De Maigret à Polisse : flic de cinéma, un métier qui désormais fleure bon la crise<!-- --> | Atlantico.fr
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Prix du Jury au Festival de Cannes, le film "Polisse" de Maïwenn sort ce mercredi.
Prix du Jury au Festival de Cannes, le film "Polisse" de Maïwenn sort ce mercredi.
©© Mars Distribution

(In)corruptibles

Prix du Jury au Festival de Cannes, le film "Polisse" de Maïwenn sort ce mercredi. Les personnages principaux sont des policiers très éloignés des clichés habituels, comme nous l'explique le cinéaste Jean-Pierre Mocky...

Jean-Pierre Mocky

Jean-Pierre Mocky

Réalisateur, acteur, producteur et scénariste. 

Artisan et ardent défenseur du cinéma populaire.

 

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Atlantico : La sortie de Polisse, le film sur les brigades de protection des mineurs, confirme l’évolution du personnage du « flic » au cinéma. Où en est cette image ?

Jean-Pierre Mocky : J’ai vu le film de Maïwenn. C’est un bon film qui raconte l’histoire d’une brigade que personne ne connaît, celle qui s’occupe des crimes sexuels sur les enfants. Son histoire a été assez obturée pendant longtemps, puisqu’il n’y a pas eu de film véritablement sur ça. La première qualité du film est donc d’avoir parlé de cette brigade.

Quant aux personnages de flics, ils ont évolué depuis les premiers films de Gabin, ou Maigret… parce qu’aujourd’hui les flics n’ont plus d’imperméable, ils ne sont pas reconnaissables comme ils l’étaient à l’époque. On les voyait à 100 lieues. Aujourd’hui ils n’ont pas de costume particulier, ils peuvent être en baskets et blue-jeans, afin de pouvoir s’infiltrer dans les lieux où ils doivent travailler. Finalement il y a eu déjà cette modification : sur le plan vestimentaire ce ne sont pas les mêmes personnages.

D’autre part ils sont devant la misère, les histoires de pédophilie… Les policiers sont devenus plus humains, plus proches du public. Ils sont moins militarisés.

Du « superflic » héroïque à l’anti-héros policier, en quelque sorte ?

Oui, ce sont des gens de tous les jours, on a même l’impression que cette brigade, ce sont des étudiants, des enseignants : la corporation policière se voit moins sous cette banalité, par rapport à la façon dont on les représentait avant. Mais même avant Maïwenn, depuis un certain temps, même moi dans mes films je ne montre plus les policiers comme ils étaient il y a 20 ou 30 ans.

Néanmoins, n’est-ce-pas utile d’idéaliser un peu ces représentants des forces de l’ordre à l’écran ?

Oui, mais malheureusement aujourd’hui, on est dans un cycle de corruption, la corruption existe partout. Il y a énormément de corrompus. Donc le côté policiers intransigeants, sans tâche, personne n’y croit… Encore plus avec l’histoire de Lyon récemment !

Le policier était,  il y a quelques temps, considéré comme un incorruptible. Prenez par exemple les films américains avec Eliot Ness, le chef des Incorruptibles, cette brigade d’exception qui luttait contre tous les trafics de la mafia. Ces gens méritaient leur nom. Une série télévisée a retracé et romancée leur histoire dans les années 1960, le film à succès de Brian de Palma l’a porté à l’écran en 1987… Aujourd’hui, avec ce que nous pouvons lire dans la presse, surtout ces derniers jours, on s’aperçoit que la police est tout à fait corruptible. Tout comme en politique il n’y a pas une frontière « je suis en politique, je suis incorruptible ».

Cette évolution de l’image du policier suit donc, selon vous, les changements de la société ?

Oui, c’est en fonction de la société. Actuellement un réalisateur mettant en scène un policier incorruptible serait ridicule. Les policiers intègres existent, mais on ne peut dire ça de la corporation policière dans son ensemble. On ne peut pas dire « les policiers sont des citoyens extraordinaires et incorruptibles ». Ce n’est plus vrai : entre-temps le pouvoir d’achat est passé… Les policiers sont très mal payés, le montant de leur solde doit à peine dépasser le SMIC à mon avis, et ils ont des « indics », des possibilités de soustraire de la drogue quand ils en saisissent, de fermer les yeux sur le racolage dans la prostitution, les hôtels bizarres comme le Carlton, cité en ce moment à Lille. Donc le pouvoir d’achat n’étant pas suffisant dans ces professions, le corollaire est qu’ils deviennent finalement corruptibles à cause de leur pouvoir d’achat. Ils compensent le maigre salaire qu’ils ont par des combines. Alors un gardien de la paix sera difficilement corrompu, il n’en a pas l’occasion !

Mais les gens qui sont responsables dans des services gérant des affaires importantes, telles la drogue, la prostitution, les maisons de jeux…, ceux-là sont tentés. Ils ont la possibilité d’intervenir et de se faire acheter. Un sergent de ville qui fait la circulation ne peut rien faire, lui ! Il est automatiquement honnête, parce que n’ayant pas de possibilité de détourner quelque chose.

Donc au cinéma, le super héros ne peut plus être un « superflic » ?

Je ne crois pas, à part dans des films rétroS comme James Bond ou Maigret, où l’on prend la personnalité de l’époque et non celle d’aujourd’hui. Pas un seul film ou livre actuels ont un policier blanc comme neige en personnage principal. Ils font plus la part belle aux Ripoux, comme le film éponyme (ils existaient déjà en 1984 !), et se sont puissamment développés.

La petite brigade qu’a mise en scène Maïwenn, ce sont presque des prêtres, dans le bon sens du terme. Ils sont tellement proches d’une certaine misère, tous les dossiers qu’ils ont sont atroces, alors ils ne peuvent pas être corrompus parce qu’ils s’occupent d’enfants, de femmes battues… Ils restent dignes et quotidiens, ce qui fait la qualité de ce film. Le spectateur est devant des hommes qui pourraient ne pas être policiers mais de l’Armée du salut. Ils pourraient s’occuper de SDF. Cette partie de la police est déjà limitée.

Quel est l’intérêt de montrer au cinéma des protagonistes ordinaires, dans un quotidien ordinaire, avec leur lot de problèmes courants (divorces, angoisses, problèmes de couple…) ?

Mais cela fait partie de la mythologie du cinéma ! On doit montrer des personnages humains. C’est une autre forme de présenter la police, elle aurait pu montrer des ripoux, ce n’est pas ce qu’elle a voulu faire.

Peut-être que le spectateur a besoin de rêver un peu, de voir des personnages le sortir de son quotidien…Mais il n’y croirait pas. Surtout pour la police.

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