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Plus le niveau éducatif monte, moins on fait d'enfants ? Vrai, sauf en France (et voici pourquoi)
©Reuters

Exception française

En France, les femmes ayant un diplôme du supérieur restent moins souvent sans enfant que celles des autres pays européens, et lorsqu’elles ont une descendance, elles ont souvent deux enfants ou plus, alors que les Allemandes ou les Italiennes se limitent à un enfant.

Olivier Thévenon

Olivier Thévenon

Olivier Thévenon est économiste à l’OCDE et à l’INED. 

 
Ses domaines de recherche portent sur les marchés du travail, politiques sociales et familiales dans les pays de l’OCDE ; la dynamique démographique, le capital humain et la croissance économique ; les effets des politiques familiales sur la conciliation entre travail et vie familiale, la fécondité et le bien-être économique des familles ; l'activité des femmes et fécondité en Europe
 
 
 

 

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Atlantico : Selon une étude menée par l'American Economic Association (voir ici), la tendance générale observée au sein des pays développés montre que plus le niveau d'éducation progresse, plus la fécondité est faible. Est-ce vrai partout ? Dans quelle mesure la France fait-elle figure d'exception ? 

Olivier Thévenon : Il faut distinguer ce que l’on constate lorsque l’on observe des évolutions en moyenne dans le temps, et lorsque, pour une période donnée, on compare les niveaux de fécondité selon le niveau d’éducation.

Dans le premier cas (celui des évolutions au cours du temps), on constate deux périodes au cours des dernières décennies. Une première, de la fin des années 1960-début des années 1970 au milieu des années 1990 marquée par une forte corrélation (négative) entre l’accroissement moyen des niveaux d’éducation des femmes et la baisse des taux de fécondité. Une seconde de la fin des années 1990 jusqu’à la crise, où l'on a observé dans beaucoup de pays la coexistence d’une élévation continue du niveau moyen d’éducation des femmes et une remontée des taux de fécondité (y compris en France).

En revanche, lorsque l’on regarde les différences de niveaux de fécondité selon le niveau d’éducation à une période donnée, on constate de façon générale que les femmes ayant des diplômes plus élevés ont globalement moins d’enfants que les moins éduquées.

Quelles sont les différences en termes de fécondité​ par niveau d'éducation  entre la France et ses voisins européens (Allemagne, Angleterre, Italie) ? A quelles catégories sociales appartiennent les femmes qui ont des enfants dans ces différents pays ?

Le fait que les femmes plus éduquées aient globalement moins d’enfant est vrai partout, y compris en France, mais les différences selon les niveaux d’éducation sont moins marquées ici que dans beaucoup de pays européens dits à "basse fécondité" comme l’Allemagne, les pays d’Europe du Sud ou de l’Est. En France, les femmes ayant un diplôme du supérieur restent moins souvent sans enfant que dans beaucoup de pays, et lorsqu’elles ont une descendance, elles ont plus souvent deux enfants ou plus, alors qu’elles se limitent plus souvent à un enfant dans d’autres pays – par exemple en Italie.

La France n’est toutefois pas isolée puisque les pays nordiques montrent la même configuration : les différences en matière de comportement de fécondité ne sont pas très marquées par le niveau d’éducation. En Suède, le niveau d’éducation affecte surtout le calendrier des naissances (les femmes les plus éduquées ont tendance à retarder la naissance des enfants), mais in fine, à la fin de la vie procréative, les différences de nombre d’enfants ne sont pas très fortes.

Dans certains pays, comme l’Autriche, la fécondité est davantage influencée par la filière d’éducation que par le niveau lui-même. Ainsi, les femmes ayant suivi des études dans les humanités, ou en médecine, ont un niveau de fécondité plus élevé que celles ayant suivi des études d’ingénieur. Mais ici, cette relation tient au fait que ces différentes filières d’éducation prédestinent à des carrières très différentes et des possibilités très variables de mener de front une carrière et de former une famille.

Comment expliquez-vous ce particularisme français ? ​S'agit-il uniquement ​d'​une question de politiques publiques ?​ D'autres facteurs, culturels notamment, sont-ils à l'oeuvre ?​

Ce plus faible différentiel de fécondité selon le niveau d'éducation n’est pas totalement spécifique à la France puisqu’on le retrouve par exemple dans les pays scandinaves. Un point commun dans les politiques menées par ces pays peut l’expliquer en partie : les politiques en faveur de la conciliation entre travail et vie familiale mises en œuvre très tôt dans ces pays (en gros, dès le début des années 1970). En particulier, les politiques d’accueil de la petite enfance jouent un rôle très important dans ces différents pays. L’offre de services d’accueil des jeunes enfants permet aux femmes, notamment les plus éduquées, de ne pas avoir à choisir entre carrière et vie familiale. En Suède ou en Norvège, les politiques de congé parental visent également à encourager les pères à davantage s’occuper des soins des enfants, dès leur naissance ; et la plus grande égalité dans le partage des soins aux enfants que l’on observe surtout dans les couples où les deux partenaires ont un haut niveau de diplôme favorise la fécondité : plus de chances d’avoir un deuxième enfant si le partage des tâches suivant la naissance du premier enfant a été équilibré !

Dans cette perspective, l’expérience que fait l’Allemagne en ce moment est intéressante, puisqu’elle a engagé de vaste réformes de son congé parental (pour mieux favoriser la conciliation entre travail et vie familiale) et a fortement accru son offre de service d’accueil pour la petite enfance. Les premières évaluations de ces réformes montrent qu’elles ont eu un effet positif sur la fécondité – surtout des plus éduquées.

Les politiques sont d’importants facteurs, mais les changements d’attitude comptent aussi. Ainsi, dans beaucoup de pays, les attitudes sont aujourd’hui beaucoup plus favorables au travail des mères de jeunes enfants. Les changements sont même spectaculaires dans un pays comme l’Allemagne où globalement ce changement d’attitude rend possible des réformes politiques (impensables auparavant) qui donnent aux ménages les moyens effectifs de travailler et d’avoir des enfants.

En France, comme le montre l’amplitude de la politique familiale, l’attitude générale tant des populations que des gouvernants est très pro-enfant, et favorable à la fécondité… Les inégalités de bien-être touchant les jeunes enfants sont, en revanche, un enjeu à davantage considérer pour maintenir cette bonne réputation dans les années futures.

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