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Portrait-robot de ce que serait l’opposition à Emmanuel Macron la plus efficace d’ici 2022
©LUDOVIC MARIN / AFP

Futurs scrutins

A quelques mois des municipales, aucun parti politique n'est en mesure de réellement rassembler les Français. Quel serait le portrait-robot du parti politique idéal qui serait capable de véritablement fédérer la population d'ici l'élection présidentielle de 2022 ?

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : Aujourd'hui aucun parti politique, ni même celui au pouvoir, ne parvient à rassembler les Français. Ainsi, si l'on regarde non pas du côté des partis en eux-mêmes, mais plutôt du côté des électeurs, à quoi pourrait ressembler le portrait-robot du parti politique idéal capable de fédérer la population d'ici 2022 ?

Chloé Morin : Si l’on observe ce qui se passe depuis près d’une décennie dans les différentes démocraties occidentales, et plus encore depuis 2016 - Brexit, élection de Trump, coalition populiste portée au pouvoir en 2018 en Italie, élection d’un homme politique « hors du sérail » en France en 2017… -, une des dynamiques les plus fortes qui anime le paysage politique est le rejet des élites, le sentiment que le « système » ne fonctionne pas et privilégie un petit nombre de personnes au détriment des « classes moyennes ». Jean-Luc Mélenchon a résumé ce climat politique par l’expression « dégagisme », mais elle recouvre une réalité concrète : 70% des citoyens qu’IPSOS a interrogés dans une trentaine de pays estiment que « l’économie est un système biaisé qui favorise les riches et les puissants » , 66% pensent que les partis et les politiques dits « traditionnels » ne se préoccupent pas des gens comme eux, et 54% ont le sentiment que leur société est « cassée », fragmentée, divisée. Ce n’est pas un hasard si une grande partie du débat en 2017, lors de la présidentielle, a porté sur la politique, les institutions, et comment moraliser et réformer un système décisionnel perçu comme déficient, plutôt que sur les politiques publiques et les propositions des différents candidats… si bien qu’aujourd’hui, on refait le débat sur les retraites, par exemple, ou sur d’autres propositions qui figuraient au programme d’Emmanuel Macron, mais qui n’ont peut être pas été assez amplement expliquées, examinées et débattues à l’époque.

De ce point de vue, la caractéristique principale d’un « entrepreneur politique » - comme le dirait mon collègue Clifford Young aux Etats-unis, expression qui souligne bien le caractère opportuniste et désidéologisé de l’entreprise politique - susceptible de remporter des élections, serait d’être « hors » ou « anti » système. C’est même la caractéristique principale d’un leader potentiel car sur les sujets de fond, la société se trouve traversée par de multiples clivages - sur l’identité et l’immigration, sur l’économie, etc- , qui expliquent qu’aucun parti ne parvient actuellement, sur la base de leurs seuls logiciels, à rassembler plus de 20% de l’électorat…

Qu’entend-t-on par « hors système » : cela varie selon les pays et les cultures. Le style de Trump, ou dans une moindre mesure de Boris Johnson - ces provocations ou ces pitreries qui les caractérisent -, suffit à les inscrire hors du sérail, alors que par ailleurs l’un est un milliardaire héritier et l’autre un produit de l’élite britannique, qui a fait Eton, dont le père est un économiste reconnu et les frères et soeurs appartiennent à l’intelligentsia. De même pour Beppe Grillo, qui vient du monde du spectacle, et avait érigé l’absence d’expérience politique en vertu absolue. Mais ici, en France, nous n’avons à ce jour pas de figure de ce type. Jusqu’ici, l’on se distingue davantage par la radicalité des propositions - à la manière d’une Le Pen avec la sortie de l’euro ou d’un Mélenchon avec un programme très à gauche - que par la manière de les défendre. Au contraire, il est frappant de remarquer à quel point Marine Le Pen cherche depuis des années à se respectabiliser, à l’inverse de ce qu’aurait fait un Trump. Se provocations sont mesurées, calculées pour ne pas « effrayer » et réactiver le souvenir d’une extrême droite à la sauce Le Pen père. De la même manière, c’est par un dérapage qui relève essentiellement du style - « Je suis la république! » lors des perquisitions de son bureau - que Mélenchon a perdu beaucoup de crédit politique.

Donc le personnage « hors système » peut l’être par son style, son vocabulaire, sa manière de briser des tabous culturels et politiques, ou bien par la radicalité réelle ou supposée de ses propositions sur certains thèmes choisis.

Au delà de cette caractéristique, il est difficile d’identifier des thèmes fédérateurs, en France comme ailleurs. Certaines réformes populaires au moment de l’élection peuvent devenir très impopulaires lorsqu’elles entrent dans le concret, soit du fait de l’épuisement rapide de la popularité de ceux qui les portent, soit parce qu’il existe souvent un écart important entre le principe et son application - la réforme des retraites est en train de le démontrer. Je pense, par conséquent, qu’au delà de surfer sur le dégagisme pour élargir son socle au maximum, un candidat doit être ancré dans un socle électoral précis, solide, et cohérent. C’est la condition incontournable pour passer la barre des 20-25% nécessaires pour accéder au second tour dans la configuration actuelle, c’est à dire un politique extrêmement fragmenté…. C’est sans doute pour avoir voulu plaire à trop de monde que Alain Juppé a échoué, alors qu’il fédérait une large partie de la population.

Si Emmanuel Macron souhaitait mettre fin au clivage gauche/droite avec LaREM, qu'en est-il aujourd'hui ? Les Français sont-ils toujours favorables à la fin de ce clivage ou autre seraient-ils plus enclins à soutenir un parti à l'idéologie plus définie ?

Aujourd’hui, le paysage politique et polyfracturé. Les clivages d’hier se sont affaiblis, de nouveaux clivages, qui étaient en gestation depuis longtemps, sont apparus, mais les uns n’ont pas supplanté totalement les autres. En réalité, c’est l’agenda politique du moment qui fait passer les uns ou les autres au premier plan. Le clivage social et économique est aujourd’hui au premier plan en raison du débat sur les retraites, mais il n’y a pas si longtemps c’était le rapport au monde et à l’identité, à travers le débat sur l’immigration…

De fait, un grand nombre de français nous dit à longueur d’enquêtes que le clivage gauche droite est dépassé. Cependant, lorsqu’il s’agit de se positionner sur des valeurs ou des questions structurantes du débat public, on remarque qu’ils savent se positionner et que de vrais clivages entre groupes se forment. Sur les questions économiques, par exemple, c’est entre un groupe LREM/LR plutôt libéral et le reste de la population, en attente de protection étatique, de régulation de la mondialisation et de sécurisation économique, que passe le clivage. Sur l’immigration en revanche, on constate que LREM est plus proche du PS ou des Verts, plus ouverts, alors que la droite LR est très proche des positions du RN. De fait, la carte du paysage politique est assez complexe, et cette complexité n’est évidemment pas due à Emmanuel Macron - il a simplement su mieux que les autres en prendre acte et l’exploiter…

Quelle que soit l’idéologie d’un candidat, il me semble que deux éléments majeurs paient aujourd’hui : la cohérence et la constance dans les expressions et le positionnement, car ils sont gages d’authenticité dans un paysage où chaque politique est soupçonné d’être calculateur et carriériste… Il vaut mieux avoir soutenu les mêmes positions impopulaires toute sa vie, à la manière d’un Corbyn, que zigzaguer… Evidemment, Trump et Johnson sont deux exceptions notables à la règle, mais étant donné qu’ils ont tout misé sur le style et non sur le logiciel idéologique, ils ont su créer de l’adhésion à leur personne et à leur style, donc les revirements idéologiques ne les pénalisent pas.

Qui pourrait incarner ce parti idéal ? S'agirait-il d'un politicien de "carrière" ou plutôt d'une personnalité extérieure au monde de la politique ?

De fait, un politicien « de carrière » semble partir avec un handicap majeur. Mais n’oublions pas que Johnson était un parfait produit de l’élite politique conservatrice, et il a su se distinguer par son positionnement pro-Brexit puis par son style et sa capacité à s’affranchir des conventions… Donc à mon sens, il est possible de se distinguer sans pour autant venir nécessairement du champ de la « société civile » où nous allons chercher du sang neuf depuis des décennies, rarement avec un succès durable…

A mon avis, le pari le plus sûr que nous pourrions faire à ce stade est que le candidat idéal aura les qualités qui correspondent en miroir aux défauts et reproches adressés au Président actuel, de la même manière que Hollande avait pris en tout point le contrepied de Sarkozy…

Donc ce candidat sera sans doute « ancré » dans un territoire, aura subit les épreuves de la vie « réelle », électorale ou en entreprise. Il sera sans doute moins volontaire, flamboyant, intellectuel, et plus réfléchi, humble sans doute, rond… plus social aussi, plus hostile à la mondialisation et au libéralisme économique, également. L’on pourrait continuer ainsi ce portrait chinois pendant longtemps, mais je crois que vous avez saisi l’idée!

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