PMA : pourquoi la légalisation d’une technique qui efface le père et la lignée paternelle n’est probablement pas compatible avec la Convention internationale des droits de l’enfant<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
PMA : pourquoi la légalisation d’une technique qui efface le père et la lignée paternelle n’est probablement pas compatible avec la Convention internationale des droits de l’enfant
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Entretien

Les états généraux de la bioéthique se poursuivent jusqu'en avril. L'occasion d'évoquer ce sujet sensible.

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
Voir la bio »

Alors que se tiennent en France les états généraux de la bioéthique au cours desquels est discutée la question de l'ouverture à toutes de la PMA, votre livre pose la question : "Jusqu'où voulons-nous aller ?" Au-delà de l'aspect très important de la défense de la paternité ou de l'enfance, pourquoi la PMA risque-t-elle de mettre en danger notre société ? Qu'est-ce qui fait que, comme vous l'affirmez "nos enfants viendront nous demander des comptes ?"

Aude Mirkovic :  Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste du droit pour comprendre qu’une loi qui organise la conception d’enfants d’une manière qui les prive de père est injuste. Plus précisément, dans une perspective juridique, ce projet de PMA pour les femmes célibataires et les couples de femmes est contraire aux droits de l’enfant proclamés par la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce texte proclame en effet le droit pour tout enfant, dans la mesure du possible, de connaitre ses parents et d’être élevé par eux : la légalisation d’une technique qui efface le père et la lignée paternelle ne peut pas être jugée compatible avec ce droit. Il est possible, malheureusement, que les droits des uns ou des autres soient méconnus dans l’indifférence plus ou moins généralisée. L’histoire l’a montré à de nombreuses reprises, et nous jugeons cela sévèrement : comment la société a-t-elle pu tolérer ces injustices ? Ignorer les droits d’autrui, c’est donc possible, mais cela n’a qu’un temps : il y a toujours un moment où la justice repend ses droits, en général lorsque les victimes bénéficient de nouvelles circonstances qui leur permettent de s’exprimer et de se plaindre. 

En l’occurrence, les enfants qui seraient privés de père par la loi, -je dis bien par la loi, je ne parle pas des malheurs et aléas de la vie-, demanderont des comptes le moment venu, concrètement lorsqu’ils auront la possibilité de s’exprimer et de se défendre. On le voit déjà avec les enfants issus du don de gamètes : en 1994, la loi a permis le recours à des gamètes extérieurs au couple, en voulant croire que cela n’aurait aucune importance pour les enfants puisque ces derniers seraient désirés et aimés. Devenus adultes, les premiers enfants issus de dons, qui ont en effet été désirés et aimés, expliquent que ce n’est pas si simple, et certains d’entre eux attaquent l’Etat français qui a organisé leur conception d’une manière qui les prive de leur origine paternelle. La plupart de ceux qui s’expriment précisent bien qu’ils ne cherchent pas un père, car ils ont déjà un père : leur père légal, celui qui les a élevés. Tant mieux pour eux, mais ceux qui naîtront de l’insémination de femmes célibataires ou en couples de femmes, précisément, n’auront pas de père. Ils ne pourront pas dire « un père, j’en ai déjà un ». Ils demanderont des comptes de cet effacement de leur branche paternelle. Mais nul besoin d’en arriver là : la société française peut encore réaliser que priver légalement des enfants de père est injuste, et renoncer au projet de légaliser la PMA sans père. 

Les Français, selon vous, ne seraient pas si favorables que cela à la légalisation de la PMA s'ils connaissaient tous les aspects que cela implique. Ils étaient 60% selon un sondage publié dans l'Obs il y a deux semaines à se dire pour. Qu'est-ce qui explique ce décalage selon vous ?

Les questions dans les sondages sont systématiquement posées sous un seul angle, celui du désir d’enfant des femmes : êtes-vous favorable à ce qu’on accorde le droit aux femmes de recourir en France à la PMA pour avoir un enfant ? Mais qui est à priori contre le fait qu’un droit soit accordé à quelqu’un ? Il faut avoir déjà pas mal réfléchi pour réaliser, en répondant à cette question, ce qu’elle signifie réellement, à savoir : la conception légale d’enfants privés de la branche paternelle de leur filiation, l’implosion du système bioéthique français puisque la rémunération des gamètes serait le seul moyen de réaliser ces PMA (et si on rémunère les gamètes, pourquoi pas les organes ?), des risques accrus de consanguinité entre les enfants, le passage à la PMA généralisée puisqu’il ne serait plus nécessaire de souffrir d’infertilité pour avoir accès à la technique, etc. Par conséquent, si la PMA pour les femmes était présentée aux gens dans tous ses aspects, les réponses seraient très différentes. D’ailleurs, le sondage de l’Obs révèle que la grande majorité des Français refuse la marchandisation du corps (la gratuité reste un impératif pour 87% des Français) comme le droit à l’enfant : si les gens réalisent que la PMA pour les femmes suppose la rémunération des produits du corps et, surtout, que cette PMA signifient la méconnaissance des droits de l’enfant, la tendance sera certainement largement inversée. En tout état de cause, le rôle du législateur est d’assurer le respect des droits de tous, et le respect des droits de l’enfant n’est pas soumis aux aléas des sondages : c’est un engagement juridique international contraignant, et la France s’est engagée sur ce point. 

La PMA est de fait tolérée en France ("le mal est fait", dites-vous depuis l'avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014), car rien ne peut empêcher un couple d'aller faire une PMA à l'étranger. Quelle dimension prend votre combat contre la PMA, si dès le départ il avoue commencer par une défaite ?

Lorsque je dis « le mal est fait », c’est pour dénoncer l’attitude passive des juges et du législateur lorsqu’ils constatent précisément que « le mal est fait ». Un mal fait demeure un mal et, lorsqu’un mal est constaté, il convient d’y porter remède : engager la responsabilité des auteurs de ce mal, et améliorer la loi si besoin pour éviter que ce mal ne se reproduise. Au contraire, je constate que, une fois que le mal est fait, les juges ferment les yeux : cet enfant a été privé délibérément de père pour être rendu adoptable ? Bon, étant donné que le mal est fait, accordons l’adoption demandée. Il pourrait en aller du même du législateur : des femmes vont en Belgique ou en Espagne pour avoir des enfants sans père ? Bon, si cela se fait, autant le légaliser…

Or, dès lors que priver un enfant de père, délibérément, réalise une injustice à son égard, le fait que cela se pratique dans les pays voisins ne justifie en rien de le légaliser en France. Il est possible de faire aujourd’hui à peu près tout quelque part sur la planète, et souvent pas très loin de chez nous : pour s’en tenir au tourisme procréatif, la Grande Bretagne permet de trier les embryons pour éviter les enfants atteints de strabisme, aux Etats Unis on peut choisir le sexe de l’enfant et éliminer les autres ; en Espagne, une femme de 68 ans a bénéficié d’une fécondation in vitro (elle est décédée trois ans après la naissance de ses jumeaux), et on peut dans ce pays concevoir un enfant avec le sperme d’un mort…. C’est l’honneur de la France de s’être dotée d’une législation fondée sur des principes bioéthiques forts et beaucoup voudraient rapatrier en France les profits des cliniques de la fertilité étrangères. Il faut en effet réaliser que la PMA pour les femmes signifie la PMA pour tout le monde puisqu’il ne sera plus nécessaire de souffrir d’infertilité pour recourir à la technique : on sait très bien que la cible réelle du marché, ce sont les couples homme/femme fertiles, les plus nombreux numériquement. La PMA pour les femmes, avec tous les problèmes qu’elle signifie, n’est qu’un prétexte pour lever le verrou thérapeutique de la loi actuelle qui réserve la PMA aux cas d’infertilité pathologique. 

Enfin, vous avez offert votre livre à Marlène Schiappa lors du Salon du Livre de Paris, immortalisant l'instant par une photo. Prise à parti par une personne sur Twitter, elle s'est défendue et a affirmé "ne vous soutenir aucunement". N'est-ce pas caractéristique de l'incapacité de discuter calmement de sujet en France, surtout dans un gouvernement qui prétend ouvrir le débat ? N'y a-t-il pas une méconnaissance du sujet chez les hommes politiques aujourd'hui ?

J’en en effet offert mon livre à Marlène Schiappa, que j’ai croisée par hasard au salon du livre. Je lui ai seulement dit « puis-je vous offrir mon livre ? ». Elle a tout naturellement pris le livre et j’ai demandé à une amie présente de nous prendre en photo, car c’était amusant. J’ai posté cette photo sur Facebook en disant que j’avais offert mon livre à Marlène Schiappa. Résultat, elle a été prise à parti par ses soi-disant « amis » (avec des amis comme cela…) sur twitter qui ont publié la photo en sous-entendant plus ou moins que Marlène Schiappa tenait un double langage sur la PMA puisqu’elle osait accepter un bouquin « contre » la PMA… Cela aurait dû rester un non évènement mais Marlène Schiappa s’est crue obligée de se justifier, au lieu de dire tout naturellement quelque chose comme : « une citoyenne de la République française m’offre son livre, je le prends et je la remercie », ou même, on peut toujours rêver : « je suis pour la PMA, mais je m’intéresse à ce que les autres qui n’ont pas le même avis ont à dire » ! Elle est allée jusqu’à mentir et, selon elle, je lui aurais prétendu que je la soutenais pour arracher une photo. Je n’ai évidemment jamais dit cela, et je n’ai pas non plus eu l’idée de faire croire qu’elle-même me soutenait... Mais le terrorisme intellectuel est si fort que Marlène Schiappa a renchérit que, si elle avait su que j’étais « anti-PMA », elle n’aurait jamais accepté ni le livre ni la photo. C’est consternant : est-ce que cela signifie que notre secrétaire d’état chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes ne lit jamais rien qui ne soit dans son courant de pensée ? Qu’elle n’est la ministre que de ceux qui pensent comme elle ? 

Pour autant, on ne peut pas en déduire une incapacité à discuter en France : au sommet de l’Etat, visiblement, certains ont du mal mais, à ce fameux salon du livre après la table ronde sur la PMA, deux personnes sont venues me voir avec ce commentaire : « c’est la première fois que j’entends parler de la PMA vue du côté de l’enfant, merci ». Je ne crois pas un instant que ces états généraux, ces discussions, ces débats, ne servent à rien. Ils sont orientés, c’est certain, car le seul fait de mettre un sujet à l’ordre du jour signifie qu’il est envisageable (est-ce qu’on débattrait de la torture ou de l’esclavage ?), des décisions sont certainement déjà prises mais l’histoire a montré de nombreuses fois que ce qui était soi-disant écrit d’avance n’a finalement pas vu le jour car un petit grain de sable a enrayé la machine. A chaque fois que quelqu’un explique les dégâts de la PMA sans père, il est ce grain de sable. Et tout le monde peut faire quelque chose : au minimum, offrir un livre !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !