“Pour un Job act à la française” : quand les préconisations du Nobel d’économie Jean Tirole pour faire baisser le chômage contournent une (bonne) partie du problème <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Tirole
Jean Tirole
©Reuters

Vision tronquée

Dans une tribune publiée le 30 mars, le Prix Nobel d’économie Jean Tirole (parmi d’autres) se fait force de proposition pour lutter contre le chômage en France : selon lui, il faut réformer le marché du travail. Une analyse qui reste partielle.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Dans son édition du 30 mars dernier, le quotidien Les Echos publiait une tribune intitulée "Pour un Jobs Act à la française". Parmi les signataires, entre autres économistes, le désormais célèbre Jean Tirole, Prix Nobel d’économie. Le collectif ne s’attarde pas et pointe la dramatique situation du chômage français "le taux de chômage atteint désormais 10%, sans compter près de 1.5 millions de personnes inactives qui souhaiteraient travailler mais qui ne sont pas comptabilisées comme chômeurs".

De ce constat, le Prix Nobel et ses cosignataires tirent plusieurs conséquences sous la forme de propositions, visant à « renouer avec la croissance et avec un taux de chômage durablement inférieur à 7%". Améliorer en profondeur la formation professionnelle, contribuer à une meilleure efficacité de l’assurance chômage en instaurant un système de bonus-malus pour les entreprises, baisse du coût du travail pour les bas salaires en "recentrant les aides actuelles autour du SMIC", et enfin, en favorisant un système beaucoup plus flexible concernant les licenciements économiques.

En schématisant, le collectif d’économistes propose la mise en place d’un "pack" de mesures pouvant être assimilé  aux fameuses "réformes structurelles". C’est-à-dire qu’elles ont pour objectif de modifier les règles du jeu du marché de l’emploi en France, permettant ainsi de "fluidifier" ce marché souffrant d’un véritable problème de congestion. Ce type de propositions tombe sous le coup de ce qui est régulièrement appelé "la politique de l’offre". Dès lors, en proposant la seule mise en place de ces mesures bien particulières, les signataires établissent un diagnostic clair : le chômage français est la conséquence directe et exclusive d’un problème du côté de l’offre.

S’il n’est pas question de réfuter l’existence d’une forte rigidité, pénalisante, du marché du travail français, il est tout de même opportun de s’interroger sur le caractère exclusif du diagnostic opéré.

Ainsi, il est nécessaire de questionner le constat réalisé par les économistes :

"Le succès économique de la France se mesurera dans les années à venir dans sa capacité à faire passer durablement le chômage sous la barre des 7 %. Cela n'est pas survenu depuis 1982 !"

Et en effet, le chômage de masse frappe la France depuis plus de 30 ans :

Taux de chômage. %. France et France métropolitaine. Données INSEE

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Il convient cependant de remarquer que ce seuil de 7% a été frôlé de très près au premier trimestre 2008; à 7,2%. Un niveau qui a même été dépassé en ce qui concerne la France métropolitaine, avec un taux de 6,8% toujours au cours de ce premier trimestre 2008. Signe que la France ne serait, peut-être, pas éternellement condamnée au chômage de masse. Ce passé proche nous démontre que la baisse du chômage est possible. Et ce, alors même que la France de 2008 ne peut être assimilée à une situation d’un marché de l’emploi « hyper flexible ».

Signe également d’une curiosité. La France a vu son taux de chômage baisser de 3,6 points, passant de 10,8% à 7,2% entre le premier trimestre 1997 et le premier trimestre 2008, et ce, malgré le passage aux 35 heures, malgré une hausse de 43% du SMIC horaire brut sur la période considérée. Il n’est évidemment pas question de soutenir que le passage aux 35 heures et que la hausse du SMIC auraient permis la baisse du chômage, mais de soutenir que cette baisse du chômage a été possible MALGRE ces deux éléments.

De la même façon, la hausse de chômage intervenue entre le premier trimestre 2008 et la fin de l’année 2014 n’a pas été consécutive à la mise en place de nouvelles règles rigidifiant le marché de l’emploi. Il existe donc bien un facteur extérieur à la seule "politique de l’offre" permettant de justifier les variations du taux de chômage. Reste à savoir lequel.

Entre ces deux périodes, entre la baisse et la hausse du chômage ; une différence qui s’appelle la conjoncture économique, ou, plus classiquement "la demande". Afin de déterminer quel a été l’impact de la conjoncture sur le niveau de chômage, et ce, indépendamment de toutes les politiques de l’offre qui ont pu être mises en place au cours des presque 20 dernières années, il suffit de comparer.

Comparer l’évolution du taux de chômage et l’évolution de la croissance. Mais la notion de croissance seule ne suffit pas. En effet, comme cela est régulièrement constaté, la France a besoin d’un minimum de 1.5% de croissance pour faire baisser le taux de chômage. Et puisque la demande est la somme de la croissance et de l’inflation, il suffit de considérer qu’une demande (croissance de 1,5% + inflation correspondante de 1,5%) supérieure à 3% est susceptible de faire baisser le chômage. Et inversement. Plus la variation du taux de chômage est corrélée à cet indicateur de croissance, plus l’approche "demande" sera renforcée dans l’évolution du taux de chômage français. (Par rapport à l’approche "offre")  :

Variation de la croissance nominale sur une base 3% (bleu, échelle de gauche) et variation annuelle du taux de chômage (rouge ; échelle de droite).

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La corrélation paraît importante. Plus la demande accélère, plus le chômage baisse. Il suffit d’inverser une de ces deux variables pour vérifier la validité de la juxtaposition des deux courbes :

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A l’œil nu, la corrélation est évidente. La variation du taux de chômage français est donc principalement la conséquence des variations de la demande, c’est-à-dire de l’action directe de la politique monétaire européenne. En effet, la détermination du niveau de demande relève, en dernier ressort, de l’autorité monétaire, c’est-à-dire de la Banque centrale européenne.

La problématique ici posée est que les reformes "structurelles" proposées par le collectif d’économistes ne suffiront pas à combler le déficit de demande existant depuis 2008. Parce que ce déficit de demande est le principal moteur à l’origine de la hausse du chômage. Un tel déficit ne pourra être comblé que par une politique monétaire bien plus agressive, sur le modèle de qui a été pratiqué aux Etats Unis. Et c’est ce qui a également été le cas en Europe lors de la période pré-2008. Ce qui avait notamment permit les épisodes de baisse du chômage, entre 1997 et 2001, en 2004, ou entre le premier trimestre 2006 et le premier trimestre 2008.

Une baisse efficace et durable du taux de chômage en France, sous la barre des 7%, ne pourra se matérialiser que sous le double effet conjugué d’un large soutien monétaire et de la mise en place des mesures proposées par les économistes signataires de la tribune en question. Le premier permettra d’abattre le chômage conjoncturel, le second de lutter contre le chômage structurel (et donc d’abaisser le seuil du plein emploi, trop élevé en France).

Mais il serait totalement abusif de considérer que le fort taux de chômage que connait la France en cette année 2015 découle exclusivement d’une mauvaise politique de l’offre. Car la dépression qui frappe la demande relève de l’évidence :

Variation de la demande par rapport à sa tendance pré-crise. %. France. Source INSEE

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