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Pour une publication massive des caricatures
©FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Liberté d'expression

La tragédie et l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine ont fait resurgir le débat sur les caricatures publiées et relayées par Charlie Hebdo. Vincent Tournier décrypte les enjeux autour de ce débat.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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C’est donc, une nouvelle fois, l’horreur absolue. On ne s’habitue pas. Chaque attentat nous saisit d’effroi et donne l’impression de franchir un nouveau cap. On voudrait se rassurer en trouvant dans le passé des points de comparaison, histoire de relativiser cette barbarie qui nous assaille. Mais à quel moment dans notre histoire a-t-on vu des dessinateurs se faire assassiner froidement dans leurs locaux, un prêtre se faire égorger dans son Eglise, des gens se faire mitrailler dans une salle de concert ou un bistrot, une foule se faire écrasée par un camion, et maintenant un enseignant être décapité pour avoir présenté des dessins au nom de la liberté ? Cette plongée dans les ténèbres n’aura-t-elle aucune limite ?

Surtout, on s’interroge sur l’étrange passivité qui semble prévaloir dans notre société. Après chaque massacre, que se passe-t-il ? Rien. Ou si peu. Des manifestations certes, des hommages beaucoup, et des condamnations morales plus ou moins convenues. Et puis quoi ? Qu’avons-nous changé en profondeur depuis les attentats de Mohamed Merah et des frères Kouachi ? Après chaque tuerie, on découvre que les imans radicaux et les mosquées fondamentalistes sont toujours là, que sont toujours là également ces milliers de petits soldats de l’islamisme qui relaient et entretiennent les appels à la haine. Et tout ce beau monde continue de faire ses petites affaires, de s’organiser, d’édicter ses fatwas, d’imposer sa loi, de terroriser ici ou là, de tuer à l’occasion, au hasard ou en choisissant ses victimes. Et pendant ce temps, nous regardons ailleurs, obsédés comme nous semblons l’être par la seule question qui mobilise vraiment : comment faire taire Eric Zemmour ?

Quelle (non) mesure sortira cette fois-ci ? Gardons espoir : un projet de loi a été annoncé avant l’assassinat de Samuel Paty. Il devrait porter sur le séparatisme, à moins que ce ne soit la laïcité, on ne sait plus très bien. Sortira-t-il ragaillardi par ce dernier drame, ou au contraire finira-t-il édulcoré pour ne fâcher personne ? De toute façon, ce sera forcément insuffisant car la situation est bien trop grave pour qu’on puisse espérer la traiter par quelques mesurettes relatives à la police des cultes. En réalité, tout est à revoir, depuis la politique migratoire jusqu’à l’éducation en passant par l’accès à la nationalité, le traitement de la délinquance, le rôle des tribunaux et de tous ces organismes qui se complaisent à interdire de protéger la population. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a gaillardement annoncé que 231 individus radicalisés allaient être expulsés, mais on a l’impression qu’il agite un seau d’eau pour éteindre un incendie. Ils doivent bien rigoler, nos voisins polonais, eux qui se font traiter plus bas que terre par nos dirigeants européens au nom de valeurs humanistes, mais qui ont eu la sagesse de fermer leurs portes à ceux qui viennent nous tuer.

Le travail qui vient s’annonce immense et se fera dans la douleur. Sera-t-il d’ailleurs jamais entrepris ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, s’il faut commencer par quelque chose, autant commencer par ce qui est le plus évident, par l’objet même du crime : ces fameuses caricatures du prophète. Qu’on le veuille ou non, ces caricatures sont devenues un symbole. Qu’on les aime ou pas, elles échappent désormais au jugement rationnel pour devenir une cause en soi. Elles constituent une ligne de démarcation entre nous et les autres, elles marquent la frontière entre la civilisation et la barbarie. Il faut choisir : soit on les accepte, soit on est du côté des bourreaux. Si nous cédons ici, quelle sera la prochaine étape face à l'intimidation islamiste ? Faudra-t-il aussi renoncer à parler de l'égalité hommes-femmes, de l'homosexualité, de la Shoah ?

Il faut maintenant que les masques tombent. Pour cela, une seule voie : les caricatures doivent faire l’objet d’une large publication au nom d’un message simple : ici, c’est comme ça. Les caricatures doivent donc s’afficher partout, être placardées partout, ne serait-ce que par solidarité avec les victimes et tous ceux qui luttent contre l'obscurantisme en France et ailleurs. Les médias doivent donner l’exemple : tous les journaux doivent les publier, ce qui leur permettra au passage de se racheter pour avoir laissé en première ligne la rédaction de Charlie Hebdo. Les institutions publiques doivent suivre le mouvement : il leur revient d’afficher ces caricatures partout où elles le peuvent, dans les établissements scolaires, les manuels, les bibliothèques, tous les lieux publics. Les mosquées elles-mêmes ne peuvent plus se contenter d’un entre-deux hypocrite : si elles sont du côté de la France et de la République, elles doivent les accepter. Ce sera certainement difficile pour les musulmans républicains, mais l’heure n’est plus à soigner les petites sensibilités.

La publication des caricatures sera un test : qui le fait, qui ne le fait pas ? Qui les acceptent, qui ne les acceptent pas ? Tel devrait être le point de départ d’une véritable reconquête républicaine. Sinon, on peut aussi se contenter de se retrouver régulièrement pour rendre hommage à nos morts et pleurer à l’infini sur notre triste sort.

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