Pour le maire de Londres, l'obsession pour la disparition des inégalités est à la fois illusoire et néfaste… Le thatchérisme va-t-il renaître de ses cendres avec l'étoile montante des conservateurs ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Boris Johnson, le maire conservateur de Londres.
Boris Johnson, le maire conservateur de Londres.
©Reuters

I'm back !

Lors d'un débat politique animé par un think-tank, le très original maire de Londres s'est lancé dans une diatribe ultra-libérale sur la dimension illusoire de la lutte contre les inégalités qui n'est pas sans rappeler la rhétorique de la "Dame de Fer".

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Alors qu'en période de crise le débat sur la gestion des inégalités économiques bat son plein, nos amis britanniques pourront, comme à leurs habitudes, se vanter de ne rien faire comme tout le monde. Là ou de nombreuses voix, du Pape aux magnats de la finance new-yorkaise, se sont ainsi inquiétées du niveau croissant des écarts de revenus dans les pays développés, il apparaît qu'outre-Manche la question n'est pas prête de faire pleurer certains responsables politiques.

Ainsi, le 27 novembre dernier, le maire conservateur de Londres, Boris Johnson, a pu rappeler dans un débat accueilli par le très libéral think tank "Center for Policy Studies" que les inégalités étaient selon lui une conséquence certes regrettable mais aussi incontournable de l'économie de marché, seul modèle existant dans le cadre actuel de mondialisation économique. Le style est particulier mais l'intention est claire :

"Allo ! Marx est mort, le communisme est mort, le socialisme est mort, la clause 4 (article pro-nationalisation de la Constitution travailliste révisé en 1994) est morte et elle ne reviendra pas. Que cela vous fasse plaisir ou non, l'économie de marché est la seule qui tienne encore boutique. La Grande-Bretagne doit donc faire face à une compétition fulgurante et globalisée, et cette compétition devient de plus en plus rude."

Visiblement inspiré, M. Johnson évoque ensuite la capacité d'accentuation du système économique actuel sur ce qu'il baptise à cette occasion "les inégalités naturelles", le tout en usant d'une métaphore... "céréalière"

"Quel que soit le crédit que vous accordez aux test de QI, il n'est pas inintéressant de préciser que 16% des êtres humains ont un QI en dessous de 85 tandis que seulement 2% d'entre eux dépassent les 130. Plus vous secouez le paquet fort, plus il y a de chances que certains céréales se retrouvent tout en haut."

Fort de cet argument, il affirme ensuite sans sourciller :

"Je ne crois pas que l'égalitarisme économique soit possible. Il est à mon avis certain qu'une dose d'inégalité est essentielle pour entretenir une certaine envie qui est, tout comme l'avarice, une impulsion vertueuse pour l'activité économique"

Si ces propos peuvent étonner de ce côté de La Manche, il est nécessaire de rappeler que le maire de Londres, qui ne cache pas ses ambitions gouvernementales, possède une forte assise populaire, y compris chez les moins favorisés. Un fait qui laisse penser qu'un certain "tatchérisme décomplexé" est en train de faire son retour au pays d'Oscar Wilde.

Atlantico : Derrière cette rhétorique, on semble retrouver la logique décomplexée de Madame Thatcher sur les inégalités, thème de prédilection des ultra-libéraux. Peut-on dire en conséquence que M. Johnson est en train de ressusciter l'idéologie de la "Dame de Fer" au Royaume-Uni ?

Pierre-François Gouiffès : Lors d’une conférence le 28 novembre dernier au CPS, thinktank ayant eu un rôle décisif dans le démarrage de l’aventure thatchérienne, Boris Johnson a effectivement affirmé le caractère inéluctable et même souhaitable de l’inégalité économique entre des hommes dont Johnson a rappelé qu’ils avaient des QI très différents (16% en dessous de 85 et 2% au-dessus de 130 selon lui). A partir de ces propos de philosophie politique qui font un peu « faits à la maison », on retrouve une certaine filiation avec la philosophie hayékienne d’une Margaret Thatcher dont l’une des phrases les plus célèbres était « there is no such thing as society », à savoir « la société, çà n’existe pas », donc que seul l’individu et sa liberté comptent.

Dans une étrange métaphore, M. Johnson a tenté d'expliquer que la société fonctionnait comme une "boîte de corn flakes". "Plus vous secouez la boîte, plus vous avez de chances que certains céréales se retrouvent tout en haut". Cette déclaration, choquante pour un français puisqu'elle sous-entend que "ceux du bas" n'amélioreront pas leurs conditions, est-elle si étonnante dans le monde anglo-saxon d'aujourd'hui ?

Boris Johnson a en effet aimablement comparé les êtres humains à des cornflakes enfermés dans une boite secouée où il ne resterait à la fin plus beaucoup en haut de la boite après "secouage". Il est probable qu’il s’agisse d’effets médiatiques bien préparés visant à maximiser les UBM, unité de bruit médiatiques. A court terme, cela semble avoir également déclenché un « Boris bashing » : le Premier ministre conservateur David Cameron (en situation de concurrence de fête avec le phénomène Johnson) et Nick Clegg, son vice Premier ministre social-démocrate se sont rapidement démarqués d’un Johnson certes iconoclaste mais toujours très populaire.

On imagine la volée de bois vert que de tels propos provoqueraient en France dans un pays durablement passionné par l’égalité et la thématique de la justice dans de nombreux domaines, principalement l’égalité de revenus et de patrimoine. Les propos me font par ailleurs un peu penser aux « minutes de cerveau disponible » de l’ancien PDG de TF1 Patrick Le Lay…

La situation du Royaume-Uni n'est plus la même que dans les années 1980. Quel écho ce type de déclarations peut-elle rencontrer aujourd'hui en période de crise ?

Le Royaume-Uni est certes très différent aujourd’hui de ce qu’il était dans les années 1980. Mais plusieurs éléments de l’héritage thatchérien demeurent, principalement un recentrage à droite de l’ensemble du centre de gravité britannique. L’avenir dira si les propos de Boris Johnson fleurant bon le darwinisme social (alors que Cameron met en avant l’égalité des chances) sont positifs pour son image décalée ou s’ils constituent un vrai faux pas.

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