 5ème place nous la perdrons, dépassés par le Brésil, la Russie voire l'Inde pour les pays émergents et par le Royaume-Uni pour les pays développés.

Si on rapporte le PIB au nombre d'habitants, on obtient une estimation du niveau de vie par habitant. Elle est évidemment tronqué car elle ne reflète qu'une moyenne et n'a donc d'intérêt que pour comparer des pays qui ont une répartition des richesses à peu près similaire. Une fois exclues les pétromonarchies et la myriade d'Etats servant de pavillon fiscal pour des établissements bancaires ou de riches individus, la France se situe aux alentours de la 20ème place mondiale. Nous sommes donc loin d'être un pays pauvre comme se complaisent, trop facilement, à le penser nos compatriotes.

Ce qui est vrai pour la France vaut encore plus pour l'Europe. Du fait de son histoire, l'Europe au sens géographique est la région du monde qui produit le plus de richesse chaque année, représentant plus du quart du PIB mondial en 2012. Cela n'a pas toujours été le cas. Les travaux de Madison pour l'OCDE ont montré qu'en l'an mille, avant le grand décollage européen, l'Europe représentait 11% du PIB mondial, la Chine 23% et l'Inde 28%. Cette puissance se traduit par le rôle que joue l'Union européenne, premier acteur du commerce mondial et plus grand exportateur.

Classement des pays par PIB/habitant
Sources : FMI, Journal du Net



Classement des pays par PIB par habitant en retirant les puissances pétrolières, 
les paradis fiscaux ou les économies basées exclusisement sur la finance

Sources : FMI, Journal du Net

Au delà des chiffres du PIB et du PIB par habitant - souvent pointés du doigt car ils ne reflètent pas la totalité d'une réalité économique - quels autres indicateurs montrent que la France et l'Europe sont des acteurs incontournables et plus compétitifs qu'on ne nous les présente en ce moment ?

Robin Rivaton : Être un acteur incontournable comme l'est la France ou plus généralement l'Europe ne fait pas forcément de vous un acteur compétitif. Vous pouvez être un gros et vieux chêne mourant et inversement une petite pousse extrêmement compétitive. La question est de savoir si on compare un état de lieux – où notre passé représente une fondation solide – ou une dynamique – où nous sommes largement distancés par des pays qui s'ouvrent à la croissance.

Nous avons trop tendance à nous déclasser nous-mêmes car plusieurs indicateurs permettent de prouver que le déclin de l'Europe et de la France est avant tout dans nos têtes.

Nos grands groupes représentent un point d'ancrage formidable et montrent que nous avons su nous adapter à la mondialisation. Les managers français sont recherchés au niveau mondial. Nos infrastructures sont enviées, en témoigne notre classement en terme de qualité des infrastructures : 4ème en 2012, 4ème en 2011, 4ème en 2010, 3ème en 2009, 2ème en 2008 d'après The Global Competitiveness Report du World Economic Forum. L'éducation en fait aussi partie. Notre système éducatif se dégrade mais nous parvenons à maintenir des filières d'excellence : il y a quelques jours un classement du Financial Times classait 6 formations françaises parmi le top 10 des formations en finance alors même que notre pays est un petit pourvoyeur dans ce domaine. Tous ces avantages compétitifs sont le fruit de décennies d'investissement, il faut donc veiller à ne pas les gâcher car le prix se payera dans le futur.

Je crois surtout que le véritable atout de la France dans les prochaines décennies sera son dynamisme démographique qui lui permettra d'être un îlot de jouvence dans une mer de vieillesse. Encore faut-il donner à cette jeunesse des gages, par exemple sur un dossier fort comme celui des retraites, lui montrer que son avenir se conjugue avec la France, sinon, dans un monde ouvert, elle ira tenter sa chance ailleurs.

Jean-Yves Archer : Le Général de Gaulle avec son ton et son vocabulaire inimitables taxait de " pisse-vinaigre " les éternels défaitistes : de fait, la crise a multiplié les ennuis mais elle a aussi fait naître des princes du pessimisme ! Quand verra-t-on, sur France 2, vers 20 heures 15 David Pujadas nous rappeler que Pernod Ricard et Danone innovent plus qu'Apple selon un récent classement du magazine américain Forbes ? Quand verra-t-on un reportage sur les talents des incubateurs, par exemple, de l'Ecole des Mines d'Alès qui sont parfois leaders dans leurs domaines ? Quand lira-t-on sérieusement le total des bilans des entreprises du CAC 40 en constatant le poids croissant des actifs incorporels (marques, licences, know-how) ? De même, qui connait dans le grand public des entreprises comme Faiveley Industries ou Seb ou d'autres qui ont des rangs concurrentiels très affirmés et qui méritent le respect ?

En fait, l'actualité conduit à parler des trains qui arrivent en retard et pas des centaines d'autres qui nous offrent un vrai et beau voyage. De nombreuses entreprises sont fort heureusement viables et modernisées mais rarement mises en exergue. Au plan mondial, selon la hiérarchie calculée par Fortune magazine, le pétrolier Total est 12ème mondial, Axa 15ème et le Crédit Agricole 19ème. Qui a conscience, dans l'opinion, de ce succès collectif ? Là encore, une phrase célèbre de Jean Cocteau trouve à s'appliquer : " Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre image ". Effectivement, bien des études sont trop instantanées et ne reflètent pas une image fidèle au sens comptable de ce terme.Qui sait que le Professeur Etienne Emile Baulieu (né en 1926) vient de démontrer, avec son équipe, un certain nombre de points cruciaux sur l'origine de la maladie d'Alzheimer ? En l'occurrence sur l'impact de la phosphoration de la protéine " tau " et son rôle direct dans la pathogénèse de la dégénérescence cérébrale. Quand on sait qu'Alzheimer et le diabète vont être deux grands fléaux sanitaires du XXIème siècle, notre Nation peut être fière de ce type d'avancées.

Répétons-le, il y a une crainte sur l'avenir qui se dessine pour nos enfants : nous pressentons tous que le monde sera plus dur, que le niveau des exigences sera plus fort. Mais de là à dénigrer les réussites existantes, il y a un pas ! Relisons Albert Camus dans ses " Lettres à un ami allemand " : " Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu'on fait contre le destin qui nous est imposé " et sachons cultiver " l'ardeur " que Jacques Chaban-Delmas a toujours érigé au rang de vertu.

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