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Pour nourrir sa population, le Venezuela aurait l’idée de recourir au travail forcé… Le pays est-il au bord de l’implosion ?
©Reuters

1600% d’inflation à venir…

Alors que le Venezuela est confronté à une grave crise alimentaire, le gouvernement de Nicolas Maduro a mis en place une forme de travail forcé : il peut faire appel à n'importe quel citoyen pour travailler dans les champs afin de lutter contre la pénurie de nourriture. Cette décision est révélatrice de la fuite en avant du gouvernement dont les mesures ne font qu'aggraver la crise économique et politique du pays.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : Alors que le Venezuela est confronté à de graves pénuries de nourriture, selon Amnesty International, un décret gouvernemental autoriserait le gouvernement à forcer n'importe quel citoyen à travailler dans les champs afin de lutter contre la crise alimentaire. Une telle mesure n'est-elle pas symptomatique de l'entêtement aveugle du gouvernement vénézuélien face à la grave crise que connait le pays ? Quelles mesures auraient été plus efficaces et pertinentes que l'instauration d'une forme de travail forcé ?

Christopher Dembik : Le gouvernement est dans une fuite en avant et il ne prendra jamais les réformes nécessaires pour redresser l’économie. Son champ d’action se limite à dévaluer la monnaie nationale par étape et à augmenter régulièrement le salaire minimum de plusieurs dizaines de pourcent dans un contexte où l’inflation est à trois chiffres voire plus (en fonction des estimations). On le comprend rapidement, même si le salaire minimum est augmenté de 30%, comme ce fut le cas il y a peu, cela n’a aucun effet positif sur le pouvoir d’achat si l’inflation est à plus de 100%. Il y a une réelle incompétence de la part du gouvernement et ce, à tous les niveaux. A cela se greffe une corruption endémique qui existait avant l’arrivée de Chavez au pouvoir mais qui prend actuellement des proportions sans commune mesure.

En termes de politique économique, il y aurait quelques mesures d’urgence à mettre en œuvre rapidement :

  1. Premièrement, il faut rétablir la confiance des Vénézuéliens dans leur monnaie. Il faudrait procéder à une dévaluation massive puis instaurer un mécanisme de change hybride qui permettrait à la monnaie d’évoluer par rapport à un panier constitué à 70% de dollar US et à 30% de pétrole. Concrètement, la monnaie locale fluctuerait à la fois en fonction du dollar américain mais aussi de l'évolution du prix du baril de pétrole sur les marchés mondiaux. Ce système aurait l'avantage de prendre en compte la forte dépendance de l'économie au cours des matières premières et pourrait permettre de redémarrer le cycle de production et de création de richesse en rassurant les investisseurs étrangers et les entrepreneurs locaux.

  2. Il faut aussi renouer le lien avec les investisseurs étrangers et en particulier les entreprises pétrolières qui ont tout intérêt à long terme à être présente au Venezuela puisque le pays possède les premières réserves prouvées de pétrole. Pour cela, il faudra mettre un terme aux expropriations et faire respecter le droit des contrats. On voit cependant mal comment le gouvernement actuel aurait la crédibilité suffisante pour attirer les investisseurs étrangers.

  3. A long terme, le pays ne pourra pas faire l’économie d’une aide internationale d’urgence ce qui permettra d’avoir accès à des liquidités qui permettront de redémarrer le cycle de production et d’éviter une déstabilisation du secteur bancaire domestique où le taux de prêts non performants est parmi les plus élevés d’Amérique latine.

A quels types de crise le Venezuela est-il confronté ? Le pays est-il sur le point d'"exploser" ? Quel événement ou élément déclencheur pourrait faire basculer le pays ?   

La crise au Venezuela est protéiforme. Il y a bien évidemment une crise alimentaire qui résulte d’une crise économique liée à une mauvaise gestion de la masse monétaire par les autorités et à la baisse du pétrole mais il y a en plus une crise politique qui s’est intensifiée depuis l’élection de Nicolas Maduro à la présidence. Selon le FMI, l’inflation pourrait atteindre 1600% l’an prochain. Il s’agit d’une estimation qu’il faut prendre avec prudence car il est quasiment impossible de récolter des données de terrain. Dans tous les cas, l’inflation est incontrôlable, tout le monde peut s’accorder sur cet aspect. Pour vous donner un exemple de la gravité de la crise : il y a quelques jours, Mc Donald a décidé de suspendre la production du Big Mac dans le pays à cause de la pénurie alimentaire. Le Venezuela est une économie complètement à l’arrêt. Plus rien n’y est produit, à tel point que la banque centrale ne publie presque plus les données statistiques habituelles comme l’inflation, la production industrielle ou encore le PIB. En juin dernier, seulement 243 voitures ont été vendues dans le pays alors qu’il y a en avait à peu près 8000 par mois lorsque le président Nicolas Maduro a été élu en 2013. L’exécutif en place porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle.

Si des élections justes et libres étaient organisées, qui les remporterait ? L'opposition vous semble-t-elle à même de relever le pays ?

Si le référendum révocatoire à l’encontre du président Maduro aboutit, de nouvelles élections pourraient avoir lieu dans les mois à venir. Il semble indéniable que l’opposition, qui a déjà remporté les législatives, soit en mesure de gagner la présidentielle. Il faudra trouver une figure consensuelle pour rassembler toutes les formes d’opposition. Il pourrait s’agir de Leopoldo Lopez, qui est actuellement prisonnier politique et qui bénéficie d’un grand soutien populaire, ou l’actuel président de l’Assemblée Nationale, Henri Ramos Allup, qui est issu du sérail, ce qui pourrait jouer en sa défaveur. L’ancien candidat à la présidentielle, Henrique Capriles Radonski, est encore sur la scène politique mais il ne semble pas en mesure de regrouper l’opposition. Il n’a pas su capitaliser sur son bon score (49,1% des voix obtenues en 2013 face à Maduro) pour devenir une figure incontournable. Dans tous les cas, le nouveau président, qu’il soit issu des rangs des chavistes ou de l’opposition, aura pour tâche principale de conduire le pays au défaut de paiement et de faire appel au FMI pour bénéficier d’une aide internationale qui n’est pas sans rappeler l’ampleur du Plan Marshall. Il devra aussi savoir défendre les intérêts nationaux du pays et ne pas brader des actifs stratégiques, essentiellement dans le domaine pétrolier, en échange de prêts de court terme. Il devra donc avoir ses entrées à Washington. Aujourd’hui, aucun des présidentiables au sein de l’opposition ne semble bénéficier d’un tel soutien américain.

Quels différents types de scénario peut-on envisager politiquement et économiquement pour le pays à moyen terme ? 

Il y a une forte atonie de la part de la population qui passe une grande partie de sa journée dans les files d’attente pour avoir accès à des aliments de base. Par dizaine de milliers, des Vénézuéliens ont franchi la frontière avec la Colombie pour acheter de la nourriture. Une population affamée est bien souvent apathique et ne va pas manifester. En outre, il y a la crainte au sein de l’opposition d’assister à un bain de sang en cas de manifestations massives contre le régime. En 2014, plusieurs manifestants avaient été tués par des militaires et des paramilitaires armés par le gouvernement. Un soulèvement populaire, comme on a pu le voir depuis quelques années dans de nombreux pays, ne me parait pas être le scénario le plus crédible.

De même, une transition politique pacifique parait difficile à imaginer aujourd’hui. Le référendum révocatoire pourrait être bloqué par le Conseil National Electoral, où siègent des partisans du régime, et, même dans le cas où il serait validé et ouvrirait la porte à de nouvelles élections, plusieurs membres influents du gouvernement ont laissé entendre que celles-ci n’auraient pas lieu. Il y a un net durcissement du régime, on peut même parler de militarisation croissante du gouvernement vénézuélien qui n’est pas sans rappeler les dernières heures de l’Union Soviétique. Un régime complètement aux abois.

Dans l’immédiat, le plus probable selon moi est un pourrissement de la situation qui peut perdurer encore pendant plusieurs mois. Une nouvelle aide financière de la Chine offrirait un nouveau répit au président Maduro, comme ce fut le cas l’an dernier. En fait, sur la scène politique vénézuélienne, ceux qui tiennent vraiment les rênes, ce sont les Chinois qui tiennent à bout de bras le régime depuis 2010, par le biais de prêts qui transitent via le fonds Chine-Venezuela, qui est officiellement un outil d’investissement de Pékin dans le pays mais qui, dans les faits, contribue à une forte corruption.

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