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La réforme des retraites sera présentée en janvier prochain par le gouvernement.
La réforme des retraites sera présentée en janvier prochain par le gouvernement.
©AFP

Gains de productivité

Pour restaurer l’équilibre à long terme de notre système de retraites, il est vital de renforcer notre enseignement scientifique, de soutenir la recherche fondamentale et d'encourager les entreprises de haute technologie. La survie de notre modèle social est en jeu.

Charles Beigbeder

Charles Beigbeder

Charles Beigbeder est président de la Fondation du Pont-Neuf. Président de sa holding industrielle et financière, Gravitation SAS, Charles Beigbeder est engagé dans plusieurs mouvements liés à l'entreprise et à la vie de la cité.
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La réforme des retraites est l’un des grands classiques de notre théâtre politique national. Cette mise en scène immuable détourne malheureusement notre attention des puissants mécanismes économiques qui détermineront de manière inéluctable le succès ou l’échec de la réforme à venir. En un mot, ce n’est pas l’éloquence des ministres qui sauvera notre système de retraites, mais la capacité de notre économie à réaliser des gains de productivité. 

Dans son dernier rapport, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) donne à ce sujet des indications peu rassurantes. Les excédents dégagés depuis 2021 (3,2 milliards d’euros cette année, contre un déficit de plus de 13 milliards en 2020) ne sont en effet que provisoires. Le COR prévoit que notre système de retraites ne saurait retrouver l’équilibre avant le milieu des années 2050, et cela à condition que la productivité croisse de 1.6% par an. Cette hypothèse - qui correspond à l’estimation la plus optimiste - paraît aujourd’hui bien audacieuse. Malgré toute l’inventivité dont les experts de Bercy feront preuve pour ajuster les paramètres financiers du système, c’est donc la croissance de la productivité qui décidera de sa pérennité ou de son effondrement. 

Or, parmi les différents facteurs de la croissance du PIB, la productivité est celui sur lequel il est le plus difficile d’agir. Robert Solow est resté célèbre pour avoir observé, dès 1987, que « les ordinateurs sont partout, excepté dans les statistiques de la productivité ». Après l’épisode du confinement, on a pu croire un moment que cette situation paradoxale avait pris fin, grâce à la généralisation du télétravail. Partout dans le monde, ce sursaut productif est retombé dès le moment où la majorité de la population a retrouvé une activité normale. De nombreux analystes en ont conclu que le paradoxe de Solow conserve toute son actualité. 

Plus optimistes, les experts du McKinsey Global Institute défendent, dans une étude de 2021, l’idée selon laquelle les technologies nouvelles se manifestent par vagues successives et que la productivité aux Etats-Unis va augmenter de 2% par an au cours des dix années à venir. Lorsqu’on sait que les gains annuels de productivité ont été en moyenne de 0.5% depuis 2013, ce chiffre paraît fort encourageant. Il s’agit toutefois d’une performance encore assez médiocre, comparée au taux de 2.5% qui avait été atteint à la faveur de la « révolution Internet » des années 2000. Comment expliquer ce résultat décevant, qui se retrouve d’ailleurs dans toutes les économies développées ? 

Tout indique que l’Etat porte une responsabilité non négligeable dans cette contre-performance. Comment expliquer autrement l’étrange concordance entre la baisse de la productivité et l’apparition, dans presque tous les pays de l’OCDE, de déficits publics récurrents à partir des années 1970 ? L’intervention des pouvoirs publics dans l’économie a atteint des sommets lors des trois dernières crises : 7% du PIB en 2001, 12% en 2008 et près de 45% en 2020. Le nombre d’entreprises en défaut de paiement a régulièrement diminué : ce taux, qui était de 20%, lors de la récession de 2001, est tombé à 5% en 2020. Les mesures de soutien à l’économie ont donc fortement ralenti le phénomène de « destruction créatrice » par lequel les agents les plus dynamiques supplantent naturellement les moins productifs. 

Il n’est cependant pas nécessaire de transformer la France en jungle schumpéterienne pour améliorer les performances de notre économie : il nous suffirait de suivre l’exemple de nos principaux partenaires. Une récente note du Conseil d’Analyse Economique (CAE) rappelle ainsi que, depuis vingt ans, notre productivité a progressé moins vite que celle de l’Allemagne ou des États-Unis. Ce différentiel s’observe dans presque tous les secteurs et représente un manque à gagner de 140 milliards d’euros de PIB par an, soit environ 65 milliards de recettes fiscales annuelles. Voilà de quoi couvrir largement les déficits à venir de l’assurance-vieillesse. Paradoxalement, c’est donc de l’éducation et de l’innovation que dépend le sort des retraités. 

Comment faire pour stimuler notre productivité ? Tout d’abord par une nécessaire révision du préjugé selon lequel le déclassement économique de la France serait uniquement dû au faible taux d’emploi d’une main d’œuvre hautement productive. En quelques années, notre situation à cet égard s’est profondément dégradée : la France souffre aujourd’hui d’un décrochage éducatif incontestable. Le CAE estime qu’une hausse de 10 points des compétences en mathématiques conduirait à une hausse de la croissance annuelle par habitant d’environ 0,2 point, permettant de combler en 15 ans la perte de productivité observée depuis le milieu des années 2000.

La situation est certes préoccupante, mais peu éloignée de celle que l’Allemagne a connue en 2000 lors du « choc PISA ». L’enquête de l’OCDE avait alors montré que les compétences des élèves allemands en mathématiques étaient inférieures à la moyenne des 31 pays participants. De tels résultats avaient déclenché une mobilisation nationale. Dès 2009, l’Allemagne affichait une remontée spectacu­laire, démontrant qu’il est possible de réaliser des progrès importants en moins d’une décennie.

En France, ce sursaut devra en outre s’accompagner d’un effort particulier en faveur de la technologie. Les experts du CAE rappellent que la croissance dépend d’un petit nombre d’innovateurs. L’attribution récente du prix Nobel de physique à Alain Aspect, professeur d’optique quantique à Institut d’optique de Paris, prouve que notre pays compte encore un nombre considérable de scientifiques exceptionnels, dont les recherches soutiennent des entreprises hautement innovantes. Frédéric Joliot-Curie fut l’une des grandes figures de cette excellence scientifique : les recherches conduites avec son épouse Irène leur valurent le prix Nobel de chimie en 1935 et aboutirent à la découverte de la fission nucléaire en 1939. En 1945, celui qui fut aussi le fondateur du Commissariat à l’Energie Atomique avait lancé à ses concitoyens cet avertissement solennel : « Si la France ne fait pas l’effort nécessaire pour donner à la science la place qu’elle mérite et à ceux qui la servent le prestige nécessaire à leur influence, elle deviendra tôt ou tard une colonie. » 

Depuis lors, l’urgence n’a fait que croître : ce n’est plus seulement le rayonnement de la France qui est en jeu, mais la survie de son modèle social. Si l’on veut restaurer l’équilibre à long terme de notre système de retraites, il nous faut donc travailler en priorité à renforcer notre enseignement scientifique, à soutenir la recherche fondamentale et à encourager les entreprises de haute technologie. En attendant, malgré l’agréable sentiment de déjà-vu qui s’en dégage, nos vieux débats ne serviront qu’à distraire l’opinion des véritables sujets d’avenir.

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